Allez j’avoue : je crois bien que c’est la première fois que j’éprouve autant de difficultés à pondre une chronique. Le problème ne vient pas de la retranscription des émotions à l’écrit, mais bien des émotions elles-mêmes...
Into the Pandemonium aurait dû être l’héritier du magistral
To Mega Therion, celui-là même qui avait achevé l’érection du mythe
Hellhammer/
Celtic Frost. Début 87, c’est en tout cas l’ambition du label Noise, comptant dans ses rangs le redoutable
Kreator ou l’espoir helvète
Coroner: l’écurie allemande veut être la locomotive du thrash germanique et européen, et pour cela elle a donné de gros moyens aux Suisses. Ceux-ci vont passer près de quatre mois en studio, avec des ambitions artistiques démesurées. Ce que Noise ne sait pas, ou du moins découvrira trop tard pour interrompre le processus, c’est que le trio a décidé de ne rien s’interdire, de laisser libre cours à ses instincts et ses envies les plus versatiles, pas vraiment en phase avec la volonté du label…
Plus de vingt ans après, on s’imagine toujours très bien l’angoisse de l’instant de la première écoute.
Celtic Frost commence très fort avec une improbable reprise de Wall Of Voodoo, Mexican Radio. Mêlant spontanément la lourdeur d’un son légendaire avec un refrain sautillant presque pop, c’est une véritable douche froide d’entrée : le groupe génère d’emblée la cassure avec son passé artistique, du moins avec sa noirceur. Si
Mesmerized interpelle lui aussi, c’est pour une bien meilleure raison. Ce morceau pourrait se concevoir comme l’un des premiers véritables rejetons de metal gothique : mélancolique et sombre, son atmosphère funeste préfigure largement les premiers efforts de
Paradise Lost, notamment sur l’album Gothic, qui ira jusqu’à reprendre les riffs du morceau et l’emploi identique des chants féminins.
Seul le chant larmoyant de Tom dénote quelque peu. On retrouve dans la foulée un
Celtic Frost plus conformiste :
Inner Sanctum renoue avec brio avec le black/thrash classieux et mid-tempo du formidable
To Mega Therion.
Cependant, visiblement amusé de souffler le chaud et le froid alternativement,
Celtic Frost nous balance un kitschissime Tristesses de la Lune, poème de Baudelaire mi-chanté mi-récité en français par une interprète féminine, sur fond de violons (morceau sorti sous cette forme sur l’extravagant EP I
Won’t Dance...). Sont-ils devenus fous ? La suite de l’album mérite de poser la question : One In Their Pride, sorte d’électro/indus façon Front 242, avec samplers et boîte à rythme, paraît d’une audace jamais vue pour un groupe de ce style. Rappelons qu’à l’époque l’indus metal n’est qu’un genre embryonnaire qui n’a même pas de nom... Mais il y a pire : I
Won’t Dance, son refrain aux relents de pop des eighties, prémonitoire de la catastrophe à venir (le terrible
Cold Lake). Incompréhensible, d’autant plus que ces écarts pour le moins audacieux, à mettre sous le coup de l’expérimentation, semblent avoir du mal à trouver une justification artistique dans le cadre de l’album.
Pourtant, malgré ces audaces qui interpellent,
Celtic Frost montre parallèlement son meilleur visage, le plus noir, le plus envoûtant, tout en privilégiant l’inventivité. L’enchaînement
Jade Serpent I & II (baptisés
Babylon On Fell et Caress
Into Oblivion) tutoie la perfection. Une nouvelle fois,
Celtic Frost explore de nouveaux horizons décisifs pour le metal :
Babylon On Fell est un véritable brûlot de
Dark Metal, monumental et prenant, qui préfigure le
Samael des années 92-94. Ses riffs lourds et entraînants, les vocaux éraillés de TG
Warrior dépeignent un paysage sombre et mystique. Caress
Into Oblivion, plus nuancé, alterne un univers qui tend vers le doom atmosphérique aux effluves gothiques et des passages dark/thrash nerveux. Sa profondeur et sa finesse en font une véritable merveille, là encore dans une forme peu ou pas explorée jusque là dans le heavy metal. Un véritable puits d’inspiration pour plusieurs générations de musiciens à venir. Puis il y a le grandiloquent, le baroque, l’époustouflant Rex
Irae : pensez donc qu’il y a plus de vingt ans, un groupe de metal s’est mis à accompagner son dark metal glacé et funèbre par des instruments classiques, et confié une partie du chant à une soprano. Gothic metal, Symphonic metal et autres joyeusetés, devenues presque familières du metal contemporain, voient en fait leur acte de naissance unique et définitif ici... et ce Rex
Irae (
Requiem) ne se contente pas d’être une géniale invention musicale : son atmosphère de fin de monde complètement désarçonnante, mi-macabre, mi-angoissée, complètement enfiévrée d’une folie mortuaire, semble enfin donner du sens au magnifique artwork du disque. Celui-ci (dans sa version originale), fini par un Oriental
Masquerade du même acabit, court mais imposant morceau instrumental ayant recours à des élans philharmoniques.
Oui, on comprend a posteriori la crainte du management de
Celtic Frost à l’heure de la sortie de
Into the Pandemonium. Mais on doit aussi rendre justice au trio helvète : montrant une obstination presque excessive à ne pas rentrer dans un moule, il s’est fait fort d’aller au bout de ses convictions et de ses élans créatifs. Et si intrinsèquement,
Into the Pandemonium, en tant que tel, est un peu victime de ces excès, perdant la cohérence et l’homogénéité qui lui auraient peut-être donné un sens, il se révèle en même temps un incroyable foyer créatif, une mine d’inventions musicales qui vont révolutionner le metal des années 90 et 2000.
Metal gothique ou symphonique, dark ou doom, voire jusqu’à l’indus,
Celtic Frost poursuit son inlassable défrichage qu’il avait déjà mené pour le black et le death metal.
Into the Pandemonium n’est donc pas le chef d’œuvre qui succède à
To Mega Therion. Album mêlant le sublime à l’improbable, complètement décousu, voire carrément abstrait par moments, il reste incompris pour beaucoup (moi compris), quand bien même on pourrait lui trouver un sens...
Cependant, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, c’est au travers de cet album que le génie de
Celtic Frost s’affirme sans doute le plus. Allez comprendre...
Pour finir là où la chronique avait débuté : sachez d’abord que Noise ne s’est pas longtemps inquiété,
Into the Pandemonium devenant le plus gros succès commercial du groupe... quant à ma chronique, pour la première fois, elle ne sera pas accompagnée d’une note. Si je me suis montré assez explicite dans mon texte, vous n’aurez aucun mal à comprendre pourquoi !
J'écouterai.
Ceci dit, super chronique ! Mais tu pouvais mettre une note rendant justice à l'album s'il est mitigé : autour de la moyenne.
A l'instar de BATHORY, le géniteur de plusieurs styles de Metal à aujourd'hui. Ce n'est pas donné à tout le monde...
Un ovni qui, malgré des années d'efforts, continue à me passer au-dessus de la tête. Mais j'y reviendrai encore, c'est sûr… Il y a quelque chose de fascinant dans ce disque indescriptible.
Merci pour la kro ! :)
Un album déconcertant pour les fans purs et durs du groupe, dont je ne fais pas partie.
Mais étrangement, je préfère celui ci au précédent, comme quoi les gouts et les couleurs...
Et quand je pense que j'ai du écouter du Celtic Frost pour connaitre un poème de Rimbaud ! Mon prof de français doit se retourner dans sa tombe.
16/20
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