Pour débuter l’exercice tout à fait périlleux de ces quelques lignes consistant à relater, à disséquer, et, il faut bien le dire, à juger en toute humilité du contenu de cette œuvre, laissez-moi commencer par vous narrer, manœuvre ô combien inhabituelle et ô combien détestée, une anecdote personnelle. Si je me permets cette audace, c’est parce que les faits qu’elle décrit sont tout à fait représentatifs du contexte dans lequel sortit ce
Signe de Vie, premier EP des Palois de
Manigance.
En ces heures lointaines, si la scène Heavy française n’est pas loin d’être une terre hostile désertique et morne, celle qui ose encore user, ô affreuse hérésie, de sa langue natale demeure un No Mans
Land artistique que beaucoup respectent, mais dans lequel peu veulent vraiment s’investir. Dans ce fort nationaliste, irréductible bastion, seule résiste encore la ténacité estimable des Basques de
Killers, des Parisiens de
Vulcain et de
Trust qui vient de, timidement, renaître. Quasiment tous les autres ont abandonné le combat, non d’ailleurs, pour certains, sans avoir fièrement et vaillamment lutté. En d'autres termes, peu s’abandonnent encore aux joies du Heavy, et quasiment plus aucun ne le fait dans la langue de Molière.
Sous l’impulsion du label Brennus Records, un jeune groupe de la ville de Pau, répondant au nom de
Manigance va sortir un premier EP. Afin de promouvoir l’essai initial de ce nouveau groupe, mais aussi ceux de quelques autres, la maison de disque va sortir une compilation,
Vae Victis, sur laquelle figuraient aussi, entre autres,
Killers,
Face To Face, Adelscott, Clipper, Trucker, Toxic Twin. Elle mit en exergue le produit en y adjoignant, sur la pochette, l’adage suivant : ‘‘Le renouveau du
Metal mélodique français à prix découvertes’’. L’histoire allait leur donner raison.
En ces temps immémoriaux, votre humble serviteur passait ses heures de dur labeur à travailler pour un de ces magasins de disques écrasés par la concurrence rude de plus grands distributeurs aux méthodes nettement moins artisanales, nettement moins conviviales, mais nettement plus efficaces. Lorsque, fébrilement, je suggérais, ma compilation entre les mains, de commander afin de mettre à disposition d’un plus large public, dans les étals, les œuvres de
Dream Child,
Manigance et
Toxic Twins ; je ne reçus, de mon patron, fort de son expérience de plusieurs décennies dans le milieu, qu’un refus aux motifs, sûrement, alors, pertinents que le Heavy et en plus en français était un pari délicat perdu d’avance.
Et pourtant
Manigance allait faire naître les prémices de ce formidable renouveau hexagonal.
Cependant, ces six titres seront bien trop peu pour entrevoir toute l’étendue de son talent, et ce, d’autant plus qu’ils souffrent d’une production quelque peu anémiée. Toutefois, dans la frilosité de cette aversion face aux mots francophones, dans l’attirance timide d’un auditoire dispersé pour ce Heavy, les Palois y démontrent de nombreuses vertus. On y devine, déjà, succinctement les qualités remarquables de cette section rythmique dans laquelle Daniel Pouylau excelle admirablement. En parfait héritier de cette scène française d'autrefois, ce chanteur, Didier Delseau, s'illustre particulièrement dans ces aigus, dans cette puissance, dans cette force et dans ces nuances incroyables. Si les mots de cet auteur restent, parfois, abscons, ils recèlent néanmoins une véritable poésie enthousiasmante. Un aspect qui avait trop souvent, naguère, fait défaut à certaines formations sacrifiant leurs paroles sur le bûcher d’une certaine naïveté. On peut également y distinguer les capacités notoires de guitariste de Francois Merle, ayant fait ses armes au sein de
Killers, mais aussi du regretté Vince Mouyen, ayant officié au sein de
Jumper Lace ; dans une expression à la fois relativement passéiste, et à la fois terriblement contemporaine. Et l’incroyable miracle de ces individualités prodigieuses se distingue dans une unité encore, parfois, fragile et, un peu, immature mais déjà prometteuse.
Ainsi, dans les dédales de ce Heavy / Speed
Metal mélodique aux titres aux structures, et aux rythmes, variés,
Manigance nous propose une musique, déjà, vive et inspirée avec un esprit prog non négligeable mais jamais pesant. En conséquence, ces morceaux demeurent vraiment comme l’expression d’une certaine exemplarité jubilatoire et outre l’excellent, et véloce, Sans Fard, sans doute le plus immédiat, et le plus classique, ils s’inscrivent, tous, comme les premiers pas, certes, imparfaits mais attachants d’une évolution à venir très encourageante.
Certains événements marquent l’histoire, même artistique. Comme il y eut des gens pour dire qu’ils vécurent la naissance de certaines destinées, votre humble serviteur a vécu, et surtout a entrevu, celle enthousiasmante de
Manigance. Oui, j’y étais.
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