Certains groupes, sans le savoir, sortent parfois une œuvre qui marquera à jamais tout un genre musical, sans la moindre prétention d’avoir voulu révolutionner quoi que ce soit, et souvent sortie au début dans une indifférence générale. Le metal en dissémine plusieurs de ces œuvres, que ce soit l’album éponyme de
Korn en
1994 qui lança le néo-metal, ou "
Scream Bloody Gore" de Death qui popularisa le death metal. C’est également le cas de l’album dont il est question aujourd’hui, "
Alive or Just Breathing" de
Killswitch Engage, sorti en 2002, considéré comme le véritable initiateur du metalcore, genre qui, qu’on le veuille ou non, aura un impact massif dans l’histoire du metal moderne.
Si l’alliance entre le hardcore et le metal existait bien avant la sortie de cet album, avec, dans les années 90, l’apparition de nouveaux groupes directement issus du milieu hardcore qui ont implémenté quelques discrets éléments metal dans leurs compositions, donnant lieu à une nouvelle forme de hardcore « metallique » défendu par des formations comme
Agnostic Front,
Earth Crisis,
Hatebreed ou encore
Madball, on ne pouvait pas encore véritablement parler d’une fusion entre les deux genres, l’aspect metal n’étant là que pour apporter plus de lourdeur et d’impact aux compositions hardcore (même si au fil des années ces éléments se montraient de plus en plus présents).
Issus de cette nouvelle génération de formations hardcore des années 90,
Aftershock et
Overcast officiaient dans la scène du Massachusetts avec un hardcore agressif aux aspects metal particulièrement présents. Probablement dans un désir créatif d’aller plus loin dans la fusion du hardcore et du metal, sans doute motivés par la découverte de la nouvelle scène melo death scandinave, les deux groupes ont décidé de fusionner pour ainsi former
Killswitch Engage, avec Adam Dutkiewicz alors encore batteur, le guitariste Joel Stroetzel venant d’
Aftershock, le bassiste Mike d’Antonio d’
Overcast, rapidement suivis par Jesse Leach, alors vocaliste de
Nothing Stays Gold. Un premier album éponyme sortit en 2000, qui avait déjà posé les bases de ce que deviendra le metalcore, avec un mélange plus équilibré entre le metal et le hardcore, et des vocaux jonglant entre ces deux univers musicaux, avec, à quelques occasions, du chant mélodique.
Deux ans plus tard sort donc leur deuxième album, "
Alive or Just Breathing". Entre-temps, d’importants changements sont à noter. Adam Dutkiewicz abandonnera la batterie pour devenir guitariste, et un nouveau venu du nom de Tom Gomes viendra occuper le poste de batteur. D'autre part, le groupe laissera de côté Ferret pour signer avec la grande maison de disques Roadrunner Records, et Dutkiewicz en personne se trouvera une deuxième fois aux manettes de la production. Ce second effort voit le groupe étendre encore plus le son metalcore établi dans le premier album, en poussant plus loin la fusion des deux genres.
La principale nouveauté provient de l’injection aux compositions hybrides hardcore/death metal d'un indéniable sens de la mélodie qui magnifie, épure et varie davantage chaque chanson et qui, bien loin d’appauvrir l’agressivité du son, l’accompagne et la complète de la plus ingénieuse manière en proposant une nouvelle forme d’intensité émotionnelle que ne peut faire sentir l’agressivité du hardcore. Cette nouvelle approche musicale est rapidement constatée avec la première chanson, « Numbered Days », qui débute avec agressivité, balançant breakdowns hardcore et riffs rapides melo death accompagnés par la voix enragée de Jesse Leach, avant de couper court avec ce chaos musical en offrant un refrain mélodique chanté. Cette nouvelle formule se voit appliquée à merveille avec les chansons suivantes, à commencer par « Self-Revolution » au sublime refrain mélodique aéré dont l’intensité qui en découle accompagne à merveille celle des parties hardcore ; « Fixation on the
Darkness » aux riffs d’intro virils directement issus de la scène hardcore 90, parfaitement calibrés pour faire bouger les plus gros gigs, suivis d’un refrain doux en contradiction totale avec le reste de la chanson et doté d’un fort effet fédérateur ; ou encore «
My Last Serenade » à la puissance émotionnelle prodigieuse grâce à sa belle intro douce acoustique/atmosphérique et son refrain évocateur de forts sentiments sincères. Les dits-refrains donnent lieu à des plans plus ouverts, plus atmosphériques, mettant en avant le chant mélodique de Jesse Leach, et de ce fait laissant un peu respirer la chanson du chaos hardcore, avec une portée plus optimiste et plus lumineuse. Les parties agressives, quant à elles, multiplient les riffs énergiques et les breakdowns assénés par les impressionnants hurlements de Jesse.
Car oui, si Jesse Leach se distingue principalement par l’apport de parties chantées, chose inhabituelle et inédite à l’époque venant de quelqu’un issu de la scène hardcore, il se distingue également par la puissance de ses hurlements. Il y a quelque chose de vraiment spécial dans ceux-ci, on sent une profonde rage, une rancœur, un sentiment d’urgence. Ses hurlements sonnent cru et brutaux, leur donnant un aspect suffocant et ravageur. Les dantesques « To the Sons of Man » et « Vide Infra » reflètent bien cela, avec quasi exclusivement des hurlements transmettant toute la colère de son auteur, pour un résultat particulièrement brutal, parfois quasi-deathcore avant l’heure. Ces deux chansons témoignent aussi de la volonté du groupe de ne pas appliquer de manière répétée une même formule, aussi novatrice soit-elle pour l’époque. Et quoi de mieux que le superbe « Just Barely Breathing » pour illustrer cela. Débutant par une longue intro calme faisant penser à du
Metallica, elle évolue vers un lourd riff bien sludge qui prend son temps pour se développer, avant que le tout s’accélère accompagné par la rage toujours aussi intacte des hurlements du chanteur. Le refrain mi-chanté mi-hurlé, questionnant l’intérêt même de l’existence de la vie des personnes dans des sociétés modernes comme les nôtres (donnant au passage le titre de l’album, "
Alive or Just Breathing", tiré des paroles de cette chanson), donne une nouvelle façon intéressante d’exprimer une émotion, en dehors du chant.
Mais la chanson qui, indéniablement, fait preuve de la plus grande créativité dans cet album, est le marquant « The
Element of One ». Débutant à la guitare acoustique, chose absolument impensable à l’époque venant d’une formation aux origines hardcore, elle propose une structure beaucoup plus centrée sur le refrain aéré, afin de limiter les hurlements et laisser plus de place à des émotions plus douces et rassurantes, guidée par le chant de Jesse qui n’en demeure pas.
La guitare acoustique refait une remarquable réapparition avec l’interlude instrumental « Without a Name », venu offrir un dernier souffle d’apaisement avant d’être complètement achevé avec le final « Rise
Inside », qui reprend la formule des premières chansons de manière fort épique.
A noter que deux chansons, le terrible «
Temple from the Within » et « Vide Infra », sont des réenregistrements de titres issus du premier album. Consciente de l'importante amélioration de la production dans cet album par rapport au précédent opus, la formation a jugé intéressant de reprendre ces deux chansons qui présentent un fort potentiel afin de mieux les valoriser en bénéficiant d’une meilleure production. Bien leur en a pris, car ces deux pistes tirent beaucoup d’avantages de ce nouveau traitement, chacune surpassant l’originale en sonnant plus clair, en plus d’apporter plus de variété à l’album. «
Temple from the Within » devient de ce fait l’une des meilleurs chansons, grâce à ses riffs succulents, ses breakdowns absolument ravageurs et la performance sans-faute de Jesse.
Ce traitement d’exception, on le doit à Adam Dutkiewicz, qui s’est occupé de toute la production et la mise en place technique qui va avec, en plus d’avoir lui-même enregistré toutes les parties de batterie, conférant à cet album un esprit « do it yourself » propre à la scène hardcore. Le résultat reflète on ne peut mieux le cœur et l’esprit de
Killswitch Engage. Le son est propre et a la particularité de maintenir un même niveau d’intensité tant pour les parties hardcore que pour les parties mélodiques, les chansons ne souffrent à aucun moment d’une baisse ou d’un changement de qualité à cause de ces variations, bien au contraire. Un remarquable travail pour un nouveau venu dans l’industrie musicale, et qui montre toutes les qualités de production d’Adam, qui se confirmeront largement par la suite puisque, en plus de continuer d’assurer la production des prochains albums de son groupe, il produira également moult albums de nouvelles formations metalcore à succès.
Quant au contenu lyrique, il est exceptionnel. Car, plutôt que de faire traverser l’auditeur dans d’innombrables chemins menant vers des sentiments négatifs et pessimistes, les paroles cherchent plus à orienter vers un certain degré de prévention, en délivrant des messages sur la tolérance invitant à traiter son prochain avec respect sans prendre en compte la race ou les origines (« Vide Infra », «
Temple from the Within »), sur l’optimisme et le fait de croire en l’espoir («
My Last Serenade », « The
Element of One ») ou sur comment faire de ce monde un lieu plus agréable à vivre (« Just Barely Breathing », « Self-Revolution »). Les messages évoqués sont sincères et dénués de toute forme d’idéologie, l’objectif étant de transmettre de forts messages humanistes et universels le plus simplement possible.
Sans le savoir,
Killswitch Engage vient de sortir une œuvre qui va révolutionner et réinventer le metal moderne, mais également le hardcore. La formation américaine n’a suivi les codes d’aucun genre musical et a ignoré toute forme de tendance, en se contentant de suivre son cœur et sa passion pour la musique. "
Alive or Just Breathing" voit le groupe dépasser les horizons metal et hardcore, pour en faire quelque chose qui deviendra très vite une référence qui marquera à jamais les prochaines années d’existence du metal. A la suite de la sortie de cet album, nombre de groupes hardcore s'essayeront au metalcore, et nombre de nouvelles formations de metalcore commenceront à surgir, reprenant avec succès la formule établie par
Killswitch Engage :
Avenged Sevenfold,
Eighteen Visions,
As I Lay Dying,
All That Remains,
Trivium,
Atreyu,
Caliban…confirmant de ce fait l’existence d’un nouveau genre du metal.
Malgré le succès de ce deuxième album et à son fort impact dans cette scène, le chanteur Jesse Leach décidera peu après sa sortie de quitter le groupe. Il présentera sa démission de manière très froide, en adressant un simple e-mail aux autres membres, invoquant ses problèmes de dépression qui pèsent lourd à son activité au sein de la formation, ainsi que son désir de passer plus de temps avec sa femme avec qui il s’est récemment marié. Si ce départ pourrait paraître de prime abord comme fatal pour
Killswitch Engage, le groupe se relèvera de fort belle manière en recrutant comme remplaçant le grandiose Howard Jones, dont le passage donnera toutes ses lettres de noblesse au genre et au succès du groupe. A suivre donc…
Un chef-d’œuvre du metalcore, certainement l'une des œuvres metal les plus grandioses de la décennie 2000. De belles mélodies, des breakdowns bien pensés, une musique très énergique, de la brutalité maîtrisé, des paroles très inspirés et j'en passe. Jesse Leach était définitivement un membre historique de la formation, sa trace est indéniable au sein du groupe même durant les dix ans avec l'incroyable Howard Jones.
Sans doute l'un des albums m'ayant le plus marqué, certaines chansons sont carrément ce qui s'est fait de mieux dans le genre, particulièrement My Last Serenade et Self Revolution ! UNE TUERIE !!
Sacrée album ! marquant définitivement l'histoire du metalcore
Je viens de me le réécouter, il ne vieillit pas, presque vingt ans après toujours une énorme baffe
Je confirme pour l'énorme baffe 20 ans après
C'est le seul album que j'ai d'eux et je me demande bien pourquoi!
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