Le Metalcore est une planète torturée. Surfant sur la vague de réussite des grosses écuries, nombre de groupes s’évertuent année après année à nous ressortir la même soupasse infect de mélodies sucrées faussement brutales. Loin de moi l’envie de m’attirer les foudres des coreux, je ne citerais aucun nom, libre à vous de nommer, ou non, ce qui représente à aujourd’hui ce que nous appellerons vulgairement le « Metalcore 2.0 ».
Les gloires d’hier ont du mal à tenir la cadence. Entre les
Sonic Syndicate ou
Bullet For My Valentine coulant album après album, ou bien
Parkway Drive et
As I Lay Dying se contentant bien trop souvent de garder tant bien que mal la cadence pour continuer à sortir des albums bons, au-dessus de la moyenne, mais s’extirpant difficilement du grand manque d’originalité d’une scène passant le plus clair de son temps à se saborder d’ersatz. Alors au même titre que
Trivium,
Lamb Of God (différemment, certes) et
Killswitch Engage (pour ne citer qu'eux),
August Burns Red dispose d’un immense boulevard pour continuer d’établir sa suprématie sur le monde du Metalcore.
Il aurait été vraiment cocasse que la naissance du nom du groupe soit réellement liée à la mise à feu du chien de John Hersey, Redd, par son ex petite amie,
August. En dix ans de vie,
August Burns Red aura imposé son Metalcore Technique pour écraser, album après album, une concurrence de moins en moins nombreuse et surtout de plus en plus faible. Affirmant sans sourciller son style d'année en année, le groupe n’aura vu émailler son existence que par deux changements de chanteurs consécutifs, peu après le premier brûlot, «
Thrill Seeker ».
Une poignée de mois après le petit plaisir instrumental « Sleddin’ Hill : A Holiday Album » (à base de chants de Noël Metalcorisé et rafraichissant), le groupe revient sur le devant de la scène avec ce cinquième album, «
Rescue & Restore », continuant peu à peu le chemin de ce Metalcore, à la fois technique, mélodique et puissant.
« Provision » est un titre introducteur qui sied parfaitement à l’esprit d’
August Burns Red. Véritable fer de lance de la volonté du groupe de faire de cet album le plus ambitieux de leur discographie, ce titre condense en quatre minutes le meilleur du savoir-faire du groupe : un chant variant intelligemment entre growls furieux et cris strident, deux guitares se complétant aisément, l’une dans la brutalité et la lourdeur, la seconde dans sa suite de soli mélodiques, un batteur claquant une vitesse de frappe de virtuose et une basse n’hésitant pas à apposer sa mécanique sur les multiples breaks.
L’album se construira sur ce modèle, des chansons bruts et directs, relayés avec talent par un sens mélodique et atmosphérique prenant. Le single de l’album, « Fault Line », l’illustre plutôt parfaitement. Jake Luhrs crachant sa haine avec une émotion toute particulière, une suite musicale impitoyable dans sa mélancolie brutale, ces chœurs furieux… Parfaite introduction d’un « Beauty in
Tragedy » plus « posé », mais en gardant cette patte rapide et technique, rythmée par un Matt Greiner des grands jours, véritables pieuvres humaines, frappant sur ces fûts avec une technique aussi déstructurée que parfaitement en ordre. Le break sera d’ailleurs l’occasion de profiter des rares incursions de Jake en chant clair. Bien que son timbre de voix soit « commun » dans le milieu du Metalcore, ces passages étant extrêmement rares dans la musique du groupe n’en dénaturent en aucun cas la performance et permettent de souffler agréablement.
Sous le coude d’une musique technique, le groupe garde en réserve des morceaux plus courts, directs, violents, comme un « Sincerity » jouant sur des bifurcations vocales complètement folle, entre grave et suraiguë (en vous situant en exemple les échanges vocaux des vieux
Black Bomb A, la comparaison s’arrêtera là), ou bien un « Count It All as
Lost » gardant une veine Metalcore plus évidente, en conservant toujours l’irréprochable technique musicale des Américains, bifurquant de passages massifs en blast à des moments plus mélodiques, apportant du cœur et du corps aux compositions, aussi bien sur les échanges vocaux, Jake n’hésitant pas à vomir ses tripes sur des growls de génie.
Il m’est déjà arrivé d’entendre parler de « Metalcore Progressif » en lisant divers articles sur ce groupe. Loin de la véritable veine du
Metal Progressif, un titre comme «
Spirit Breaker » peut y être, un peu, assimilé. Mettant davantage en avant une atmosphère épique, les solos sont nombreux en arrière-plan des cris de dément de Jake, alors que les coupures et les rythmes changeants y sont nombreux, notamment ces passages de basse et l’introduction tout en douceur et en violon, ou encore ce court break ambiant accompagné de ce chant calme, parlé. Il en va de même pour « Treatment », bien plus complexe que son introduction Metalcore-basique ne le laisse supposer. Les riffs varies très rapidement afin d’apposer une atmosphère malsaine et lourde, entrecoupé à de nombreuses reprises de courts solos atmosphériques ou encore d’un break à la guitare acoustique et au violon, apposant une ambiance extraordinaire quand il s’agit de redémarrer.
La curieuse « Animals » pourrait même faire un peu penser au monde oriental sur l’orientation des riffs mélodique, presque arabisant, solennel, contrastant encore parfaitement avec la brutalité ambiante des growls et de la première guitare. Le break de solo de basse est aussi excellent que le petit passage presque dansant complètement en chœur avec les cris extrêmement graves de Jake. Toujours dans la curiosité, «
Echoes » appose une atmosphère différente, très intéressante. Une introduction acoustique-électrique, des riffs électriques sur un modèle faussement calme. Le jeu extraordinaire du batteur prolongera cet effet de chanson fourre-tout, mais toujours avec du sens. Le final presque en forme de chorale pourra également surprendre par son efficacité.
Un titre comme « Creative Captivity » n’aura jamais aussi bien porté son nom. Dans une atmosphère en grande partie instrumentale, le groupe propulse un mélange particulièrement adroit et émouvant de Metalcore et de Post-Rock. Un titre extrêmement mélancolique et magnifique, qui m’aura donné des frissons de nombreuses fois, bien aidé par les cris de
Jack en arrière-plan tout d’abord puis bien plus puissant ensuite. L’apport de différents instruments, tel que ce violon, ou encore d’une trompette (ou clarinette ?) révélera une démarche extrêmement intéressante du groupe.
Et pour conclure un album comme celui-ci en beauté, rien ne vaut le bordel auditif de « The First Step ».
Plus Heavy sur sa musicalité, le groupe organise un massacre auditif parfaitement organisé, violent, haineux… Chacun des musiciens s’applique à la perfection pour faire ressortir le meilleur de leurs instruments. Autant bordélique que carré, les guitaristes imposent de nombreux solos tous plus intéressants les uns que les autres, pendant que
Jack expérimente le chant hurlé en « haut-parleur » pour continuer à faire monter la pression jusqu’à un final sec et s’arrêtant brusquement.
Au milieu de ce paysage musical, la présence d'
August Burns Red rassure. Au travers d’un Metalcore toujours plus technique et exigeant, les Américains prouvent continuellement album après album qu’ils ont encore de nombreuses idées à exploiter. Avec ce cinquième album abouti du début à la fin, ABR prouve à qui en doute encore que ce groupe mérite sa place parmi l’élite du Metalcore, ne serait-ce que pour la constance de la qualité d’écriture et de compositions.
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