Arrivée à l’autel
La chronique est la retranscription du sens et l’esprit d’une musique, or
Urfaust nous livre une musique nihiliste et désincarnée, imaginez donc la difficulté de vous peindre une telle musique. Voilà donc une œuvre monumentale inscrite sous le signe du néant, une sorte de
Ritual Black/
Doom Metal hypnotique et religieux, aux allures moyenâgeuses et païennes. Sans nul doute, nous avons à faire à un indicible ovni.
Les deux esprits régissant
Urfaust (IX et VRDRBR) ensorcèlent nos tympans depuis déjà huit ans, nous livrant des rituels puissants au nom d’une folie psychotique et possédée, et disons-le clairement, leur parcours jusqu’à ce jour fut un sans faute. Du Black
Metal sans en être, un mélange improbable de multiples influences, voilà un groupe bien loin de toute convention. L’incomparable
Urfaust poursuit seul sa route dans le néant, comme un mendiant volontaire (
Der Freiwillige Bettler) marchant, rampant au travers de la scène
Metal là où ses pieds le mèneront, sans se soucier de quelque frontière, sans but ni attente.
Libation et prière
De par son nom
Urfaust se réfère à Goethe, de par ses textes il se place sous l’égide de Nietzsche. Nous ne nous étonnerons donc guère que non seulement le titre de l’album fait référence à « Ainsi parlait Zarathoustra » (Quatrième partie, chapitre 8), mais également cinq des sept titres composant cet opus. Je me permets donc une digression synthétisant l’histoire du « Mendiant volontaire » de Nietzsche, « concept » même de cet album :
Cet homme jadis fortuné, dégoûté des mondanités bourgeoises et de son opulence, quitta sa condition privilégiée pour rejoindre celle des pauvres. Mais au lieu d’y trouver le bonheur, c’est la désillusion qui s’offrit à lui. L’homme apprit que fortunés et nécessiteux ne valent pas mieux les uns que les autres, tous ne sont qu’immonde populace. Le vieux mendiant volontaire s’en alla parler aux vaches et apprendre à ruminer et paresser, seul là se trouvait le bonheur des Hommes.
La philosophie de Nietzsche fait à tel point partie de l’identité du groupe que nous retrouvons son portrait sur la dernière page du livret. A propos du booklet, la couverture représente le lieu cérémoniel de nos deux confrères, la cave à vin (aux allures de crypte) de sieur IX, baignée dans la blafarde lumière de quelques bougies.
Immolation
Moins agressif que « Vom Gesicht und Rätsel » et moins ambiant que «
Drei Rituale Jenseits des Kosmos », «
Der Freiwillige Bettler » se rapproche du brillant «
Geist ist Teufel » et ses allures de débauche païenne rappelant les festifs chants moyenâgeux sur une base de Black et de
Doom. Tempo lent, guitares lourdes à l’image de la souffrance humaine reflétée par l’œil désabusé de cet ermite égaré, ascète dépravé vacillant entre la raison/le génie et la folie, battant les sentiers d’un monde sans valeur, illusoire et infiniment vide.
Examen des entrailles
Le rideau s’ouvre, le mendiant volontaire («
Der Freiwillige Bettler ») se met en scène, nous voilà entrain d’assister à une burlesque cérémonie aux allures de mélodrame baroque, grotesque, occulte, dérangeant et avant tout fascinant. Conformément au nihilisme prêché par le binôme, cette musique remet en cause toute convention, structure et limite de genre. A commencer par ce chant intoxiqué et possédé, absolument improbable et inclassable : L’on passe des larmoiements pleurnichards aux rires sardoniques, des gémissements plaintifs et maladifs aux ricanements les plus sournois, des cris de damnés à un chant sentencieux et religieux. Un répertoire vocal incroyable mélangeant chant grégorien, incantatoire, shomyo, théâtral,… célébrant un rituel orgiaque et paillard aux incantations loufoques, pestiféré et schizophrène (chaque voix exprime/chante un caractère). Bref, le chant ultra varié du maître de cérémonie, IX est phénoménal.
Les instruments sont, je vous rassure, loin d’être en retrait. Un synthé hypnotique, outrageusement bien maîtrisé, dialogue avec des riffs entraînants et bourrés d’ambiances, tantôt Black, tantôt Folk, tout deux étant littéralement rivetés par les coups assommants d’une batterie lourde et répétitive, pas forcément technique, mais dosée avec la plus grande exactitude, certains ne manqueront pas d’y voir quelques similitudes avec le jeu d’Antoine Hadjioannou (
Aluk Todolo). On notera finalement la participation de
Gwydion Sagelinge (
Galgeras) quant à la composition des paroles de « Der Zauberer ».
Banquet
Ecouter
Urfaust, c’est plonger dans un fascinant univers rituel, aux structures sinueuses vous entraînant dans l’ivresse d’une valse morbide, sur un air incantatoire, jusqu’aux confins des ténèbres. Théâtral, grandiloquent et à la fois occulte et hypnotique. L’auditeur assiste à un rituel orgiaque, pervers et désincarné étant toutefois entouré d’une aura mystique, magique. Une musique pas évidente à appréhender, voire difficile d’accès, mais ô combien grandiose.
«
Der Freiwillige Bettler » en trois mots : Rituel, Intoxiqué, Nihiliste
Un Chef-d'Oeuvre habité par l'occulte.
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