Les mégalopoles. Leurs stress, leurs pressions, leurs violences, leurs démences et leurs industrialisations. Autant d’éléments que tenait à décrire
Devin Townsend avec son second album en solo, définitivement envolé du nid d’or de
Steve Vai et sous la bannière aussi étrange que barré de
Strapping Young Lad.
Bercé par la folie la plus pure et la plus grandiloquente, Devin n’a jamais tout à fait compris le sens de son œuvre, comme étranger de son succès personnel et apercevant avec un désarroi presque complet que "
City" allait devenir la référence de toutes une génération ralliée à la cause d’une brutalité exacerbée sous une couche atmosphérique aussi splendide que complexe.
En véritable alchimistes et génies fous, Devin et son fidèle lieutenant, l’incroyable batteur
Gene Hoglan sont parvenus à révolutionner dans l’ombre un genre qui commençait à lutter pour sa survie et se demandait comment ne pas être dans l’obligation de se mordre la queue.
Face à une scène alors extrêmement urbaine avec notamment
Korn ou
Machine Head (qui se préparait à dégringoler de son fauteuil d’empereur !), S.Y.L frappa dans son parfait opposé ; là où la complexité et la furie n’avait d’égale que la simplicité d’accès et la fluidité de la musique. Et pourtant, "
City" n’acquit son statut légendaire que quelques années suivant sa sortie. Les métalleux, tous plus occupés à attendre le décollage de Slipknot ou les délires de
System Of A Down, passèrent outrageusement à côté de ce chef d’œuvre destiné à trôner jusqu’à la nuit des temps au panthéon des albums intemporels et inestimables.
Commençons par le commencement. La production de cet album, en partie responsable de son impact. Qui pouvait se vanter de posséder un mur sonore aussi violent et impulsif avant "
City" ? Qui pouvait se targuer d’avoir infligé à tout le monde une leçon aussi grande avant lui ?
Daniel Bergstrand, le responsable de cette monumentale claque n’avait jusqu’alors pas démontrer autant de savoir faire avec
Meshuggah, mais cet opus, que l’on pourrait rapprocher de l’esprit du
Fear Factory de l’époque, restera comme un exemple, un cas d’école pour tous ceux rêvant de prouesses sonore aussi poussées, aussi extrême oserais-je dire.
Car être capable de mixer un cinglé comme Devin se révélerait aussi périlleux que de tenter de comprendre son art dans les fondements. Une masse sonore aussi compacte qu’audible, comme un énorme et imprévisible poing détruisant votre mâchoire maculée de sang, aux délires imprévisibles et expérimentations industriels presque toutes différentes, et réalisées dans une volonté de faire respirer la musique et non l’étouffer comme on pourrait le croire, simplement pour faire vivre un déluge de brutalité si grand qu’il pourrait en devenir incohérent. Incohérent Devin ? Jamais.
La première baffe se nomme "Velvet
Kevorkian" et se retrouve terminée aussi vite qu’est s’est plantée dans notre visage. Intro massive, dévoilant le spectre sonore si spécifique à l’album, provoquant un sentiment d’oppression et de domination de la musique sur l’auditeur n’ayant déjà plus aucun contrôle sur lui-même. Les premières interventions vocales de Devin se font entendre au loin, comme étouffées par une technologie encore incontrôlée puis…"All
Hail the New
Flesh".
Monstre musical d’une densité sonore quasi indescriptible, il dévoile un album en contact perpétuel avec le précipice, ce ravin sans fond qui nous condamnerait à errer pour toujours dans les méandres de la folie la plus pure et représentative de l’homme dit moderne. Devin hurle comme personne ne l’avait fait avant lui, comme si chaque hurlement était un soulèvement de masse, une prise de conscience sur la triste vérité sociale nous entourant, tandis que
Gene atteint une rapidité si démentielle que la batterie ne parait plus humaine mais fortement mécanique. Mais ce qui impressionne sur ce titre est probablement la multiplicité des claviers. En nappes, industriels grinçants ou encore simplement pour fluidifier le son, ils se placent comme un élément indispensable de la production de "
City". Cette impression de se faire écraser par un char (recette qui fera le bonheur de
Gojira par la suite !), AHTNF est aussi beau et majestueux que fou et brutal.
Brutal ! "Oh My Fucking
God" ou l’expression la plus singulière et noble de la brutalité barge, démentielle et inhumaine de S.Y.L. Ultra rapide, des riffs d’une violence inouïe, une double pédale vous massacrant littéralement les tympans, une basse accompagnant la charge et surtout un Devin impérial et bestial. Une démence quasi grind par moment, mais également un des phrasé les plus rapides et inhumain qu’il m’est été donné d’entendre pour atterrir sur un refrain massif, mélodique ( ?) comme une source d’espoir avant de sombrer définitivement dans le déséquilibre mental habitant l’intégralité de cet album.
Souvent qualifié de noir, la violence présente pendant ces quelques trente huit minutes ne représente pourtant rien de particulièrement malsain (quoi que les vomissements caverneux de "Oh My Fucking
God" ne laisse jamais indifférent !) mais divinement cinglé, qu’une âme normal n’aurait de toute façon pas pu écrire ni enregistrer, autant empreint de spontanéité que de perfectionnisme.
Car loin de proposer une lecture monolithique, "
City", comme toutes œuvres dignes de ce nom, possède un panel de lectures toutes aussi différentes que passionnantes. Certains pourront se limiter à l’impact premier, la violence indescriptible, la puissance dantesque et la folie barge habitant chaque ligne de chant et chaque partie de batterie. L’on pourrait alors classer "
City" comme un album bourrin, très bourrin.
Mais nous pourrons aussi nous pencher sur la musicalité du contenu, la technicité ou encore la richesse si importante que les centaines d’écoutes ne suffisent pas à en faire le tour convenablement et exhaustivement.
Prenons "
Home Nucleonics", probablement le titre le plus direct et fou à lié. Son écoute est un moment purement jouissif, ses solos un destructeur de clavicules et ses attaques de
Gene aussi incroyables qu’injouables. Mais son approfondissement est tout aussi intéressant, comme par exemple l’épanchement de schizophrénie proprement terrifiant de Devin sur le pont, après le déluge de sonorités avant-gardistes accompagnant les solos.
Brutal dans la forme, dérangeant dans le fond.
Mais passer sous silence "AAA" serait également un blasphème. Premier apaisement sonore de l’album, il dégage une pression d’autant plus forte que le tempo à considérablement ralenti, pour alourdir une atmosphère plus polluée et invivable que jamais nous retrouvant face à un Devin aussi énervé que désabusé, hurlant une colère et non une haine, une incompréhension face à une intelligence humaine à jamais bafouée.
Tandis que S.Y.L réarrange de façon très personnel le "Room 429" du défunt groupe de rock Cop Shoot Cop, il me semble opportun de décrire un dernier titre, surement le plus impénétrable et laissant le sentiment le plus contradictoire, car continuellement figé entre démence et raison : "
Underneath the Waves".
Une nouvelle fois d’une rapidité excessive, c’est encore le chant qui subjugue, coincé entre la folie la plus pure, le déchainement des passions (quel refrain ! Magnifique où l’équilibre entre la brutalité mariée aux claviers et chœurs est à son paroxysme !) et la raison, la compréhension et la l’acceptation de sa propre déchéance. Les arrangements indus apportent une couleur spatial et très étrange au morceau, dont seul Devin pourrait être le chanteur.
L’unique et minime dérapage pourtant très contrôlé pourrait prendre la forme d’un "Spirituality" légèrement inutile mais ouvrant un passage, une porte vers ce que deviendra "
Ocean Machine" et "
Infinity" une fois Devin en proie à ses démons intérieurs l’envoyant tout droit dans l’enfer de l’univers carcéral psychiatrique.
La folie fut analysée comme étant une part active du subconscient par Freud, elle fut écrite par Baudelaire dans des poèmes si noirs que la politique les prohibera pour cause d’atteinte à la moralité.
Devin Townsend entra dans l’histoire comme étant l’homme ayant réussi à capter au plus près cet état à travers les sons et à l’immortaliser de façon auditive.
Ps : une chronique peut-être un peu longue…mais c’est la centième alors, ni lois ni règles !
The New Black m'avait pas du tout fait accrocher mais cet album est tout bonnement monstrueux ! Rien que le riff de la piste ALTNF à 2:15 m'a fait frissonner de plaisir. Une claque, une vraie.
un bon complément avec le reste de la disco de Mr townsend et son project. (plus orientée comme le nomme townsend lui même vers le HAPPY metal )
Le premier concert de SYL (lors de la sortie de City) à Paris était en première partie de Samael au club Dunois dans le 13ème (très petite salle), et quasiment tout le monde était là pour Samael et non SYL. Ils se prirent ce soir là une claque monumentale.
Mechante chronique! Bravo!
SYL est 1 machine de guerre ...et vient de lancer sur orbite 1 disque juste sensationnel.
Mais comment devin a t il fait pour imbriquer autant d elements dans 1 seul album pour delivrer un tel condensé de violence .... je suis absolument fan...
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