Décryptage sur l'état actuel de la scène crasseuse de Seattle. Tout avait pourtant si bien commencé avec «
Louder Than Love » à partir duquel la montée en puissance des
Soundgarden s'était effectuée de manière remarquable avec les services du major label A&M Records en 1989, en passant du culte et (accessoirement) plus metal «
Badmotorfinger » en 1991 jusqu'au chef-d'oeuvre intemporel «
Superunknown ». Mais après cette sortie signée en
1994, nous pourrions d'ores et déjà nous permettre d'écrire une première ébauche des mémoires du mouvement grunge et de l'influence qu'il est voué à exercer dans les années à venir. Déjà pieds à terre, le Seattle Sound, prêt à se retirer, signera son coup de grâce lors du probable suicide de
Kurt Cobain qui interviendra à moins d'un mois après la sortie de ce quatrième volet. Le pire est que tous (médias comme labels) profiteront du défunt
Nirvana pour s'enrichir quitte à mettre à mal le nom de
Kurt Cobain même si cela donnera quand même lieu à un merveilleux objet live du nom de « MTV Unplugged in
New York ». Mais passons,
Alice In Chains profite de ses derniers instants de gloire avec «
Jar of Flies » -
Pearl Jam sombre lentement mais sûrement dans l'underground,
Nirvana donc, quittera irrémédiablement le Big Four et
Soundgarden est évidemment prêt à prendre sa revanche avec ce monstrueux «
Superunknown ».
Seize tubes accrocheurs ont donc été façonnées durant ces quatre longues années d'attente à l'image de l'évolution musicale de nos quatre virtuoses passés d'un heavy metal assez lourd à un metal hybride à la fois puissant, original et créatif enregistré au Bad Animals Studio (foyer d'accueil de « Vitalogy » entre autres). Cette nouvelle galette bénéficie ainsi d'une production solide, bien plus accessible que «
Badmotorfinger » qui laisse davantage de place aux mélodies et à l'expression artistique de
Soundgarden. Appelés à l'oeuvre, le fameux producteur Michael Beinhorn (
Red Hot Chili Peppers,
Soul Asylum) ainsi que le mixeur Brendan O'Brien rendu célèbre pour ses travaux sur les deux et troisième opus de
Pearl Jam : «
Versus » et « Vitalogy ».
Faute d'avoir, d'un album sur l'autre, presque entièrement revu son style ainsi que les moindres détails de sa musique, certains éléments refont régulièrement surface, comme c'est généralement le cas sur les trois précédents opus. Les parties doom proposées sur « Mailman » ou « Limo Wreck » sont évidemment plus accessibles et moins lourdes que sur «
Louder Than Love » il n'y a aucun doute là-dessus mais cela permet toutefois aux auditeurs de se souvenir d'où viennent les
Soundgarden et la base commune qu'ils exploitent depuis maintenant dix ans qui n'est nulle autre que la mythique bande à
Ozzy Osbourne. « 4th of July » aurait pu, au même titre que « Like
Suicide » dont le public pensera même qu'il véhicule un message d'adieu après le décès de
Kurt Cobain, faire office d'une sorte d'hommage sachant également que ces deux morceaux sont sans aucun doute les plus sombres et mélancoliques créés sur cet opus (la date est exactement celle de l'indépendance des Etats-Unis, coïncidence ?). Quoi qu'il en soit, le doom presque glauque et glacial que l'on nous sert ici s'insère parfaitement bien dans l'univers et dans l'imagerie lugubre & mystérieuse de
Black Sabbath.
A l'image de
Kurt Cobain et de son attirance particulière pour les Beatles ou bien du jeune groupe
Bush en pleine émergence, la scène grunge a toujours fait preuve d'un grand respect pour les vieilles formations de pop anglaises des années 60/70 qui ont pu bercer leur plus tendre enfance ou les guider musicalement. Par le plus grand des hasards, les deux pièces influencées par les Beatles, à savoir «
Head Down » et «
Black Hole Sun » se trouvent figurer l'une à la suite de l'autre au sein de la tracklist, ce qui permet de repérer les nouveaux éléments musicaux entrés en jeu cette fois-ci. Il y a ce son très particulier qui pourrait laissait n'importe qui rêveur, sans toutefois retrouver l'aspect un peu enjoué des compositions des Beatles mais la finesse et la sensibilité des compositions y est et c'est bien le principal à vrai dire. Une mixture délicate de pop atmosphérique, d'harmonies vocales planantes et légèrement adaptées au registre de l'ex-quatuor britannique sur «
Head Down » et les cinq minutes magiques et rêveuses de «
Black Hole Sun » où
Soundgarden fait la synthèse entre les envolées déchirées de Cornell puisant dans un registre typiquement grunge et ce travail simple et pourtant si raffiné... Même génération toujours, on retrouve l'empreinte très marquée des Rolling Stones sur la mélodie d'ouverture de «
The Day I Tried to Live » qui s'inspire des plus grands hymnes tels que «
Paint It Black » certifiant d'un unique travail de rock'n'roll sombre, poignant et mélancolique.
L'ingéniosité et la beauté de ce «
Superunknown » passe aussi par un petit lot d'expérimentations qui trouvent grâce aux yeux de
Soundgarden en plus des nombreux clins d'œil humoristiques et de la richesse des références proposées sur l'entière discographie du combo. Par exemple, le concept de «
Spoonman » est tout aussi délirant que la musique à proprement parler : les chœurs de Ben
Shepherd s'associant à un côté très décalé, Matt Cameron troquant ses grosses caisses pour des percussions au demeurant très rudimentaires (il frappe sur des pots et des casseroles...) et il faut dire ce qu'il en est, c'est tout de même autre chose que le « Bugs » de
Pearl Jam qu'on voulait bien nous faire avaler non ? Car ici, l'équipe de Cornell donne véritablement de la valeur aux travaux d'un petit artiste de rue underground de la ville de Seattle (Artis the
Spoonman) en le faisant profiter d'une collaboration dans un ton tribal et très rythmé (son instrument phare étant d'ailleurs une cuillère). Autre chose étonnante, « Kickstand » est la preuve que la majeure partie de la scène grunge de Seattle s'influence entre elle-même jusqu'à créer un punk noisy comparable à celui du nouveau
Pearl Jam avoisinant les une minute trente (« Vitalogy » encore ? serait-ce une idée de Brendan O'Brien ?). Pour terminer, remarquons les touches et les orchestrations orientales glissées sur « Half » qui sont bien loin d'être une chose anodine pour un morceau de
Soundgarden (même si le jeu de Kim Thayil peut parfois y faire vaguement penser).
«
Superunknown » est une oeuvre passionnante, riche, parmi les plus variées du Seattle Sound des 90's, raffinée aussi, même un peu expérimentale par moments et bien plus accessible que «
Badmotorfinger ». En fait, c'est comme lorsque l'on contemple un paysage qui nous illumine l'esprit ou un de ces merveilleux panoramas : à chaque écoute, on trouve quelque chose de nouveau, de fascinant et on explore constamment de nouvelles pistes, d'où ce mystérieux « Like
Suicide » dont nous auront notamment l'occasion de reparler plus tard.
Merci pour cette chronique, concise mais complète.
J'aime bien ce disque, comme le précédent d'ailleurs. En revanche, il semble que Cornell "regrette" un peu le contenu de cet album. Des infos là dessus les spécialistes?
La chronique est superbement rédigé et donne à cet album tout ce qu'il mérite. Superunknown est riche en émotions, très inspiré et constitu peut-être le meilleur album du groupe.
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