Lorsque la musique se fait trop abstraite, le sens des mots censés la décrire devient obstacle et insulte, alourdit la mélopée et empêche son envol. La chronique se devra alors d’être aussi poétique et euphorique que la musique. Essayons de réaliser cette communion en langage raisonné.
Car
Burzum surprend et s’affranchi de toutes conventions. Certes, un modeste synthé ne parait pas de prime abord le vecteur idéal d’une mystique particulière, les dieux n’ayant pas l’électricité… Mais Vikernes a pris ici conscience des possibilités d’ouverture de son engin ; Vikernes disparaît et s’efface derrière son œuvre ; tout comme les procédés ; tout comme la musique dépasse la musique et appelle nos autres sens.
Inutile de s'appesantir sur les procédés ; la musique ambiante diluant par nature des sons espacés et traînants, voire commet quelques imitations de percussions. Les samples utilisés sont étonnamment proches de ce qu'aurait pu rendre des sons naturels ; parfois le son est une bourrasque qui s'engouffre partout, parfois de tranquilles piques disséminées dans la toile de fond. Autant dire que la rareté de toute "attaque" et que la répétitivité - qui, attention, ne nuit pas à la diversité entre les morceaux - de cet album font que l'orchestration se doit d’être parfaite, que tout tintement risque de rompre un délicat équilibre - ni vide baveux ni pompe grotesque -, que chaque élément doit subvenir au seul instant idéal et que la gestion du vide et des silences surtout emportera l'auditeur en appelant son imagination. Qu'ajouter ? Sinon attaquer le plus important ; vers quoi nous fait tendre L'"Observatoire d'
Odin" ?
Immédiatement, l’auditeur de Hlidskjalf est pris à la figure par un souffle qui ne peut être que celui de l’expression de l’essence même de la nature intacte et irrévélée ; débuter l’écoute de cet album fait vraiment l’effet d’une bourrasque, comme lorsque l’on sort par un jour de grand vent… Ainsi “Tuistos Herz”, malgré la sérénité dont il ne se départira jamais -comme d’ailleurs l’album dans sa totalité- nous fait tout de suite changer d’univers, et commencer à arpenter la forêt, superbement rendue par le vieux maître Kittelsen, décorant la pochette. La détente et la noyade totale avec la musique s’expliquent d’autant plus mal que rien de rationnel ne parait permettre la transcendance : quelques lignes de synthé superposées, des thèmes se répétant, naissant et périclitant à l’infini, comme le cycle vie/mort symbolisé par la frise de runes Algiz à l’endroit et renversées, au dos de l’album. Chaque morceau est une sorte de recueil de sons organiques, volés au cœur de forêts, porteur de secrets affleurant toute chose naturelle ; ces sons paraissent d’abord étranges et peu familiers, jusqu’à ce que le thème réentame sa boucle ; ils se révèlent à nous dans toute leur splendeur, expriment tout ce dont ils sont la métaphore, des émotions précieuses, communes et pourtant si personnelles et uniques. Vikerne donne un éclaircissement sur le sens de ces ambiances ; à travers les mornes photographies spectrales du livret, les textes flattant de manière par trop descriptive et lasse des faits héroïques ou des sentiments élégiaques, toujours dans cette sempiternelle relation au panthéon nordiste. Ainsi, “Frijôs Einsames Trauern” nous narre l’histoire d’une mère abattue et vidée par la mort de son fils, le thème tranquille et répétitif de boîte à musique ( semblable à celui de “Der Liebe
Nerthus”, qui lui conte le sacrifice festif d’hommes à Gaïa/
Nerthus ) ou perce parfois des sifflements retranscrit bien l’univers de Hlidskjalf, entre sens et nature; la musique accompagne avec une force équivoque le spectacle de cette mère apathique, au regard vide, tandis qu’elle impose aussi l’image qu’elle pourrait contempler à sa fenêtre : sous-bois encore humide, un rayon de soleil venant réchauffer la nature grise malgré le levé de soleil précoce, des enfants vikings courant insouciants dans le village…
Chaque morceau est accompagné de son paysage et des sentiments dégagés violemment par ces images fortes. Pleurs de bébés, boucles de cris vaguement animaliers indéterminés, musique des arbres et des pierres, ruisseaux, ballet de feuilles, mélodie de là où la canopée ne permet pas à la lumière de pénétrer, troncs creux, fertilité et stérilité, bambous, respiration de la Terre souveraine et omniprésente, symbiose. ”Frijos Goldene Tranen” s’envole vers une immensité stellaire, par ses pointes d’échos en provenance des plus lointaines étoiles, affluant et refluant en un don glacial ; la dernière piste est l’occasion du retour sur terre, délicat et désorienté, nouveau-né spirituel, faisant ainsi la liaison entre tout le pénible folklore odiniste et une musique côtoyant les divinités qui nous entourent, et leurs occurrences dans les stades de réalités nous transcendant. Vikernes échoue à donner à son œuvre un arrière-goût de propagande, mais ouvre une vraie porte transportant tout auditeur attentif vers un voyage mystique et contemplatif, plein de réponses sur lui-même et le monde alentour ; évidemment il n’en restera rien au réveil... Cet album n’est pas simplement noir ; il se fait plus porteur d’une certaine mélancolie et d’une langueur virant parfois au récit martial.
Et je ne perce pas là le mystère de l’œuvre - bien malgré moi, mais il aura fallu cet exercice pour concevoir qu’aucun mot ne pourrait chatouiller la dimension d’Hlidskalf - qui doit rester l’expérience solitaire de chacun.
L’intolérable silence réoccupe ensuite doucement l’espace. A son vide s’ajoute déjà la nostalgie de cette longue berceuse ; dans l’air, un changement imperceptible. Réentrevoir cela, rien qu’une fois !
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