Forte de près d'une dizaine d'années d'expérience accumulées aussi bien en studio que sur la scène metal internationale, ayant déjà à son actif trois encourageants et roboratifs albums full length («
Secrets » (2010) ; «
The Wanderer » (
2012) ; «
Argia » (2014)) et une discrète démo, la prolifique formation espagnole originaire de Pampelune entend dorénavant ne plus jouer les outsiders, ayant jusqu'alors encore trop souvent évolué dans l'ombre de formations metal symphonique majeures telles que
Xandria,
Nightwish,
Delain et surtout
Epica, modèle identificatoire le plus stable du quintet ibérique. C'est donc dans une tout autre logique d'approche de son auditorat qu'il s'est lancé, proposant deux singles tests («
Earthly Illusions » et plus récemment «
Crimson Gale ») en guise de préambule, préalablement à la sortie officielle de cette quatrième, généreuse et résolument frondeuse offrande, distribuée, tout comme les deux précédents efforts, via
Napalm Records.
Si les traits de caractère de la personnalité artistique du combo (corpulente et mordante rythmique, riffing effilé, atmosphère enjouée, angéliques impulsions vocales...) transparaissent dans l'ensemble de l'opus, incluant une touche hispanisante dans nombre de ses séries d'accords, celui-ci a intensifié le rythme de ses frappes, amplifié son corps oratoire par le recours quasi systématique à des choeurs, affiné ses lignes mélodiques et rendu plus accessible sa proposition. Le niveau de composition général y a aussi gagné en maturité et en finesse d'écriture, travail rigoureux et minutieux que l'on doit aux cinq membres de la troupe, au sein de laquelle officient : Zuberoa Aznárez (Stardust Reverie, ex-
Dragon Lord) en qualité de frontwoman ; Gorka Elso (Stardust Reverie, ex-
Dragon Lord, ex-
Meridiam) aux claviers et aux growls ; Alexey Kolygin (Allowance) à la guitare ; Odei Ochoa à la basse et David Carrica (
Tierra Santa) à la batterie. En outre, les 13 titres se succédant sereinement sur cet opus metal mélodico-symphonique témoignent d'une remarquable qualité d'enregistrement et d'un souci accolé aux moindres détails logistiques de production, même si le mix tend à rendre les lignes vocales relatives aux choeurs parfois trop aiguës. Aussi, embarquons pour ce voyage au long cours en eaux aussi profondes que tumultueuses...
Ce quatrième opus nous met au contact d'une sémillante diversité atmosphérique, d'une technicité instrumentale largement éprouvée, de subtiles variations disséminées dans chacune des scènes de chaque acte de la pièce qui se joue, d'une signature vocale évolutive mais identifiable, nous indiquant par là-même la logique argumentative actuelle du combo ibérique, à appréhender comme une innovante alternative par rapport à ses productions antérieures. Et dès les premières mesures impulsées à la fois par une mer organique apparemment limpide mais intérieurement bouillonnante et une chorale aussi massive que saillante, la minute que compte la classique entame instrumentale progressive « Battle of Atlantis » nous fait comprendre que l'on va assister à un spectacle épique, probablement inégalé par le combo espagnol...
Tout d'abord se succèdent une kyrielle de passages débordant d'une captatrice vivacité, cinglants pour certains, vibrants pour d'autres, évoluant dans une parfaite cohérence rythmique. D'une part, relayant l'entame sur un fondu enchaîné, s'offrent à nous les riffs acérés du percutant et véloce single «
Earthly Illusions », porté par la force herculéenne d'une sculpturale chorale mixte, plus que ne l'ont fait
Leaves' Eyes ou
Epica sur leurs avant-derniers méfaits respectifs. Un tapping martelant se fait jour et n'a de cesse de dynamiser une piste empruntant un cheminement mélodique infiltrant, à l'image de l'écriture exigeante des portées qui l'ont conditionné, que la déesse contribue à magnifier au cours de ses célestes pérégrinations oratoires. C'est dire que le collectif a élevé d'un cran le niveau de ses prérogatives par rapport à ses productions antérieures, sans pour autant renier son passé, loin s'en faut.
Plus encore, «
Crimson Gale », second single, impose d'emblée le respect eu égard à son insubmersible rythmique, sa poigne percussive, qu'un luminescent sillon mélodique vient enorgueillir. Combiné à un corps oratoire fort en contrastes et en totale osmose entre les patines feutrées de la douce et les attaques de choeurs, le convoi orchestral par ses insatiables circonvolutions interpelle le tympan, se plait à nous secouer, nous projetant, in fine, sur un refrain catchy, inoubliable moment de félicité s'il en est... Enfin, de mordants assauts de choeurs en bataille nous accueillent sur l'envoûtant et opératique mid/up tempo «
The River of
Loss », titre altier et épique marchant sur les traces d'
Epica, dernière cuvée, avec un brin de romantisme en plus. Lançant quelques offensives riffeuses bien senties et placées opportunément au beau milieu d'une corpulente et enivrante instrumentation, suivie de près par une ombre growleuse en faction, ce volcanique instant recèle bien des armes pour nous faire plier l'échine. A commencer par les caressantes, profondes et sinueuses envolées lyriques en voix de gorge comme Zuberoa en a le secret, avec un zeste de maturité supplémentaire, rendant sa prestation plus étoffée et poignante que par le passé. Indéniablement, on est passé à tout autre chose...
Le quintet espagnol a également pensé incorporer une délicate progressivité rythmique et/ou instrumentale pour conférer davantage de rayonnement et d'élégance à certaines pistes circonstanciées. Ainsi, « Marble Embrace » fait grésiller et cadencer ses riffs au fil d'une progressive et pléthorique chevauchée instrumentale, sous-tendue par d'ondulantes nappes synthétiques du plus bel effet. Et l'on est happé par l'homogénéité structurelle qui en ressort. Mais, c'est surtout sur le magnétique refrain que l'on est aspiré, à la fois par la puissance des éléments et les troublantes et orientalisantes oscillations de la diva. Et lorsque viennent à sa rencontre les choeurs tels d'inébranlables fantassins, le coup de grâce est donné. Dans cette logique, une céleste onde vibratoire nous étreint sur le charismatique, entraînant et graduel « The
Voice of Your Dreams », mis en exergue par une stupéfiante et complémentaire alliance entre le filet gracile de la déesse et la puissance incantatoire d'une muraille de choeurs, dans la veine de «
King of
Kings » de
Leaves' Eyes. Mention spéciale pour le magnifique sweeping relayé par un redoutable picking du lead guitariste sur un pont, pliant à terme sous le poids de la bondissante reprise sur la crête d'un refrain immersif à souhait, brillamment échafaudé et restitué.
Assurément l'une des perles d'un collier qui en compte déjà quelques unes...
Lorsqu'elle se met à ralentir son tempo, la bande à Zuberoa nous octroie de savoureux instants, dans la lignée de ceux auxquels on a pu être sensibilisés lors des premières moutures, avec un discible supplément d'âme. Ainsi, d'insoupçonnés arrangements nightwishiens s'imiscent dans la trame harmonique et rythmique de « Invisible », rayonnant et gracieux mid tempo, mis en habits de lumière par les envolées lyriques de la mezzo-alto, amplifiées par une harmonieuse chorale transgénérationnelle. Difficile dans ces conditions de ne pas succomber au déferlement de ces féériques et touchantes empreintes oratoires se complétant à merveille et que pourraient bien leur envier
Epica,
Xandria et consorts. Dans cette mouvance, mid tempo quasi théâtral, voire festif, non sans rappeler l'univers de « The Puzzle », second album de
Dark Sarah (à l'instar de « Little Men » ou «
Island in the
Mist »), « Ring Around
Dark Fairies' Carousel » intrigue autant qu'il enchante. Une myriade d'effets et moult rampes synthétiques virevoltantes attirent le pavillon vers les trapèzes, facéties clownesques et autres jongleries de fortune. Et l'on se prend au jeu des tours de passe-passe de la magicienne, muée en impitoyable séductrice de nos âmes d'enfant. Un monde onirique largement entretenu par une distribution et une progressivité instrumentale à la fois libertine, d'une confondante ampleur et idéalement cohésive. Autre moment semi tamisé calé sur une rythmique souple et un tantinet syncopée, « Hiding from You » laisse généreusement crisser ses riffs crochetés tout en dispensant un duo mixte en voix claires savamment harmonisé et en phase avec son soyeux et ondulant environnement organique. A peine interrompus par les attaques en règle d'un growler caverneux et les tirs nourris d'une chorale devenue martiale, nos tourtereaux continuent leur petit bonhomme de chemin, le long d'une enivrante rivière de satin mélodique dans laquelle on retournera volontiers s'immerger.
Par ailleurs, comme il a su si bien le démontrer lors de ses précédents efforts, le collectif a cette rare faculté de nous retenir sans avoir à forcer le trait sur ses moments intimistes, à l'instar de ses mots bleus, esquissés ici avec délicatesse, sincérité, fertilisés par une indéfectible inspiration, et offrant diverses alternatives. Ainsi, un sirénien flux venu du fin fond des abysses nous parvient à l'aune de « A Speck in the
Universe », tendre et frissonnante ballade au délicat couplet que vient opportunément relayer un refrain où les séries de notes en cascade tombent juste, répondant alors en écho à des portées longuement pensées, savamment accouchées et restituées avec inspiration et maestria. Bref, un intimiste moment apte à nous en faire oublier beaucoup d'autres... Dans cette veine, mais dans une ambiance plus roots, des gazouillis d'oiseaux exotiques accolés au souffle éolien d'une flûte de pan nous parviennent sur l'instrumental « The
Hawk's
Lament », énigmatique interlude enchaînant, tout naturellement, sur «
Bane », radieuse ballade que pourrait leur envier
Delain ou
Xandria. C'est dans un tourbillon de saveurs exquises, dans un climat apaisant et progressivement luminescent, que nous conduit une instrumentation jouant sa partition avec inspiration à laquelle répond en écho une sirénienne apparition incarnée par la maîtresse de ces lieux, plus habitée et séductrice que jamais. Autant dire que l'émotion gagnera celui ou celle qui aura mis les pieds dans ces paradisiaques et suaves contrées. Enfin, au son d'une cornemuse samplée, telle une sérénade veloutée, l'aérienne ballade a-rythmique « Zauria », entonnée en espagnol, ferme la marche de ce voyage avec charme et volupté. En outre, une insoupçonnée et confondante juxtaposition de voix angéliques (mezzo-soprano et mezzo-alto) émergées des entrailles de la Terre-mère offrent alors un ravissant champ de contrastes avec la légèreté de l'atmosphère prodiguée par un corps orchestral quasi immatériel. Une grisante et émouvante scène à laquelle il s'avère illusoire de chercher à s'en extraire avant la note ultime sans esquisser une petite larme au coin de l'oeil. Et la boucle est bouclée...
A l'aune de cette quatrième livraison, le groupe espagnol a-t-il eu l'ambition de chercher à créer une œuvre totale, susceptible de reléguer ses précédentes productions au rang de reliques, aptes à stimuler un souvenir ému que d'aucuns viendraient raviver de temps à autres ? En fait, il ne s'agit pas tant d'une scission radicale avec ses fondements musicaux que d'une évolution artistique à laquelle s'est attelé le combo, et qui, au vu du colossal travail en studio, des progrès réalisés par chacun des membres dans son secteur, du potentiel scriptural, technique, organisationnel, accumulé pierre par pierre, est devenue effective. Souvent et délicieusement dynamique, parfois romantique, éminemment varié et mélodieux, voire original, empreint de maturité, ce propos témoigne également d'un certain tempérament et d'un peu de culot de la part d'un groupe qui a relevé le défi de prendre quelques risques mais les a totalement assumés et maîtrisés. Indices révélateurs de recherche d'éléments innovants pour un projet musical d'envergure désormais comparable à celle de cadors du genre. S'il ne révolutionne pas (encore) son registre metal d'appartenance, à l'instar de ce ragoûtant message musical, le collectif ibérique a indéniablement une belle, et même une très belle carte à jouer pour faire entendre sa voix.
Plus rien ne semble arrêter la colombe en plein vol...
Pari réussi pour la formation espagnole, une fois de plus en 2016 avec cet album riche, varié, élégant, brillant, à classer en 1ère division dans l'univers du metal symphonique. A écouter attentivement!
Album varié, mélodique, parfois brillant, suffisamment heavy, pas guimauve pour un sou.
Pour moi, l'album sympho de l'année.
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