Il y a quelques semaines de cela, je randonnais quelque part dans le Mercantour en direction d’un lac d’altitude. Sur le chemin, nous fûmes repus de la vue de marmottes tournant les talons à notre approche, dans leur fourrure soyeuse oscillant entre noir et fauve, de quelques chamois bien plus farouches, détalant plus de cent mètres avant un improbable contact et, pour finir, de troupeaux de bouquetins, escaladeurs/descendeurs émérites dont la mue d’hiver tardait à se faire. A deux mille mètres, la glace et les névés étaient encore présents, à la surface de l’eau ou le long des chemins aménagés mais largement endommagés par endroits par la fonte des neiges. Et puis, par tapis entier, nos regards furent attirés par de nombreux crocus blancs, pas encore totalement en fleurs. Dommage, le spectacle en eût été encore plus grandiose dans ce magnifique écrin où la nature est préservée de toute intrusion imbécile. La promenade en montagne étant toujours sujette à réflexion, le groupe Suisse formé en 1975 du côté de Soleure par Chris
Von Rohr me vint immédiatement à l’esprit. Plutôt filou, il prit le partie de baptiser sa troupe
Krokus, avec deux « k » afin de noyer le poisson ou bien d’alimenter la légende, sachant qu’en argot « Crock us » signifie plutôt « claquez-nous » voire « étranglez-nous ».
Ce n’est pas l’envie qui m’en a manqué lors des premières écoutes de cet album, tant il est une copie conforme de son grand frère Australien.
Pas seulement pour le chant mais surtout pour la musique et la construction des différents morceaux. Le hard-rock de
Krokus est binaire et quasi identique à celui des frères Young. Le chant a de fortes intonations de Bon Scott. Et alors, me direz-vous. Depuis quand les influences devraient elles être gommées à la paille de fer voire interdites ? Cela ne rappellerait-il pas des périodes bien sombres de notre histoire où certains livres ou œuvres artistiques finissaient au milieu d’un bûcher ? Devrait-on purement et simplement bannir un groupe pour avoir plagier ses idoles ? Si notre musique en a longtemps souffert et en souffre encore, nous nous devons à un minimum de tolérance et de respect envers les artistes, et bien entendu entre les différents courants de musique qui la composent. Écouter, respecter, échanger, discuter et prendre plaisir sans rejeter abruptement et inconsidérément celui qui parait trop différent ou un peu trop similaire à d’autres. Vaste leçon de vie avant d’être seulement un simple problème d’éducation primaire.
A l’époque déja et toujours grand fan d’AC/DC et de son géant vocaliste tatoué, je trouvais Marc Storace, certes très proche du chant de son glorieux ainé, mais sans son coffre et bien moins gorgé de whisky, de blues et de gouaille. En me replongeant lors de la préparation de cette chronique sur une interview de Marc, il reconnait des techniques de chant et des intonations communes mais se rappelle avoir toujours été surpris puis agacé, étant jeune, de l’analogie systématique faite par les journalistes. Avant cet album, on le comparait parfois à
Robert Plant voire au chanteur d’
Uriah Heep. Et puis, plutôt flatté du compliment, il trouve Bon Scott unique, comme il souhaite être reconnu pour son propre chant, que j’assimile pour ma part à un curieux mélange entre la voix de Bon Scott et celle de Biff Byford de
Saxon. Dame nature l’avait doté d’un organe singulier mais lui aussi finalement unique.
Côté musique, la trame mid-tempo et la patine hard-rock d’AC/DC est évidente. Les différentes chansons ont une construction classique et efficace, avec une mélodie et un refrain passe-partout mais entêtant et gagnant à coup sûr. L’apport du nouveau guitariste rythmique Mark Kohler donne encore plus de force et d’assise à ce disque enregistré au légendaire
Battery Studios de Londres. Tony Platt, le producteur, s’est aussi lancé dans une course avec John Mutt Lange pour donner au son de batterie de métronome de Fred Steady et celui de Chris von Rohr à la basse suffisamment de surface de jeu pour laisser Fernando von Arb assurer son numéro d’équilibriste sur des soli Angusiens et tout en toucher. Au final, la copie est conforme au modèle mais quelle copie ! Il n’est pas toujours facile de mimer et de parvenir à ses fins. Dans le cas de ce «
One Vice at a Time » très évocateur,
Krokus parvient à infuser ses influences à un point tel que leur disque est un florilège d’hymnes et de hits, indémodables et parfaitement maitrisés. Un véritable bijou de hard-rock qui ferait hocher de la croupe et taper du sabot un troupeau de vaches d’Hérens subitement prises de troubles électriques au fin fond du Valais.
En se penchant sur le contenu de ce 6ème LP de
Krokus, l’influence majeure rappelée plus haut ne disparait qu’avec la reprise de The Guess Who « American Woman », transformée par la bande de Chris en bon gros morceau de hard-rock moderne, bien plombé et bien léché. Rien à voir avec la subtile version originale du groupe canadien, illuminée par une basse de cuirassé lance-missile de
Jim Kale et un chant puissant et clair comme une eau de roche de Burton Cummings, sans oublier la guitare astro-psychédélique de
Kurt Winter.
Passons maintenant aux huit autres brûlots de cette galette de Roi, fourrée à la viande de kangourou et à l’emmental suisse.
Tout commence par l’hymne galactique « Long stick goes boom », avec son introduction et ce son de guitare de qui-vous-savez, époque dorée des canons crachant le feu en fin de concert. Le tempo est assuré de manière hyper carrée, rien ne dépasse chez Fred Steady, même si sa frappe est moins lourde que
Phil Rudd, la voix est racée et ça chante de bout en bout. Le refrain est dantesque avec ce qu’il faut de
Def Leppard sur le retour, sur ce titre dont on sait qu’il faut prendre son intitulé plutôt au second degré, plus dans le vice et la gaudriole. En ce qui concerne le up-tempo « Bad Boys Rag Dolls », le pré-chorus déjanté sur les bords de Fernando von Arb pourrait laisser penser à un titre moins sous contrôle. Néanmoins, l’énorme groove de basse qui soutient le titre et le riff toujours simple et tranchant associé à la section basse-batterie ultra rigide derrière le magnifique solo rappellent les frangins de l’hémisphère sud. L’attaque de riff sur « To the top » est digne des plus grands et la basse vient bien vite pulser la cadence d’un morceau où le chant quasi implorant confine à la magie artistique. Ce titre est simple mais beau, avec de belles guitares mélodieuses et aériennes. Du bel ouvrage et quel solo encore, qui place von Arb dans la liste des gâchettes à la valeur sûre. « Show that sons of bitches that I don’t need a gun » nous rassure sur les intentions pacifiques de Marc Storace. Introduit par Fred Steady, “I’m on the run” est agrémenté d’un riff concis et couillu. Il s’étire avec nonchalance encore une fois sur un mid-tempo entêtant et efficace. « I’m on the run, loaded like a gun, I’m on the run, silver bullet to the sun » s’immisce au plus profond de vos ouïes avec facilité et extase. A risquer une comparaison avec AC/DC, « Playing the outlaw » peut être considéré comme le «
Live Wire » de
Krokus. Après une introduction où la guitare prend brièvement des sonorités médiévales, le riff de guitare et le cri animal laissent la basse de Chris von Rohr palpiter comme un pacemaker greffé aux coronaires d’un T-Rex horrifié par la présence d’une modeste souris. Malcolm Young semble avoir pris possession du corps d’un Mark Kohler en transe sur son main riff. Le refrain est dantesque à nouveau, dans une gamme d’aigus presque forcée mais de bout en bout sous contrôle. Ce morceau est monstrueux et déclenche chez tout auditeur une envie frénétique de labourer le sol et de chanter, poing tendu en l’air. Pour finir le volet des titres classiques et vainqueurs, citons le furieux boogie-blues «
Down the drain » aussi influencé par
Rose Tattoo par moment et un «
Save Me » resplendissant par son arpège de guitare aérien et son refrain accrocheur. Deux titres dont les fondations sont coulées dans le plus dur des bétons, simplement mis en avant par des mélodies de guitares efficaces et des soli inspirés, des riffs parfois trop linéaires, systématiquement sauvés par un chant tout en feeling et éraillé à souhait et deux compères en arrière-plan au service d’une ligne bien droite et creusée bien profond. Le titre « Rock’n’roll » et son accroche de batterie à la
Led Zeppelin qui clôture l’album s’échappe par nappe vers un titre à la tournure plus rock US. Pourtant, la basse se taille une part non négligeable et le solo somptueux de Fernando von Arb dégouline comme celui de l’hystérique en culotte courte. Notons, une fois encore, le chant animal et sensuel de Marc Storace.
Un arbre pousse droit et reste planté sur ses racines quand bien même il provient du rejet d’un autre spécimen que l’on souhaite préserver. La greffe en ce qui concerne
Krokus a bien pris et ce groupe helvétique gagne son bâton de maréchal dans un style hard-rock blues-boogie de prime abord classique et copié mais finalement restitué avec compétence, fraicheur et fougue. La personnalité de ses membres parvient à éviter le risque de clonage stérile dans l’attitude et le look. L’âge aidant, et au gré des évolutions de line-up et des courants musicaux,
Krokus parviendra à asseoir son style et son empreinte, entrevus sur les albums précédents et différents du style AC/DC, dans un paysage musical incertain. La récente réunion des 5 membres présents sur ce disque en 2008 pour une tournée du souvenir est bien la preuve que la nostalgie est un vecteur d’émotions non négligeables pour un courant musical et surtout un pays peu enclin à une telle démonstration de sentiments. A écouter à nouveau avec les oreilles bien ouvertes et sans arrière-pensée. Même si l’ombre de
Powerage plane…
Didier – mai
2012
Mon cher Chriscatcher, tu ne pouvais pas mieux résumer cet album. En 1982, ça faisait déja 6 ans que j'étais un grand fan d'AC/DC et crois moi bien que je suivais leur actualité jour après jour. Et puis un jour, un pote débarque chez moi avec un album qu'il venait d'acheter. Pensant me bluffer complètement, et il a réussi, il avait caché la pochette avec du papier...cul. Il me dit: " Ecoute ça ". Je mets donc la galette sur ma platine et dés les premières notes de "Long stick goes boom",j'ouvre de grand yeux et je dis à mon pote: " Mais c'est le nouvel album d'AC/DC, comment se fait-il que je ne sois pas au courant ?" C'est alors qu'il retire le papier et que je découvre donc le nom de Krokus. J'étais littéralement scotché. Et depuis j'ai acheté tous les albums de Krokus. Mais celui ci a une place particulière dans mon coeur pour les raisons que je viens d'expliquer. Bien à toi
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire