Devin Townsend est un grand hyperactif, comme le démontre les sorties d’albums très peu espacées de ses différents projets ("
Alien" en 2005, "Synchestra" début 2006, ce "
The New Black" mi-2006 et "Ziltoid the Omniscient" en 2007).
Ce génial bourreau de travail revient donc en cette année 2006 pour ce qui restera le dernier album studio de
Strapping Young Lad, et également le moins bon. Alors oui je mets 17 car il reste largement au dessus de la moyenne des sorties, mais est sans doute plus faiblard que les autres opus de S.Y.L.
Cette chronique pourrait être très courte. Le "vrai" Strapping (entendez par là celui de "
City") est mort et "
The New Black" est mou, inintéressant et à des années lumières de la violence novatrice d’antan. C’est en tout cas ce que l’on retrouve sur la majorité des chroniques du net, à mon grand regret. Car cet album ne s’écoute pas comme les autres, oui, c’est certain, mais plutôt comme un album de
Devin Townsend, c'est-à-dire avec une immense ouverture d’esprit et un total oubli de ce que nous connaissons. Faire le vide dans son esprit est une étape primordiale avant l’écoute de ce genre de disque. Et pour ceux qui diraient que Devin ne possède plus la rage, faites leur écouter un petit "You
Suck" qui défonce tout sur son passage avec la finesse d’un bulldozer.
Mais ce qu’il faut comprendre (et c’est sans doute le plus dur), c’est que la scission entre
Devin Townsend Band et S.Y.L était devenu très mince sur ce disque, voir inexistante. Car à l’écoute du fabuleux "Antiproduct", c’est bien "
Infinity" qui vient à l’esprit, et non Strapping. Ce mélange de brutalité complètement débridée (les hurlements vocaux notamment entourés de délicieux effets) associés à des cuivres et des trompettes sur le break démoniaque rappelle instantanément le magique "Bad
Devil" du ‘sieur en solo. Et que dire de "
Monument", le morceau suivant, s’ouvrant sur une rythmique de plomb rapidement coupée par des arrangements de voix superbes et uniques à Devin, que l’on pourrait rapprocher de "Physicist". Et comment ne pas évoquer ce refrain absolument génial, martial et tribal sur lequel vient s’ajouter des percussions discrètes mais bien présentes. Les claviers ont une place encore plus importante que sur "
Alien", et le chant de Devin est simplement extraordinaire, bien plus humain et désespéré qu’avant, mais également d'une bestialité que nous ne lui connaissions pas.
C’est également un point important à noter. Alors que les autres opus se distinguaient de la masse par une folie destructrice et créatrice de tous les instants, "
The New Black" se fait plus désespéré, plus poétique presque et empreint d’une mélancolie certaine. Un disque où Devin (qui, plus que jamais, marque de son empreinte l’album) semble anéanti, à bout de force et à l’agonie. "
Wrong Side" en est un parfait exemple ! La brutalité du morceau vient du tempo très élevé mais le chant clair du refrain (aérien et en superposition d’un solo joué par Devin lui-même) dégage une fatigue et un dégout de la vie dans une technicité n'ayant jamais été aussi ahurissante.
Idem sur le titre-track qui, après la magnifique intro "Polyphony" (très proche de l’intro de "A Simple Lulabby" sur "Synchestra"), dévoile un tempo lourd et pachydermique comme le groupe n’en a presque jamais proposé. Un morceau différent pour le dernier titre du dernier album ! Devin y semble plus exténué que jamais ("I’m broken […] Superficial in time" !), comme s'il se rendait compte que la bataille était finie, que le combat était bel et bien terminé, le morceau s’achève sur des crépitements apocalyptiques.
Cet album est-il mauvais pour autant ? Mille fois non. "
Hope" restera sans doute parmi mes morceaux favoris du groupe, tant il est original. Après un départ lent et martial, les vocaux bestiaux et cataclysmiques de Devin tiraillent le titre jusqu’à la longue pause instrumentale, où la tension grimpe de manière exponentielle avant de littéralement exploser dans un déchainement de décibels (
Gene Hoglan est un dieu, définitivement !) assez incroyable pour ceux qui ne serait pas préparés. Unique et jubilatoire. "Fucker" est également une chanson bien à part, quasiment dansante (enfin, pour
Strapping Young Lad !), sur laquelle le chant d’une femme inconnue nommé
Bif Naked (vous lisez bien oui !) vient se poser sur le premier couplet avant de laisser place à un Devin cette fois très cool, où il se lâche complètement et balance un fuck toutes les cinq secondes sous toutes les sauces mais en pondant un refrain tellement catchy (du grand art !) que nous nous retrouvons à gueuler "Fucker, You Fucker" comme un taré, avant de se faire achever par le solo très heavy, virtuose et taillé pour le live de Jed.
"Almost
Again" calmera nos tympans endoloris avec ces mélodies de voix propres à Devin en solo, atmosphériques et ultimes, tout en nous attaquant vicieusement sur un blast jouissif de
Gene où Devin se déchaine et nous enchante.
"
The New Black" est donc un disque moins novateur, moins génial d’un point de vue musical et artistique mais une baffe énorme d’un point de vue émotionnel. L’album prend au tripes comme "
Infinity" le fait car on a l’impression que Devin (car c’est bien de lui qu’il s’agit) se livre à nous, nous conte sa souffrance et ses déceptions (la société mercantile notamment, et la destruction de l’art) de la vie. Une psychiatrie du cerveau dérangé d’un être exceptionnel au parcours extraordinaire. Un grand disque pour un grand homme. Merci !
Si je poste ici, c'est juste pour une question : Chroniqueras-tu City?
Mais le fait qu'il y est déjà une chronique (et bonne de surcroit) fait que ce n'est pas ma priorité!
"City" reste un monument que je me ferais un plaisir de décortiquer, même si je place "Alien" au même niveau, comparé à l'éponyme "S.Y.L" bordélique et chaotique, mais moins musical.
Merci pour cette chronique!
Aujourd'hui, je redécouvre cet album, que dire, ce monument qui ne m avait pas du tout emballé à sa sortie, une œuvre majeure en avance sur son temps, le pied total !
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