Depuis plus d'une décennie, une étrange procession venue de Suède fascine, divise et captive la scène hard rock mondiale. Son nom :
Ghost. Derrière ce nom spectral se cache un projet aussi musical que théâtral mené d’une main de maître par Tobias Forge, seul membre identifié et dissimulé sous une succession de personnages cléricaux, de Papa Emeritus I à IV ainsi que
Cardinal Copia qui marquent chaque ère du groupe comme les chapitres d’un évangile profane.
Le sextet est une énigme en costume, une messe noire aux allures d’opéra rock ainsi qu’une vision iconoclaste du sacré portée par des riffs accrocheurs, des chœurs liturgiques et des refrains taillés pour les lives, en atteste la tournée actuelle. D’abord ancrés dans un rock oculte vintage avec leur premier album
Opus Eponymous, les Suédois n’ont cessé d’élargir leur palette sonore au fil des albums, entre heavy metal théâtral, glam rock flamboyant, pop grandiloquente ou encore synthwave néo-romantique.
Mais sous les croix renversées et l’imagerie satanique volontairement outrancière se cache une satire fine et lucide des structures de pouvoir, qu’elles soient religieuses, politiques ou culturelles. Chaque disque explore une thématique différente, de l’avènement de l’Antéchrist à la peste noire en passant par la décadence des empires. Et c’est là que
Ghost frappe fort en combinant une mise en scène millimétrée, une esthétique provocatrice, et une écriture musicale aussi ambitieuse que fédératrice.
Alors que leur dernier opus
Impera en 2022 les a définitivement propulsés au rang de tête d’affiche internationale, nos artistes suédois poursuivent leur odyssée avec
Skeletá. Au-delà d’introduire un nouveau personnage central à savoir Papa V Perpetua, ce sixième disque opère une véritable mutation intérieure et s’engage dans une forme de fragilité inédite. A contrario de ses précédentes apparitions, notre protagoniste incarne moins une figure d’autorité et semble davantage dans une représentation humaine, ce qui teinte l’ensemble de l’opus d’un voile mélancolique et introspectif.
Malgré son titre évocateur, le morceau
Satanized, premier single dévoilé n’abord pas la possession démoniaque au sens littéral. Fortement inspiré du hard rock des années 80 et composé d’harmonies vocales et des guitares qui rappellent quelque peu le style de Queen, l’instrumental est entraînant, les percussions sont réverbérantes et le solo de guitare adopte plutôt une approche mélodique dont les éléments s’apparentes à des formations comme
Styx ou
Def Leppard. Les paroles traitent de l’expérience d’être amoureux, une émotion si intense qu’elle peut être perçue comme une image d’une possession qui peut être confondue avec une emprise naturelle.
Cette inspiration eighties est bien sûr au centre de ce
Skeletá mais elle est parfois poussée vers une ambiance presque majestueuse. Umbra emploie une structure cinématographique et s’ouvre sur des nappes synthétiques, comme un appel au silence. Peu à peu, les instruments s’invitent, d’abord discrets puis de plus en plus imposants, la progression du morceau intègre des riffs puissants et des solos expressifs. Cette montée presque dramatique évoque une ascension inversée, non vers la lumière mais vers une tournure clair-obscur, une acceptation des ténèbres dont on ressort étrangement apaisé.
Malheureusement, ce sentiment de grandiosité sonne quelques fois comme linéaire et pompeux. Si
Ghost nous a largement habitués à des chansons languissantes et portées par de nombreux arrangements orchestraux, elles ont été pour la plupart accompagnées de fulgurances ou de curiosités comme ce fut le cas d’un
He Is ou d’un
Life Eternal. Mais dans le cas du final
Excelsis, les nappes de clavier célestes, la solennité constante et les légers crescendos sirupeux tournent en rond et les harmonies restent trop assagies. On sent un certain effort pour recréer une gravité sacrée mais l’émotion s’avère davantage fabriquée que sincère. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un mauvais titre, on sent toutefois une mélodie trop soignée, trop prudente, trop …
Ghost, une absence d’une étincelle, d’une faille ou d’une audace qui l’aurait transformée en adieu inoubliable.
Au milieu de ces compositions monotones, les Suédois parviennent tout de même à faire honneur à leurs débuts. En ce sens, Lachryma explore parfaitement l’esprit lourd et sombre dans son introduction, dans une certaine lignée d’un
Cirice, des riffs qui ne sont pas sans rappeler les préambules de
Black Sabbath. Cette rusticité se transforme lors du refrain en un discours fédérateur, pop et mélodique. Ce contraste entre les couplets et le refrain illustre la dualité entre la douleur et l'espoir, la tristesse et la résilience. La structure du morceau reflète ainsi les hauts et les bas émotionnels que chacun peut éprouver. Dans un tout autre registre,
De Profundis Borealis se distingue par son atmosphère glaciale, presque hypnotique où les nappes de synthétiseurs éthérées se mêlent à des guitares aux tonalités froides et créent un paysage sonore évoquant les étendues gelées du nord.
Avec
Skeletá,
Ghost signe une œuvre plus intime, parfois déroutante, où l’ombre prend le pas sur le spectaculaire. Le groupe délaisse en partie son faste liturgique et ses hymnes flamboyants pour proposer une introspection à ciel fermé, moins immédiate mais plus vulnérable. Ce sixième opus est un album de retrait, de questionnements, où le masque tombe, où la façade se fissure et laisse filtrer une lumière plus tourmentée, plus humaine.
Si l’ambition thématique est évidente, elle se heurte parfois à une certaine tiédeur musicale. L’écriture, bien que soignée, souffre d’un excès de contrôle et certains titres peinent à décoller, emprisonnés dans des structures trop sages, là où l’on attendait des dérapages, voire des moments d’égarement salvateurs.
L’opus reste un disque dense, élégant, cohérent dans sa vision mais qui risque de laisser certains auditeurs sur le seuil.
Skeletá n’est pas un tournant radical mais plutôt une halte, un moment suspendu dans la discographie des Suédois, où la grandiloquence fait place à la gravité, et où le groupe choisit de parler bas pour que l’on tende l’oreille. Un pari audacieux dans son intention, moins éclatant dans son exécution mais fidèle à ce qui fait l’essence même du groupe : une tension permanente entre l’apparat et la vérité.
Je rejoins l’avis général exprimé ci-dessus.
Si je n’ai jamais autant aimé Ghost qu’à ses débuts occult-heavy-rock-doom gentiment sataniques – les deux premiers albums quoi – j'ai toujours plus ou moins réussi à trouver mon bonheur dans la suite : les disques devenaient certes à chaque fois plus Pop/FM, mais au moins le “groupe” de T. Forge ne faisait-il jamais du sur-place.
Or, c’est bien là le défaut que je trouve à cette nouvelle offrande : c’est très propre et plutôt bien chiadé, mais plus aucune surprise ne vient émailler la musique de Papa Je-ne-sais-plus-quoitus et une tenace sensation de déjà entendu s’installe pernicieusement. L’inspiration divine semble donc avoir pris la poudre d’escampette, et l’étincelle céleste tend à briller par son absence.
Le premier album de Ghost où je m’ennuie, finalement.
Merci pour la kro ! :)
Quelle superbe chronique!
Je te rejoint sur plusieurs points, notamment ceux où tu décris que ce disque "délaisse en partie son faste liturgique et ses hymnes flamboyants pour proposer une introspection à ciel fermé". Malgré cela, je dois dire que je ne me suis absolument pas ennuyé sur ce disque. Certes, il se situe "un cran" en deesous du précédent, mais comme tu le dis, il reste tout de même acrocheur car certains titres sortent du lot comme le sublime "Peacefield", où le très surpenant "Lachryma" qui aurait pu être dans la série "Stanger Things". Pareil pour "Marks of the Evil One" et "Cenotaph" qui m'ont surpris par leur style.
Bref, je pense que cet album s'adresse plus directement aux aficionados de la première pisqu'il est moins "rentre dedans" que les prcédents qui étaient clairement plus commercial. Alors c'est une halte, c'est sûr, mais ô combien importante pour la suite.
Encore merci pour cette superbe chronique.
J'ai été un peu déçu par Prequelle après avoir adoré les 3 premiers. Impera avait remonté la barre selon moi mais là je suis très déçu. A part Lachryma et Marks of the Evil One je n'ai accroché à aucune piste sur cet album, pas même un peu.
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