Ce bon vieux Ned Stark disait toujours, à la fois sur un ton et un air très grave ponctué d'une certaine nostalgie Nordique: "
Winter Is Coming", et en effet, il semblerait bien qu'avec la publication de cette nouvelle galette, ce soit réellement le cas. En effet, même si depuis un peu plus de dix ans maintenant, la boussole des Finlandais de
Swallow The Sun semble continuellement indiquer la direction du grand Nord (cf. à partir de «
The Morning Never Came » en 2003), on pourrait ajouter de façon imagée qu'après la parution d'«
Emerald Forest and the Blackbird » début
2012, le combo a troqué quelques-uns de ses glaciers pour préférer de gigantesques bourrasques de vent sur lesquelles il tend à développer sa face la plus atmosphérique possible. Pour souligner le chemin parcouru jusqu'ici et dresser un lien entre ces différentes œuvres, on peut bien sûr citer la série symbolique des titres « Horror... » étalée sur près de quatre albums (2003, 2007, 2009,
2012). Maintenant, face à un tel élan d'innovation et un retour aussi direct qu'inattendu, ce « Songs from the
North I, II & III » permettra-t-il à nos guerriers d'emprunter le chemin tant convoité du
Valhalla, de lever le voile sur le Ragnarök ? Connaîtrons-nous un Hiver plus froid et plus rude encore que les précédents ?
Pour beaucoup d'entre nous, la nouvelle mutation de
Swallow The Sun avait pris ses marques dès la fin de la dernière décennie, un an seulement après la sortie de l'EP-concept «
Plague of Butterflies » avec le noir et vaporeux «
New Moon » en 2009, marqué par l'arrivée du virtuose Kai Hahto derrière les fûts et des débuts glorieux du projet
Barren Earth. Dès lors, les accroches mélodiques semblaient s'être multipliées et cette évolution minutieuse prenait alors tout son sens avec l'opus suivant «
Emerald Forest and the Blackbird », à commencer par une révision partielle des ambiances, un goût prononcé pour l'acoustique, un chant clair nettement accentué et l'envie d'ajouter un peu plus de féminité à leur musique en invitant un ou deux guests. Cela se vérifie lorsqu'on prend connaissance de la pochette alternative de chacune des "petites" productions signée de la patte de la vocaliste Sud-Africaine Aleah Stanbridge où figure une jeune femme au teint pâle et au regard ô combien énigmatique. Ainsi, la box-set s'articule autour d'une trilogie d'albums mais qui s'avère plus conceptuelle sur le plan musical qu'au niveau de son contenu lyrique. Ceci étant, Juha Raivio, le guitariste-fondateur qui est aussi la proue du drakkar
Swallow The Sun a fait le choix de limiter les interviews accordées pour le groupe, évoquant un album à la fois personnel et très intime. En ce qui concerne les dessous de la production, le combo a fait appel à des valeurs sûres : un mastering assuré par Svan Forsbäck au studio Chartmakers (
Apocalyptica,
Ensiferum,
Korpiklaani,
Lordi,
Sonata Arctica, de « The Beginning of Times » d'
Amorphis en passant par « Preachers of the
Night » de
Powerwolf ou encore « Stand Up and
Fight » de
Turisas) et un mixage spécialement adapté à l'ambiance de chaque CD comme en témoigne Tuomas Kokko qui intervient sur le « II » , l'acoustique, à qui on doit notamment l'excellent et très profond
Ghost Brigade « IV - One with the Storm » publié en 2014. Toutefois, notons deux éléments propres à ce « Songs from the
North I, II & III ». Premièrement, le batteur Juuso Raatikainen (
Heathen Hoof, ex-Gian) vient remplacer Kai Hahto qui s'est éclipsé pour assurer la tournée complète du nouvel album de
Nightwish «
Endless Amorphis Most Beautiful » et en second lieu, le collectif change de label suite à un désaccord majeur passant de Spinefarm Records à
Century Media.
Décrit comme l'épisode musical le plus représentatif du son des Finlandais et dans la pleine continuité du cinquième skeud «
Emerald Forest and the Blackbird », ce volet que nous nommerons « I » apparaît tel que l'un des plus difficiles à suivre. En substance, il ne fait pas seulement que jouer sur l'alternance du growl, du chant clair et de brefs éléments acoustiques mais innove, surprend. C'est le cas avec l'intriguant « 10
Silver Bullets » où l'on aura affaire à un chant plus aigu qu'à l'accoutumée puisant dans un black metal de la vieille école accolé près de growls bas et graves. Vu l'ampleur "épique" et dramatique de la scène, il ne sera pas vraiment étonnant de déceler de légers plans de néo-classique tellement déstructurés et mis à mal qu'ils en deviendront presque un instrument de torture. Certes loin d'être exceptionnel, en revanche, l'introduction de «
Lost & Catatonic » nous propose un guttural retouché particulièrement brumeux et donc bien mystérieux, à l'image d'un premier chapitre pas foncièrement plus sombre que le « III », quoique moins accessible au public. De plus, Mikko Kotamäki met ici un point d'honneur à couvrir une très grande diversité de techniques vocales (narration, clair, growl), et particulièrement dès « With You Came the Whole of the World's Tears » - une entrée en matière principalement acoustique. En fait, en seul titre, on perçoit déjà les lueurs de la suite du « II » et force est de constater qu'à l'image de la marche mélancolique qu'avait pu être «
Cathedral Walls », « Heartstrings Shattering » à sa manière réitère justement certains éléments dont une résonance acoustique profonde et une guitare pleurnicharde faisant écho. Au niveau des deux breaks, on pourrait même se passer de présenter Aleah qui nous revient en pleine forme, tant son projet de doom atmosphérique
Trees Of Eternity a marqué les esprits en l'espace d'une seule démo (cf. « Black
Ocean »).
Tandis que le « I » restait fidèle aux habitudes du groupe (mixage de Juha oblige) mais ouvrait cependant la voie au chapitre « II » par l'incorporation de lenteurs acoustiques et de mini-orchestrations minimalistes dont le final de « From Happiness to
Dust »,
Swallow The Sun créé là un univers un peu à part.
Katatonia avec son «
Dethroned & Uncrowned »,
Novembers Doom ou encore
Ghost Brigade ; chacun d'entre eux, pour n'en citer que quelques-uns, a déjà succombé au charme de la musique épurée et/ou aérienne à un moment précis de sa vie discographique. A ceci près que nos amis du Nord, aussi curieux cela peut-il paraître, avaient envisagé la sortie potentielle d'un triple-album depuis maintenant dix ans avec la publication d'un morceau tiré de leur second album tombé aux oubliettes qui s'intitulait «
Gloom, Beauty and
Despair ». Et puis voilà, à la lecture de l'introduction « The Womb of
Winter » et de son piano bien morbide qui ferait crisser n'importe quel fan de pop, on pensait qu'il s'agissait de la partie « III », celle qui devait laisser entière place au funeral doom mais il n'en est rien. En tendant l'oreille, on entend un loup hurler au loin et de la même manière que ces huit morceaux qui dressent une ode à la nature, on imagine l'étendue et la beauté du paysage Scandinave se tenir à nos pieds. Hormis cette ouverture instrumentale noire d'âme, le groupe choisit une manière différente d'aborder ce qui est sombre en jouant davantage sur des émotions telles que la tristesse ou la dépression. A ce titre, la sublime «
Autumn Fire » laisse place, les premières secondes, à une citation pesante de chiffres de un à neuf accompagnée de guitares lancinantes. Ainsi, on a là un album profond, spirituel voire intime : « 66°50'N,28°40'E » parle du lieu où Juha a passé son enfance à Salla à Finlande (du moins, les coordonnées géographiques correspondent), comme son nom l'indique, « Pray for the
Winds to Come » est un moment de recueillement que n'aurait pas renié un
Hobbit de la Terre du Milieu avant de partir dans un voyage dans lequel il ne serait même pas sûr de revenir et enfin, l'éponyme « Songs from the
North » se montre assez expérimental, osé dans le choix de l'invitée (Kaisa Vala chantant en Finlandais).
Enfin, le « III » va naturellement bien plus loin que le chapitre « I » ; il entame des prolongations et coupe court avec l'ambiance légère et les proses quasi lyriques du « II ». Comme semblait l'indiquer le groupe lors de la promotion du disque, celui-ci insiste sur le funeral doom, le sous-genre le plus noir du doom via cinq pièces. Par exemple, cette ambiance en théorie plus sombre peut se vérifier par certains noms de titres particulièrement évocateurs («
Abandoned by the Light », « The
Clouds Prepare for Battle »). Pour ce faire, le combo a demandé à Hiili Hiilesmaa, une des grosses pointures de la production Finlandaise de réaliser le mixage, qui, au long de son parcours, a eu l'occasion de vivre en direct une partie des premiers
Amorphis ou de travailler avec
Gloomy Grim,
Moonspell,
Theatre Of Tragedy,
Sentenced etc... Avec des plages aussi longues variant de huit à treize minutes, il était donc judicieux que
Swallow The Sun prenne le temps de développer son ambiance pour ceux qui voyaient en «
Emerald Forest and the Blackbird » une sorte de laisser-aller temporaire, même si des morceaux comme l'exceptionnel «
April 14th » témoignaient déjà d'une très grande maîtrise. Que l'on se rassure, le claviériste Aleksi Munter engage une atmosphère riche et spatiale proche du downtempo sur « 7 Hours Late » avant que le growl torturé de Mikko ne l'emporte définitivement sur le côté ambient. Ajoutons à cela que le chant clair s'efface rapidement pour donner - en second lieu - dans une narration immersive sur l'extrême et grandiloquent « Empires of Loneliness » marqué par le coup de pouce jouissif de Nathan Ellis, frontman des Américains de
Daylight Dies ou à la fin du chaotique « The
Clouds Prepare for Battle » et ses chœurs religieux. Le bateau à la dérive qu'est «
Abandoned by the Light » aurait pu se retrouver, une fois n'est pas coutume et malgré un break au piano dissonant, dans les rangs sombres de la partie « I ». Ceci dit, les rares instants de silence tels que ceux présents sur le death metal caverneux de «
The Gathering of Black Moths » créé l'illusion d'une extrême solitude et rejoignent ainsi l'esthétique de ce dernier disque.
La trilogie « Songs from the
North I, II & III », c'est un éternel combat pour la lumière que se charge d’exécuter la troupe à Juha et Mikko en plus de deux heures de musique et de tragédies. On a de quoi se sentir concerné ou triste sans même avoir vécu ce que raconte l'auteur de ces vingt-deux textes, ce qui relève déjà du défi. Enfin, chaque partie qui, quelque part, s'inspire des fameux actes du théâtre rejoint les trois facettes du groupe exprimées sur «
Gloom, Beauty and
Despair » : la tristesse, la beauté et le désespoir.
Swallow The Sun, l'immortel ?
Swallow The Sun garde la recette de ses précédentes productions avec une atmosphère sombre et mélancolique et oppressante, du grand Art avec un grand A!
Mais là, le premier est une merveille de doom/death, le deuxième une vraie perle de mélancolie parfaite pour l'hiver... Je confesse ne pas encore avoir écouté le troisième en entier mais n'étant pas fan de funeral doom c'est plus difficile.
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