L’histoire de
Shaman est, à l’instar de celle de
Angra, jalonnée d'embûches, de difficultés relationnelles et humaines, mais aussi et surtout d’oeuvres musicales destinées à marquer de leur sceau les plus belles heures du metal brésilien. Si l’on peut dire que
Angra a eu de multiples vies avec leurs lots de réussites, celle de
Shaman peut néanmoins laisser poindre une sensation de gâchis, énième brûlot qui se laissa, avec le temps, dépérir et s’éteindre.
Nous ne referons pas ici de rétrospective de la carrière plutôt courte du groupe en 20 ans (4 albums) mais plutôt un court retour vers le passé. 2017 : André Matos est de retour dans le groupe avec les frères Mariutti (
Shaman est à l’arrêt puisque les membres qui avait remplacé le trio à fondé
Noturnall et Ricardo Confessori est, pendant un temps, retourné dans
Angra) et lance une tournée anniversaire où le groupe, avec le line up original, joue l’intégralité de "
Ritual" et "
Reason".
L’idée d’un nouvel opus germe rapidement dans la tête des protagonistes (les derniers efforts solo de Matos n’ont pas été de grandes réussites il faut l’avouer, "The Turn of the Lights" sorti en
2012 étant le plus mauvais disque du chanteur brésilien à ce jour) et les fans se pressent en nombre aux concerts du quatuor. Mais voilà, le destin en décide autrement et le vocaliste à la voix d’or est foudroyé par la vie. Ne reste plus qu’un trio perdu, face à des maquettes débutées mais ayant perdu leur âme de toujours.
Dans l’ombre, les brésiliens vont continuer et annoncer, en 2021, que le cinquième opus du groupe verra le jour. Alirio Netto (connu aux Brésil dans certains groupes de power metal mais beaucoup moins chez nous) sera au micro et l’opus portera le nom symbolique de "
Rescue" (un titre du premier opus solo de André … hasard ?).
L’année suivante : l’opus se dévoile.
L’artwork renvoie inévitablement aux racines du groupe. L’aspect ethnique est évident, cette vision légendaire, ces couleurs rougeâtres, cette vision spirituelle …
Sascha Paeth est également de retour aux manettes, comme pour les deux premiers opus. Et lorsque "Tribute" (symbole, toujours) débute, c’est évidemment à "
Ancient Winds" que nous pensons. Une longue introduction de trois minutes, des percussions lointaines, un piano mélancolique (Fabio Ribeiro, habitué des membres et de
Angra, est aussi présent) pour nous emmener en des terres lointaines, magiques et pleine d’esprits. "Time is Running
Out" éclate, avec comme thème ce temps qui sera le fil rouge du disque. Le tempo est élevé, le speed mâtiné de power du début des années 2000 est bien là et le style de
Hugo est parfaitement reconnaissable. Evidemment, les premières impressions vont directement à Alirio et, il est impossible de ne pas ressentir un pincement au coeur en imaginant André chanter ces parties. Non pas que le vocaliste ne s’en sorte pas bien, mais il n’est simplement pas lui, et, sans vouloir passer pour un mélancolique transi (on ne parle pas d’un “simple” changement de line up), il y a un monde d’écart entre les deux chanteurs. Le refrain, plus aigu, montre déjà les limites que n’a presque jamais eu Matos et surtout qu’il est si difficile de faire passer des émotions dans ce registre. Néanmoins, le break, le solo et l’ambiance mystique qui en découle nous replonge avec bonheur dans "
Ritual", tant on croirait entendre les breaks de "Here I Am" ou encore "Time
Will Come". Luis nous émerveille avec sa basse parfaitement audible, bien qu’on regrettera une production globalement étouffée et synthétique, certes plus charnelle que "
Immortal" et "
Origins" mais loin de l’ampleur d’un "
Ritual" beaucoup plus organique et puissant (même 20 ans après, c’est dire !).
L’auditeur averti cherchera des repères et verra des allusions partout à la perte de leur mentor, cicatrice encore vive ("Gone Too Soon", "The
Spirit", "Where Are You Now ?") et verra, par exemple, en "The “I”
Inside" une suite logique du fabuleux "
Distant Thunder". Les percussions de Ricardo sont extrêmement riches et servent de tremplin aux riffs aiguisés de
Hugo qui plonge, dès lors, dans un power bien plus radical et efficace. Les écoutes aidant, Alirio trouve sa place et, oserions-nous le dire, sa légitimité. Il est très touchant sur le superbe "Where Are You Now ?", où les riffs se marient parfaitement aux lignes de piano (comme à la grande époque) et parvient sur "
Brand New Me" à insuffler une nouvelle énergie, une identité propre à cette composition pleine de chamanisme, où les guitares acoustiques se renvoient aux arrangements tribaux, aux lignes de piano ou aux quelques éruptions électriques. Il y a également "The
Spirit", à l’introduction résonnant étonnamment comme "
Scarred Forever" (sur "
Reason") qui profite du talent de Ricardo pour faire d’un titre power metal une merveille rythmique de créativité.
"What If ?" nous plongera une dernière fois en pleine forêt amazonienne, pleine de mystère et de force naturelle. Il accompagne "The Final
Rescue", final instrumental très court nous amenant au bout du voyage, tel une prière sacrificielle, pour déposer un dernier adieu …
Est-ce que cela prend ?
Pas vraiment il faut l’avouer. La conviction est bien présente mais l’écoute du disque donne plutôt envie de replonger, encore et encore, dans ce fabuleux "
Ritual" qui, dans le genre, n’a malheureusement que bien peu d’égal. La pierre n’est pas à jeter au nouveau vocaliste qui, dans un autre contexte, aurait pu être salué, mais la marche est probablement trop haute ici. La faute au contexte, à une production pas assez travaillée (venant de Sascha, c’est étonnant) et à un cœur lourd, qu’il est impossible de ne pas écouter quand l’opus donne autant de signaux du passé, de clins d’oeils et de repères.
"
Rescue", ou l’ultime témoignage d’une étoile éteinte trop tôt. Et inoubliable.
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