Heaven Shall Burn est un pilier de la scène metal allemande actif depuis la fin des années 1990. Leur musique s’ancre dans un mélange explosif de metalcore et de death metal mélodique et reconnaissable par ses riffs massifs, ses rythmiques martiales ainsi que par son équilibre constant entre brutalité et mélodie. Mais ce qui les différencie de la multitude de groupes du genre provient de la sincérité et la radicalité de leur engagement. Leurs textes abordent sans détour la lutte contre le racisme et le fascisme, la protection de l’environnement mais aussi des causes sociales et humanitaires. Cet engagement, allié à un son immédiatement reconnaissable, a façonné leur réputation à savoir celle d’une formation qui transforme le metal en vecteur de convictions, au-delà de la simple démonstration de puissance.
Leur discographie, riche et cohérente, a connu plusieurs sommets mais aussi quelques creux.
Antigone (2004) est considéré comme leur album charnière, à la fois puissant et porteur d’une identité claire et s’est distingué par plusieurs morceaux devenus emblématiques. Quelques années plus tard,
Veto (2013) a signé un retour remarqué, apprécié pour ses mélodies plus affirmées et son écriture inspirée, au point d’être considéré comme l’un de leurs meilleurs opus. Enfin,
Of Truth and Sacrifice (2020), double album monumental, reste sans doute leur œuvre la plus ambitieuse : plus d’une heure trente de musique qui condensent tout ce que les Allemands savent faire de mieux, entre agressivité, intensité émotionnelle et ouverture vers de nouvelles textures sonores.
Mais à l’inverse, tout n’a pas toujours fait l’unanimité.
Wanderer (2016), malgré une production impeccable et quelques bons passages, est souvent jugé trop redondant et moins inspiré que ses prédécesseurs. Certains auditeurs ont aussi pointé du doigt une tendance, Sur certains disques à l’instar d’
Invictus (2010), le combo a aussi une fâcheuse tendance à s’enfermer dans une formule un peu trop prévisible. Mais ces réserves n’ont jamais éclipsé la constance et la force d’un groupe qui a su maintenir un haut niveau de qualité sur la durée.
Avec
Heimat, dixième ouvrage studio du groupe, nos musiciens poursuivent leur trajectoire ambitieuse en proposant une fois encore un double œuvre dépassant largement l’heure d’écoute. Comme pour
Of Truth and Sacrifice, une mise sur la démesure est posée, un format marathon qui vise à englober toutes les facettes d’un univers musical généreux. Le pari est une nouvelle fois très courageux surtout lorsque ses semblables jouent davantage le jeu des écoutes fragmentées et rapides. Mais si l’on ne peut que saluer l’audace et l’ampleur du projet, l'opus souffre d’une comparaison inévitable avec le précédent. En effet, là où ce dernier frappait par sa richesse et sa capacité à surprendre sans perdre en cohérence, ce nouveau dessein s’avère davantage linéaire.
La qualité d’exécution n’est jamais en cause puisque le quintet allemand reste un maître dans l’art de livrer des riffs puissants, des rythmiques implacables et une énergie communicative. Mais on sent ici une écriture plus télescopée, moins aventureuse, où les structures se montrent redondantes et finissent par créer un sentiment de longueur. Même un morceau comme
Inter Arma, placé en fin de parcours, illustre cette impression. Cette longue pièce instrumentale, d’une belle mélancolie s’étire sans jamais réellement évoluer, au point de perdre une partie de son impact.
C’est toutefois sur le second disque que le tableau dévoile son intérêt le plus fort. Le chant en allemand apporte une couleur nouvelle et renforce le lien avec les racines culturelles et politiques du groupe. Surtout, l’apport des collaborations extérieures dynamise l’ensemble et élargit la palette. Là où le premier coup de pinceau reste dans une continuité stylistique assez attendue, le second ose davantage et permet d’éviter la redite et de donner de vraies respirations dans un création aussi massive.
Parmi les morceaux, certains tirent clairement leur épingle du jeu. Numbered Days s’impose comme un moment fort grâce à la participation de Jesse Leach (
Killswitch Engage). La confrontation entre son chant clair habité et les screams rageurs de Marcus Bischoff crée une dynamique d’une rare intensité et donne au morceau une profondeur émotionnelle immédiate.
War Is The Father Of All, de son côté, impressionne par l’ampleur de ses chœurs qui installent une atmosphère à la fois épique et inquiétante. Le contraste est d’autant plus saisissant quand la chanson bascule dans une partie plus éthérée et introspective, comme une lueur d’espoir fragile au cœur d’un morceau sombre et pesant.
Plus inattendu encore,
Keinen Schritt Zurück, fruit de la collaboration avec Donots, surprend par son esprit pop punk, inédit pour
Heaven Shall Burn. Le titre dénote clairement du reste de l’album au point de désarçonner l’auditeur à la première écoute. Mais ce pas de côté, aussi surprenant soit-il, introduit une fantaisie bienvenue et apporte une inspiration rafraîchissante dans l’intensité générale. Eisenkopf, reprise du groupe
Schweisser, vient quant à lui rendre hommage à la Neue Deutsche Härte. Avec son rythme martial, ses touches industrielles et une double grosse caisse implacable, le morceau réussit à intégrer cet esprit tout en conservant la signature sonore du groupe.
La production ancre clairement le travail dans une esthétique qui rappelle le metalcore et le death mélodique du début des années 2000. Tout y est compressé, frontal, énergique tel une déferlante sonore qui donne une impression de densité permanente. Si cette approche renforce la puissance brute de l’enregistrement, elle laisse parfois peu d’espace aux nuances et peut fatiguer sur la durée et renforce surtout ce sentiment de lourdeur déjà perceptible dans la construction des compositions. Par conséquent, on est face à une toile certes solide et sans véritable faux pas mais qui peine sans doute davantage à marquer les esprits autant que certains jalons de la discographie de nos Allemands à cause d’une pesanteur quasi constante.
Heimat est un ensemble solide, généreux et parfaitement exécuté, qui prouve une fois de plus la constance d’
Heaven Shall Burn. Mais à trop vouloir embrasser l’ampleur, il finit par se perdre dans sa propre densité. S’il aligne de très bons morceaux et réussit quelques audaces, il ne parvient pas à marquer aussi profondément que ses prédécesseurs. Cette dixième cuvée se déguste avec plaisir, bien plus aboutie que certains millésimes passés, mais elle ne possède pas cette saveur unique qui distingue les grands crus des bons vins.
Plus qu’un sommet, la réalisation s’impose comme une étape sincère dans la discographie du groupe, un chapitre respectable mais pas indispensable.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire