Manigance peut être considéré comme un véritable vétéran au sein de cette scène professionnelle française qui aura vu un bon nombre de ses ambassadeurs péricliter, sans pour autant évoquer une once de défauts purement quantitatifs ou qualitatifs. Avec ses 23 ans au service du
Metal Français, le groupe fait même figure d’exception, réussissant le tour de force de transformer sa faiblesse en une force, et, cette force, c’est l’écriture des textes en langue maternelle. Le pari était d’autant plus risqué que la Langue de Molière s’exporte assez mal, demeurant même un frein dans la distribution purement nationale. Le charme peut cependant s’opérer pour qui sait la manier, apportant une originalité indéniable mais aussi une modulation riche et variée des textes qu’une maîtrise approximative de l’ Anglais ne permettrait pas. Voici l’argument décisif dans la carrière du groupe et le constat est sans appel : 8 albums et un live sorti en 2005, une régularité et une qualité indéniable qui lui ont permis d’élargir un peu plus le cercle des amateurs à chaque nouvel opus. Le groupe possède une solide expérience scénique, ouvrant pour des pointures internationales, jusqu’à s’exporter lui-même hors des frontières hexagonales, notamment au Pays du Soleil Levant.
Fondé en 1995,
Manigance compte dans ses rangs des musiciens chevronnés, bénéficiant de l’expérience et de la patience nécessaire pour se tailler une réputation sur une scène hexagonale parfois vectrice de jugements hâtifs. A ses débuts,
Manigance s’est souvent vu reprocher d’être un rassemblement d’ex-quelque chose qui essaye de calquer au mieux sa musique sur celle d'une scène Heavy Speed symphonique internationale qui semble alors prometteuse... Et voilà le paradoxe français qui pointe le bout de son nez, persuadé que l’herbe est plus verte ailleurs. Une scène pauvre, alors que pléthore de groupes existent et essayent de survivre ? Les victimes des modes alors changeantes sont nombreuses, portant les stigmates d’une longue traversée du désert, celui de la désaffection d’un public qui semble se tourner vers les rééditions, ou vers la scène alternative américaine. Une nouvelle aube apparaît cependant, portée par le renouveau de la scène extrême et par celui de la scène mélodique popularisée par
Angra ou encore
Rhapsody, pour ne citer qu’eux.
C’est dans ce contexte que groupe publie sa première démo «
Signe de Vie », assez bien accueilli par la presse locale, avant de s’orienter, 7 ans plus tard, vers une musique plus progressive et complexe avec « Ange ou Démon » également salué par la critique. Le groupe acquière très vite une solide réputation, redorant le blason d’une scène Heavy Speed Mélodique Français qui le compte dans ses fers de lance, aux côtés d’
Adagio et de
Heavenly.
Après une longue pause de 5 ans qui suivra « L’ombre et la Lumière », sorti en 2006, le groupe reviendra avec le racé et peaufiné «
Récidive » ne laissant aucun doute sur sa ténacité. « Volte Face » sort en 2014, constitué d’un nouveau line-up qui devra faire face aux avis partagés, sans qu’on sache franchement pourquoi… Peut être est-ce à cause de l’intégration d’éléments
Hard Rock ou simplement à cause d’un son un peu déroutant, la qualité mélodique et technique de l’album est pourtant honorable. Resteront ceux qui dénoncent une certaine linéarité qui s’est installée, mais
Manigance a au moins le mérite d’être fidèle à lui-même, prenant des risques calculés pouvant parfois être assimilés à une retenue trop importante.
En cette année 2018,
Manigance est de retour avec ce «
Machine Nation » polysémique, crédité d’une superbe pochette futuriste aux couleurs très sombres, faisant étrangement écho à l’univers post apocalyptique de James Cameron. Voilà de quoi fantasmer sur le contenu. Musicalement, «
Machine Nation » marque le retour d’un line-up rodé… et ça se sent, « Face Contre Terre » ouvre ainsi l’album après la courte intro « Adages », véritable moment de répit avant la tempête. Ce titre regroupe tous les ingrédients qui ont fait la renommée d’un groupe soucieux d’efficacité et de qualité musicale sans concession. Rapide, propre, mélodique, montrant un groupe qui semble avoir renoué avec le style pratiqué dans l’excellent «
Récidive ». Il s’agit probablement du titre phare de l’album, bien qu’il s’agisse également d’un titre charnière, mais ça nous le verrons plus en détails.
« Dans un monde où le plus beau reste à faire… » :
Manigance ne trahira pas son passé musical ni les jalons qu’il a posés d’album en album. Avec ce nouvel opus, écrit en français, il ne vise pas le premier prix de rhétorique mais il endosse le costume de narrateur critiquant une réalité bien sombre.
Pas question ici de vampires ou d’univers parallèles, mais une vision mature et traduite de manière métaphorique, trahissant cet engagement qui est désormais la marque de fabrique du groupe. Les influences de Didier Delsaux apparaissent toujours de manière limpides, comme un hommage à ceux qui ont dénoncé l’innommable à leur époque, avec pour seule arme contre l’oppression, l’intelligence des mots. « Indifférent », est mue par cette soif de liberté, une valeur largement défendue par le combo depuis ses débuts, mais poser ses mots sur un mid-tempo aussi structuré et riche lui donne un relief particulier. Sombre dans ses textes et toujours aussi Heavy, « La Donne Doit Changer » dépeint un monde au vitriol, offrant des textes superbes et inspirés, véritable hymnes à la Liberté et au cosmopolitisme.
« Méandres » renoue avec l’univers des ballades acoustiques, exercice souvent périlleux… mais ici réalisé avec cette expressivité et cette voix unique de Didier. La magie opère et l’auditeur arrivera sans peine à adhérer au contenu intimiste, voire même troublant, porté à la fois par des textes matures et par cette toile de fond musicale claire-obscure, tantôt rassurante, tantôt sombre, d’où peut jaillir une lumière éphémère avant de retomber dans l’obscurité... de superbes harmonies mais aussi ce magnifique solo qui vient le clore…
Le reste de l’album renferme un contenu des plus Heavy, « Nouvelle Ere » mid tempo agrémenté d’un superbe refrain, nous ramenant à l’influence qu’à eu
Pretty Maids sur notre formation nationale, s’inspirant d’autant plus de son approche musicale, variant les tempo passant du Heavy Prog et Groovy « Exutoire » au Speed bien saignant avec « Ennemi » non avare d’une fougue qui s’était un peu tarie sur « Volte Face ».
Du Heavy, peut être, mais surtout un contenu progressif à la fois complexe et harmonieux ponctué d’arrangements subtils et parfois surprenant, tels que les growls de Jean Lahargue, claviériste, sur « Machination », titre qui nous rappelle l’époque du brûlot « D’un Autre Sang ».
François Merle, possède toujours ce son emblématique de guitare, montrant son incroyable dextérité sur plus d’un titre, créant le tandem parfait avec Bruno Ramos. Avec l'aide de ses acolytes, il a su trouver des mélopées imparables, des soli techniques et surtout cet univers musical particulier. Il s’est aussi attelé à la production de cet album, offrant un son plus puissant et mieux définit que sur son prédécesseur. De même, je le trouve un peu moins synthétique que sur « Volte Face », rendant justice à la section rythmique, mettant en valeur le jeu de Patrick Soria.
«Ma voie se termine aux creux des dolines, je marche vers l’oubli… Loin d’Ici »:
Ces paroles sont presque annonciatrices du départ de Didier Delsaux, avant la tournée européenne qui viendra, je l’espère, auréoler les efforts du groupe. Notre homme a ainsi décidé de mener sa dernière bataille au sein de
Manigance, clôturant le premier et long chapitre de l’aventure. Il laissera une emprunte indélébile sur la scène métallique française, avec sa voix unique, son style reconnaissable mais aussi par la qualité de son écriture. Je lui souhaite bonne continuation pour ses projets futurs mais aussi la bienvenue à Carine Pinto, qui a la lourde tâche de lui succéder. Nous pouvons entrevoir sa voix en duo avec Didier sur l’un des titres de l’album, mais les tonalités des chanteurs étant très proches, je vous mets au défi de le trouver (vous avez un indice plus haut…le premier qui trouve gagne une tringle à rideau).
«
Machine Nation » est l’œuvre d’un groupe en pleine forme, débordant d’énergie et offrant une musique et des textes inspirés, les défauts de mastering présents sur « Volte Face »ayant été gommés. Il n’y aura pas de prise de risques, juste un contenu intéressant mené par des musicens intransigeants sur la qualité, et c’est déjà très bien. Mais le plus gros prédateur de l’Homme reste l’Homme, et les détracteurs iront bon train… mais ne pourront cependant pas renier le travail fourni par chacun des membres pour engendrer cet album qui est à ranger aux côtés des meilleures productions du groupe. Ne tardez plus pour apprécier pleinement chaque note de ce «
Machine Nation » sorti chez Mighty Music.
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