Les années 90 ont été profondément marquées par une nouvelle vague metal qui a fait évoluer le style vers quelque chose de plus accessible, plus simple mais aussi plus moderne et avec diverses influences. Et
Staind est apparu pile en plein boom de cette nouvelle tendance en sortant leur premier album, "
Tormented", en 1996. Proposant un néo-metal sombre, mélancolique et aux influences alternatives plus marquées que le genre est habitué à avoir, cet album est sorti dans l’anonymat le plus complet possible, au point que même aujourd’hui ce dernier demeure introuvable dans les commerces, et
Staind lui-même semble l’avoir complètement oublié. Soit dit en passant, sa pochette, curieusement assez suggestive, presque typée black metal, n’avait sûrement pas joué en sa faveur. Pourtant, aussi obscur soit-il, il a fini par tomber entre les mains d’un certain Fred Durst, frontman de
Limp Bizkit, mais aussi de Jonathan Davis, charismatique chanteur de
Korn, qui sont allés jusqu’à soutenir le groupe dans son début de carrière et pour son prochain album qui, cette fois-ci, sortira via une major et se verra produit par le prestigieux Terry Date (connu à l’époque pour son travail avec
Deftones) et aura donc une bien meilleure visibilité.
Dysfunction sort donc en 1999, et le moins que l’on puisse dire, c’est que
Staind s’est adonné à un néo-metal assez inhabituel. Il suffit juste de parcourir l’arrière du CD pour s’en rendre compte, l’album ne comportant que neuf chansons, chose tout à fait inhabituelle pour un genre connu pour sa simplicité et son accessibilité. Cela suppose que nous ayons donc droit à de longues chansons aux structures plus travaillées qu'à l’habitude. Pourtant, en écoutant le premier titre, «
Suffocate », rien ne semble aller dans ce sens ; nous avons un titre plutôt classique dans sa construction, avec un gros riff néo à l’ouverture, une structure couplet-refrain, des effets de guitares hypnotiques lors du refrain, une ambiance sombre et une production un peu sale renforçant cette ambiance ; le tout pour une durée d’un peu plus de trois minutes. Rien d’inhabituel donc. A vrai dire, le groupe ne propose rien de si inusuel à proprement parler, c’est juste que par la suite, celui-ci prendra le temps d’étayer ses chansons afin d’y accentuer l’ambiance sombre, confuse et mélancolique, avec des chansons dont la plupart atteignent 4 ou 5 minutes de durée. C’est le cas par exemple de « Me », qui est une bonne illustration du propos musical de
Staind, avec des paroles très personnelles liées à la famille et mélancoliques du chanteur Aaron Lewis, chantées de manière lente, le tout avec une musique qui emprunte autant au néo-metal qu’au grunge, pour une durée de plus de 4 minutes 30. Le très grunge « A Flat » va même plus loin en atteignant 5 minutes, avec une intro plus longue, ses bons riffs transpirant les débuts des 90’s et la voix d’Aaron dans un registre bien plus grunge mais toujours aussi expressif sur ses émotions. Même le plus nerveux et néo «
Crawl » se permet d’être presque tout aussi long, avec en prime un refrain qui se veut bien plus posé, long et atmosphérique ; pour en faire une chanson tout aussi ambiancée que puissante avec le pont au milieu où Aaron hurle toute sa colère et sa rage sans filtre. Aaron Lewis est un chanteur particulièrement versatile, à la voix singulière et facilement reconnaissable, lorgnant entre le grunge et l’alternatif, mais pouvant parfaitement balancer des hurlements des plus intenses, et parfaitement capable de rivaliser avec un Slipknot ou un
Korn. «
Spleen » est sans doute le meilleur exemple à ce niveau, où il défonce tout dès le début avec ses hurlements à longueur et répétés, pour l’une des chansons les plus brutales que le groupe n’ait jamais faites. Les chansons «
Mudshovel » et «
Home », plus mélodiques et posées, donnent un bon aperçu de la musique que le groupe développera dans le futur.
On le voit bien, ce qui distingue
Staind du reste, c’est tout le temps que la formation prend pour développer une chanson, mettant particulièrement l’accent sur l’ambiance, là où un Slipknot le ferait plus instantanément avec plus de rage et de colère.
Dysfunction est l’un des albums les plus sombres qui m’aient été donné d’écouter dans le néo-metal ; on ressent dans la voix d’Aaron et les effets musicaux une profonde mélancolie, une confusion, un mal-être voire, par moments, une colère qui ne se détache jamais de l’album. Les paroles y décrivent des troubles familiaux, des blessures anciennes, et parfois du chanteur qui se décrit comme un loser (tellement 90’s je sais). Tout parait authentique et sincère, à aucun moment il ne joue la surenchère ; on ressent qu’il y a vraiment du vécu dans tout ça, et cette sincérité finit forcément par toucher l’auditeur. Musicalement, la marque du groupe viendrait des fortes influences grunge, très présentes tout au long de l’album avec les riffs bien gras, qui viennent se mélanger à ceux plus puissants du néo. Ce n’est pas la première fois qu’une formation tente quelque chose de pareil, mais jamais ce mélange n’avait été poussé aussi loin. Si Alice in Chains était un groupe néo, il aurait sonné très proche de
Staind, voire comme lui.
Mais justement, paradoxalement, ce qui fait la force de
Staind, peut aussi être sa faiblesse. Ces chansons plaidant pour leur longueur peuvent ne pas plaire. Dans un genre connu pour son caractère instantané et direct, avec des chansons ne dépassent pas souvent les 3 minutes, cela peut paraître ennuyeux. Tout le monde n’a pas la patience d’écouter attentivement chaque chanson s’étaler ainsi sur la durée pour ressentir pleinement l’ambiance. Surtout que certaines chansons accusent de longueurs un peu excessives, comme pour «
Home », sans doute la plus lente et la plus pauvre de "
Dysfunction", qui parait avoir au moins une minute de trop. « A Flat » ou «
Spleen », malgré qu’elles soient musicalement plus intéressantes, ne nous font pas oublier leur longueur, atteignant parfois jusqu’à 5 minutes. Même moi qui aime le style de
Staind, je ne peux m’empêcher de me faire la remarque sur la longueur excessive de la plupart des chansons. Et aussi, le faible nombre de chansons ne convaincra toujours pas les plus sceptiques, puisque forcément elles se ressemblent toutes, n’ayant pas laissé de place pour plus d’exploration. Autre défaut également, mais moins important, l’album ressemble beaucoup au précédent, "
Tormented", au point même qu’une chanson, «
Mudshovel », a été réenregistrée pour l’occasion, mais, compte tenu de la faible diffusion du premier album à son époque, cela est plus anecdotique.
Petite surprise marrante dans l’album, le groupe a caché tout à la fin une piste cachée, nommée «
Excess Baggage », qui apparaît après plusieurs minutes de silence une fois «
Spleen » terminée. Il s’agit d’une chanson acoustique très simple et lente chantée par Aaron Lewis, et enregistrée d’une façon très amateure et avec beaucoup moins de moyens que le reste de l’album. Les moyens d’enregistrement sont si faibles qu’on entend même les bruits lors de la préparation pour l’enregistrement avant qu’elle ne débute. Cela est bien évidemment volontaire, et s’avère être un clin d’œil aux débuts musicaux d’Aaron, qui a littéralement commencé en chantant avec une guitare acoustique dans la rue. On ne reviendra jamais sur "
Dysfunction" juste pour «
Excess Baggage », c’est certain, mais la référence est sympa.
Quand on sait comment le groupe évoluera par la suite après ce premier grand album, il est assez curieux de voir les débuts lourds et sombres avec "
Dysfunction".
Staind a néanmoins connu un premier succès important avec cet album, grâce à la diffusion importante des singles «
Mudshovel » et «
Home », les titres les plus mélodiques de l’œuvre ; ce qui a certainement donné à
Staind une bonne idée sur la future direction à prendre. Le groupe connaîtra un bien plus grand succès avec "
Break the Cycle" en 2001, aux composition plus travaillées, plus variées et globalement plus mélodiques, avec des singles au succès planétaires, comme « Its Been Awhile », qui feront beaucoup plus connaître la formation. "Dysfuntion" demeure donc une œuvre à part de
Staind, si différente du reste de leur discographie bien plus mélodique et émotionnelle ; un début plus lourd, mais ayant posé les bases de l’identité musicale de
Staind, avec ses fortes influences grunge.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire