On ne présente plus
Secrets of the
Moon : fer de lance d’une scène black allemande moderne et avant-gardiste, le trio nous régale depuis 1995 d’oeuvres sombres, originales et toujours empreintes d’une profonde spiritualité.
Leur dernier méfait,
Seven Bells, remontant à
2012, nous présentait un metal très sombre, lent et suffocant sur lequel planait l’ombre du grand Tom G.
Warrior. Les Allemands nous reviennent à présent pour leur sixième album sobrement intitulé Sun, et c’est avec une curiosité mêlée d’excitation et de crainte que l’on insère le disque dans le lecteur, car le combo d’Osnabrück est réputé pour faire perpétuellement évoluer sa musique et n’a jamais sorti deux albums identiques.
No More Colours commence par un arpège calme et épuré rappelant
The Prophecy avant d’éclater en une explosion de violence contenue, avec ce blast en retrait, cette voix rugueuse et douloureuse à mi-chemin entre chant éructé et parlé, et ce mur épais de cordes dont une myriade de notes aigues et lumineuses parviennent à percer l’opacité. Qu’on se le dise,
Secrets of The
Moon n’a plus rien de black metal, et sur cet album du moins, les Allemands lorgnent plus vers un rock/metal atmosphérique extrêmement sombre aux tendances progressives et aux forts relents gothiques, comme un
Worship – le titre de
Seven Bells, pas le groupe ! - qu’on aurait amputé de ses parties les plus lourdes, saccadées et agressives. D’ailleurs, sur cette première piste, les vocaux me font beaucoup penser à ceux d’
On Thorns I Lay, groupe duquel je rapprocherais le plus cet album, avec ce chant à la fois crié et plaintif vibrant d’une rage contenue, et ces guitares, à la fois chaudes et oniriques, qui font beaucoup penser au son si typique de la scène grecque. Le quatuor nous offre donc une musique extrêmement sombre et mélancolique, mais jamais réellement violente, très classieuse et d’une richesse musicale admirable, toujours suspendue entre agression contrôlée et mélancolie d’une beauté tourmentée, et volontiers planante.
Le début de Dirty Black, quant à lui, ferait presque penser à du Marylin Manson, avec cette voix distordue et caverneuse légèrement amplifiée par un écho grinçant et inquiétant, et cette instrumentation très hachée, carrée et mécanique marquée par les secousses froides et langoureuses de la basse.
Secrets of The
Moon nous entraîne dans un paysage de clairs obscurs où les ténèbres essayent d’engloutir ce fameux soleil dont il est question dans le titre en un combat incessant qui s’incarne dans la versatilité des vocaux et des parties de guitares, tantôt réellement tordues et cafardeuses, tantôt lumineuses et solaires. On devine un monde fantasmagorique d’ombres et de chimères tiraillé entre les voix contradictoires du bien et du mal, des univers cauchemardesques et merveilleux tissés par une imagination fertile, et toutes ces formes s’esquissent et prennent vie au creux de notre oreille – et de notre âme - au travers d’un art musical aussi brûlant que glacial. Le morceau impose un côté robotique légèrement dissonant, comme émanant d’une boîte musicale rouillée, avec ces chœurs fantomatiques et monochromes sur le refrain qui rajoutent une couche de poussière sur ces paysages gris esquissés du bout du médiator ; les guitares, extrêmement froides et entêtantes, sonnent presque cold wave par moments, impression accentuée par ce chant geignard à la Sotiris tiraillé entre espoir et tourmente.
Man Behind the Sun continue sur la même voie, balloté entre grâce et décadence, exhalant une aura puissante et fragile en même temps, avec ces guitares lancinantes à la Septic
Flesh appuyées par cette basse aux secousses grondantes qui nous enveloppent d’une sensualité presque ésotérique, et cette voix claire, humaine, et un brin nasillarde qui tente d’élever ses complaintes oubliées vers les étoiles en un refrain simple et touchant.
Hole, titre plus lumineux, avec un chant éthéré et angélique, parvient à trouer la grisaille opaque de ces 52 minutes et à imposer ses mélodies célestes, malgré un début de titre insidieux à l’arpège un brin dissonant et à l’instrumentation lourde et suffocante. Les guitares nous irradient de notes aériennes et nébuleuses, sonnant parfois comme une sorte de post rock onirique, et le morceau continue à osciller entre félicité et désolation avec quelques breaks plus pesants et des vocaux qui se font plus rageurs en fur et à mesure du morceau, mais dont l’intonation tient plus de la résignation que de la haine.
C’est un fait, il est difficile de décrire la musique de
Secrets of The
Moon, unique et impalpable, avec des mots, car elle se ressent au plus profond de notre être plus qu’elle ne s’écoute. A la fois claustrophobe et aérien, planant et rampant, chtonien et solaire, l’art développé par les Allemands se fait de plus en plus subtil et personnel, s’incarnant en un univers musical propre qui irradie une sorte de beauté vénéneuse et mélancolique.
Le combo semble désormais avoir achevé sa métamorphose, et la violence des débuts s’est larvée en une musique toujours plus intimiste et envoûtante, nous séduisant sans effort afin de mieux pouvoir nous contrôler.
Méfiez-vous donc des apparences : malgré son nom, Sun est tout sauf une ode au soleil, et il semblerait que sous le ciel d’Osnabrück, la lumière sera toujours plus froide, diffuse, mystérieuse et inquiétante que celle diffusée par les chauds rayons de l‘astre. Amis lycanthropes barricadez-vous, la lune est pleine…
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