Ils sont nombreux les artistes, à un moment de leur carrière, pour des raisons diverses, à vouloir réécrire une partie de leur passé.
Les enregistrements ont parfois la vertu de remettre en lumière des moments perdus, oubliés ou inaccessibles du passé (
Edguy et "The
Savage Poetry" par exemple). Ils peuvent être l’occasion de combler un manque initial de moyen (
Sigh qui vient de réenregistrer son "
Hangman’s Hymns" avec bien plus de moyens), de contrer des problèmes de droits (
Iron Savior qui réenregistre son back catalogue pour en avoir le contrôle) ou encore de présenter un autre line up comme lorsque
Gamma Ray a sorti son fameux "
Blast From the
Past" (probablement l’un des meilleurs exemples de réussites dans cet exercice, et dieu que c’est difficile !).
Dans le cas de
Manigance, qui fête ses 30 ans d’existence, l’exercice était autrement plus risqué puisqu’il annonce un best of, sous forme de réenregistrement avec Carine au chant d’anciens titres de Didier Delsaux. Le pari est d’autant plus risqué que les deux vocalistes n’ont pas du tout le même timbre et que les textes de Didier étaient souvent très personnels.
Certains se souviennent de l'ébullition créative qui avait accompagné les sorties de "Ange ou Démon" puis "D’un Autre Sang" aux débuts des années 2000 (avec Malédiction qui faisait également beaucoup parler de lui), puis du chef d’oeuvre "L’Ombre et la Lumière", plaçant
Manigance comme le fer de lance du power prog français avec des textes engagés et un niveau technique impeccable. Malheureusement, l’exportation fut compliquée, les sorties d’albums s’espacèrent et il faut avouer que le très long "
Récidive" ou "Volte Face" ne permirent pas de passer un cap. Quand Didier quitte le navire, que Carine Pinto prend le relai mais que Bruno Ramos (R.I.P) lèvent aussi les voiles pour rejoindre Sortilège, "
Le Bal des Ombres" n’a pas forcément convaincu. La précision, le caractère progressif des débuts et la force des textes n’est plus, rendant
Manigance beaucoup trop générique et malheureusement vivant sous un nom qui ne lui ressemble plus vraiment.
En ce sens, "L’âme de Fond" avait tout du risque casse-gueule déguisé en anniversaire “pour les fans” avec moults invités mais dont le but inavoué est de faire revivre son ancienne gloire avec le personnel actuel. Malheureusement, l’initiative se solde sur un échec en tout point.
Loin de moi l’idée de tirer sur l’ambulance mais Carine ne possède pas le relief de son prédécesseur et la puissance des vocaux et des textes ne transparaissent jamais dans son interprétation. Certes, la production est béton (probablement le seul défaut "D’un Autre Sang" et le son de caisse claire en carton) mais la comparaison, inévitable, est difficile à encaisser.
"Larmes de l’Univers" ouvre le bal et le choix est plutôt judicieux puisqu’il n’est pas un hit absolu et qu’il offre l’illusion que la relecture des compositions sera intéressante, offrant un surplus de puissance bienvenue, une grande place offertes aux guitares dans le mix (made in Merle) et vocalement, le ton plus rauque et sombre de Carine colle plutôt bien à cette composition où le groupe semble jouer un ton en dessous.
Malheureusement, on descend de douze étages avec le fabuleux "Damoclès" en duo avec
Barbara de
Nightmare. Des synthés en plus, une ligne de chant avec énormément de reverb (sur un texte aussi viscéral, difficile d’adhérer à un rendu aussi artificiel) et surtout, pourquoi faire un duo sur un titre qui évoque les affres intimes d’une personne se sentant abandonnée face à la maladie ? Conceptuellement, ça ne tient absolument pas et ça brise toute l’immersion de la composition, quand bien même l’interprétation de
Barbara est très bonne (le fait de toucher aux textes me rebutent un peu mais c’est un détail). "Héritier" n’a pas un meilleur traitement puisque le riff paraît beaucoup moins impactant là où sa dynamique écrasait tout dans sa version originelle. Une fois de plus, le texte ne colle pas chanté par une femme (c’est malheureusement un fait) et me sort totalement de la composition où la seule bonne idée vient d’une intégration plus extrême du final avec un semblant de blast et un côté rouleau compresseur qui surprend positivement. Un rouleau compresseur que l’on ressent sur "Ennemi" où Roberto de Micheli de
Rhapsody of
Fire vient assurer un solo plein de shred. La partie de batterie en parallèle se veut extrêmement dynamique et offre un beau moment de virtuosité. Est-ce meilleur que le morceau originel ? Non, mais le résultat est objectivement bon.
Dans l’absolu, je n’ai rien trouvé de positif vis à vis des morceaux de l’époque qui étaient pour la plupart parfait en l’état. Certains passent plutôt bien l’épreuve de la réinterprétation sans heurts ("Sans Fard", "L’Ultime Seconde", "Pur Sang"), mais d’autres relèvent de la faute industrielle (parce que parler de catastrophe semble trop fort). "Mourir en Héros" avec Yves Campion (oui, ils sont potes avec NIghtmare) est un véritable désastre dans les interventions vocales d’un guest à côté de ses pompes (il n’est pas chanteur en même temps) et vient saborder un titre qui, encore une fois, ne sied absolument pas à Carine. C’est exactement la même chose pour "Envahisseur" où elle ne parvient pas à chanter le refrain (merci le travail de studio) convenablement mais garde la même ligne vocale. Quant à "Ange ou Démon", le côté power speed de l’époque qui avait tant de charme ne sonne simplement pas aujourd’hui.
Inutile ?
Oui clairement. Il faut mieux en parler ainsi qu’en termes moins élogieux. La comparaison est triste et lourde pour
Manigance qui court après des années perdues depuis longtemps. Revenir sur ce passé aujourd’hui, sans le talent poétique ni la puissance de Didier me semble impossible (malgré le fait que François Merle a toujours été le compositeur principal avec Bruno) et cet anniversaire ne fait que renforcer l’inexorable vérité que
Manigance est aujourd’hui un groupe bien différent. Rien de mal à ça, mais cet album n’a donc que peu de sens. Il donne simplement envie de ressortir les albums du passé. Et de se délecter d’une époque désormais révolue mais qui nous aura laissé des témoignages d’un immense talent.
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