Les péripéties que durent traverser
Manigance, et ce afin de donner un digne successeur à leur premier EP,
Signe de Vie, furent nombreuses et rudes.
Il y eut tout d’abord, et surtout, la disparition émouvante de Vincent ‘‘Vince’’ Mouyen. Le guitariste qui autrefois officia au sein de
Jumper Lace, sous le pseudo de Vince Lovelace, décède d’une tumeur au cerveau et nous laisse avec, à l’esprit, ce goût amer d’un destin, trop tôt, brisé. Les mots ici perdent toute saveur et, bien entendu, aucun ne pourrait, avec exactitude, exprimer pleinement la tristesse que constitue la mort d’un homme. Mais plus encore que l’homme, l’artiste qui s’en va emporte, avec lui, un peu de la magie de notre monde, plongeant nos raisons dans un peu plus d’obscurité encore.
Il y eut ensuite la construction artisanale d’un studio d’enregistrement, baptisé Sudio
Manigance, dans lequel les Palois purent, enfin, maîtriser chacun des tenants et des aboutissants, détails même insignifiants, du processus musical.
Il y eut encore la perte dramatique du travail, presque achevé, de ce Ange ou Démon, contraignant les musiciens à reprendre tout à zéro.
Tous ces événements conjugués, dont certains éminemment tragiques, retardèrent, et retardèrent encore, la sortie de ce premier véritable album que beaucoup attendaient avec une fébrilité manifeste. C’est donc après une interminable attente de cinq longues années que les interrogations d’adeptes convaincus, et de curieux insatisfaits, allaient enfin trouver quelques réponses.
D’emblée convaincant, le son de ce Ange ou Démon apparaît clair, précis, puissant, donnant tout l’espace nécessaire, et donc toute l’ampleur indispensable, à ces titres. Elle révèle formidablement le talent de ces musiciens, mettant en lumière, par exemple, les exceptionnelles qualités de cette section rythmique avec notamment un Daniel Pouylau, derrière les fûts, juste incroyable. La richesse et la technicité de son jeu le positionnent, indéniablement, comme un des grands du genre. Toutefois ces vertus ne sont pas uniquement de nature à donner naissance à une contemplation admirative béate, puisque, sacrifiant à une terrible efficacité, elles donnent énormément de profondeur aux morceaux de cette œuvre. Résultant des mêmes qualités, indiscutables, de ce mixage, les admirables aptitudes de Didier Delseaux au chant, et de Mark Ramos et François Merle aux guitares, Marc Duffau à la basse et Florent Taillandier aux claviers se dévoilent, elles aussi, formidablement.
Dans l’expression d’un Heavy / Speed
Metal mélodique, où les compositions aux rythmes et aux mélodies nuancés se découvrent captivantes,
Manigance nous offre donc un album riche et varié. Mis en exergue par les claviers plus prégnants, et par des constructions musicales structurées de manière subtile, l’aspect progressif du groupe est désormais prépondérant. Toutefois
Manigance ne peut s’apparenter, loin s’en faut, à l’école la plus absconse et vaine du genre, car il garde une fluidité, et surtout une lisibilité, terriblement efficace. Il sait, notamment, composer des airs et des refrains, certes, très simples mais réussis. Ainsi les remarquables En Mon Nom, Comme une Ombre, l’incroyable Dernier Hommage ou encore Dès Mon Retour, sont les témoins admirables de ces qualités de compositions nuancées. Il est éminemment complexe d’extraire des titres représentatifs de l’excellence de ce groupe tant ils le sont tous. Dans une démarche légèrement plus classiquement Heavy/Speed, et donc légèrement moins passionnante, notons, tout de même, Ange ou Démon ou encore, par exemple, Messager, reprise de Sortilège.
Parler de ces Palois sans évoquer la teneur de leurs textes serait une erreur, qu’assurément, votre humble serviteur ne pourra commettre. User du français est souvent un exercice artistique périlleux lorsqu’on ne peut maîtriser une certaine poésie comme un art nécessaire. Trop souvent, la naïveté caricaturale emplit chaque ligne de ces tentatives infructueuses dans un Heavy pas toujours très disposé à se laisser séduire par les mots de Molière. Cette vérité est une réalité d’un autrefois qui n’est plus de mise aujourd’hui. En effet, désormais, l’effort consenti par les groupes hexagonaux afin de donner un sens, et des vertus, à leurs écrits est notoire. Tant et si bien que
Manigance, avec ce Ange ou Démon, en est l’un des précurseurs les plus marquants et des phrases telles que ‘‘Je te laisse ma vie telle que tu la vois, et j’emporte celui qu’au fond tu ne connais pas’’ (Nomade) ou encore ‘‘Oui ton monde est mauvais, il conjugue au présent le verbe : dépérir ’’ (Dernier Hommage), et de nombreuses autres encore, témoignent de ce talent de composition.
Ange ou Démon est l’œuvre qui concrétise formidablement les promesses entrevues sur
Signe de Vie. Avec ce disque, véritable instigateur d’un engouement renaissant pour cette scène,
Manigance va apparaître, à juste titre, comme l'un de ses plus emblématiques représentants.
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