« Nous devenons de plus en plus
Leprous »
Voici la pensée intime d’Einar Solberg lorsque le compositeur évoque "
Malina", sa sixième création. Que peut-on en comprendre ? Que les opus ayant servi à assoir la notoriété du groupe ne représentaient pas le cœur même de ce que les norvégiens souhaitaient faire ? Ou simplement qu’ils se rapprochent doucement de l’idéal qu’ils ont de leur propre groupe ? Difficile à savoir, si ce n’est que, logiquement, des choses sont encore amener à changer, à évoluer, encore et encore comme nous l’a habitué le groupe de metal progressif.
Attendu par beaucoup après un quasi sans faute depuis le début de leur carrière, "
Malina" apparait comme un tournant. Celui d’un combo arrivant à complète maturité, sortant de deux opus couronnés de succès commerciaux et critiques ("
Coal" et "
The Congregation") qui suivaient eux-même un "
Bilateral" devenu une référence dans le domaine en quelques années. "
Malina" semble également débuté un nouveau cycle, comme en témoigne l’exceptionnel "
Live at Rockefeller Music Hall" qui clôturait un premier chapitre.
Ce nouvel opus se repose sur de nombreuses bases de son prédécesseur qui avait déjà allumé plusieurs torches, en réduisant drastiquement la part de chant extrême, privilégiant l’ambiance et la clarté des structures. Ceux qui pouvaient avoir des difficultés avec le chant en voix de tête d’Einar en avaient eu pour leurs frais, et il faut être clair, la donne est non seulement identique cette fois mais va encore plus loin car comme le déclare le principal intéressé, le chant extrême n’a jamais eu sa préférence. Sachant le faire, il servait avant tout à masquer un manque de confiance en soi et un chant clair pas encore complètement fiable. Il n’en est désormais rien et le chant extrême ne viendra que si les compositions en ont réellement besoin, ce qui ne semblait pas être le cas sur "
Malina" puisque nous n’en trouverons nulle trace.
La conception de cet album fut pour plusieurs raisons différentes. Le groupe a d’abord subi le départ d’Oystein, guitariste des débuts. Si
Tor Oddmund apparait aujourd’hui plus clairement comme identique du son de
Leprous (ce son si caractéristique et lourd de la huit cordes), Oystein était l’élément plus flamboyant et si les soli n’étaient déjà pas nombreux, ils le seront probablement encore moins sans lui.
Leprous décida également d’officialiser dans le line up officiel Simen Borven à la basse, lui qui avait déjà joué sur "
The Congregation" et les accompagne depuis deux tournées déjà. En plus de cela, le groupe précise que le résultat final de "
Malina" ne reflète pas l’idée première des norvégiens sur l’album mais plutôt la maturation des compositions en studio, qui évoluèrent au gré du temps, comme des enfants. Un processus intéressant démontrant également que le groupe cherche à ne pas réfléchir mais vivre sa musique, afin de lui conférer le côté le plus organique et naturel possible. On peut donc aisément en conclure que l’opus sera plus naturel, moins alambiqué que par le passé et que l’approche plus pop se fera plus radicalement.
Passons à la musique. Les premières écoutes, à l’instar de celles de "
The Congregation" ou de "
Coal", sont difficiles à cerner. Entre plaisir de réentendre chanter Einar, d’être perdu dans les structures, de discerner ici et là quelques refrains faciles à retenir et plus tard des phases étouffantes dont on ne sait trop si elles seront appréhendées ou subies. Une fois de plus, quelques écoutes concentrées sont nécessaires pour prendre la mesure de l’album qui, s’il est bien plus simple et épuré dans son expression, n’en est pas moins difficile à saisir et complètement ressentir.
Loin des démarrages canon de "
Bilateral", "Foe" ou "The Price", "Bonneville" surprend par son tempo très posé et son coté jazzy matérialisé par sa mélodie et sa ligne de basse. Baard Kolstad, qui illuminera l’album de son talent, fait parler sa fibre sensible dans un jeu tout en touché, tandis qu’Einar y présente sa voix la plus pure et intimiste. Le premier refrain retentit, comme suspendu, mais aucun riff saturé n’intervient toujours, comme pour jouer avec les nerfs de l’auditeur qui pourrait se demander quand l’album va réellement commencer. Sous l’impulsion de descentes de toms, les riffs typiques d’une huit-cordes sonnent, brumeux et lourds, tels une corne de brume dans une forêt sinueuse. Le dernier refrain laisse exploser la puissance du quintette, avec une superbe envolée finale, l’épaisseur du riff et de la ligne de basse qui confèrent finalement un côté beaucoup moins accueillant que prévu.
"
Stuck" et "
From the Flame", deux premiers extraits de l’opus, seront probablement plus représentatifs du futur de
Leprous. Le premier nommé semble au premier abord un titre plutôt simple mais se pare de multiples cassures de rythmes, d’un travail absolument monstrueux derrière les futs et d’un refrain appelé à être chanté par tout un public. Dans ce schéma, les couplets se séparent souvent des riffs qui reviennent en force sur les refrains, eux-mêmes souvent précédés d’un changement de rythme, d’un break (celui au violon est magnifique) ou d’une cassure qui complexifie l’ensemble et le rend finalement assez éloigné d’un simple hit radio pop comme on a pu le sous-entendre ici et là.
Leprous est certes plus concentré et direct mais loin d’être simple, tant bien même l’aspect expérimental et extrême se font rare. Quant à "
From the Flame", il n’aurait clairement pas dépareillé sur l’album précédent, particulièrement dans les sonorités et le riff principal, lent et plaintif qui trouve de la lumière dans une expression plus clean, à l’instar de "The Flood" par exemple. Le refrain est proprement à tomber, Einar y est simplement magnifique vocalement et décuple l’émotion de la composition.
Émotion qui sera clairement au premier plan de cet album s’articulant presque intégralement autour de la voix et des refrains. Si cet état de fait pourrait faire peur, ce serait sans compter sur l’immense talent des norvégiens pour prendre l’auditeur aux tripes ou écrire des moments d’anthologie qui suspendent littéralement le temps. D’un "
Illuminate" portant la marque du groupe par les sons de claviers et le riff monolithique qui explose sur un refrain plein de puissance et de symbolisme à un "
Coma" étrange et épileptique (ce démon de Baard …) qui pourrait faire écho à "Third Law" (et qu’on imagine déjà avec des lights ne cessant de flasher sur scène) en passant par "The Weight of
Disaster" à la puissance retenue, prêt à exploser à tout moment mais souvent porté par une basse galopante, "
Malina" est tout sauf un album facile et oubliable.
Ce serait également injure de ne pas évoquer "
Mirage" qui contient tout ce qui fait de
Leprous ce qu’il est aujourd’hui. Une introduction aux claviers, un riff cathartique (à l’instar d’un "Slave" ou "The Valley") et pesant où la patte de
Tor se reconnait entre milles, un chant parfois lointain où Einar interprète complètement son texte et surtout un passage central dantesque qui, il y a quelques années, aurait probablement accueilli du chant extrême. Que dire également de la sensible title track ? Une merveille de poésie évoquant un voyage en Géorgie et la misère du monde actuel, telle une litanie désespérée. Débutant presque comme une comptine, la voix d’Einar s’accompagne d’un violon distant et de claviers un brin étrange, opaque, instaurant une ambiance tendue. Puis arrive la batterie…difficile de trouver des mots sur ce que Baard réalise sur ce titre tant il faut l’entendre, tant il intensifie le titre, le rend oppressant et symbolise le poids d’une pauvreté ayant choqué le compositeur du groupe. Ce titre trouvera d’ailleurs écho sur "The Last Milestone", pièce où seul Einar s’accompagne d’un violoncelle pendant sept minutes pour un final en dehors des normes, des conventions et des éventuels critiques que pourraient recevoir un groupe qui ose briser les codes.
"
Malina" est différent certes, mais il s’inscrit dans une logique d’écriture qui ne surprendra que ceux qui suivent les norvégiens de loin. Il n’est que l’évolution logique de quinze ans de carrière et d’une musicalité ayant un besoin évident d’évolution pour continuer à respirer et vivre en bonne santé.
Leprous change en même temps que ses membres deviennent des hommes et changent dans leur vie. Les aspirations changent, le style aussi mais l’identité et l’âme
Leprous sont plus que jamais au centre de l’album, tant on reconnait tout de même le groupe à chaque riff, chaque mélodie ou refrain.
Plus que devenir de plus en plus lui-même,
Leprous confirme simplement qu’ils sont des artistes accomplis et indomptables, rendant impossible à prévoir la teneur de leur futur. Voilà finalement la vraie récompense d’un artiste rare…être surpris, découvrir et se rendre compte que, inéluctablement, c’est un nouveau chef d’œuvre que nous venons de découvrir. Un de plus …
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