Otargos est un groupe assez atypique sur la scène black française. Depuis ses débuts, le quatuor a rarement laissé indifférent, évoluant dans un black très froid, tranchant et cosmique comportant autant d’admirateurs que de détracteurs; après un No
God No
Satan assez mitigé, le groupe surprend son monde en 2013, tournant le dos au petit macrocosme black trop étriqué pour ses ambitions musicales, et sort un album de dark metal moderne et fracassant très réussi,
Apex Terror. Il était désormais temps pour les Bordelais de confirmer ce changement de style, et c’est donc à point nommé qu’
Otargos nous revient avec son sixième album, Xeno Chaos, fort d’un line-up remanié et d’un nouveau deal avec Kaotoxin.
Et le tout démarre sur les chapeaux de roue : Dominatrix, dont le début fait pas mal penser à du Septic
Flesh, lourd, majestueux et menaçant à la fois, avec une entame assez grandiloquente et presque symphonique, nous pulvérise d’entrée, explosant inévitablement en un blast beast qui nous écrase par la puissance et la vitesse de sa frappe; la batterie cogne sans discontinuer, ce mur de cordes, accordé très grave, effroyable de pesanteur, et par-dessus tout, cette voix infernale, rauque, puissante et hargneuse qui préside à cette cérémonie sombre et dérangeante, nous font d’entrée faire ce constat sans appel :
Otargos est un monstre, un de ces géants à la puissance phénoménale qui semble émerger d’un repos millénaire pour libérer ici toute l’énergie destructrice qui sommeillait en lui depuis ses débuts.
En effet, le groupe achève ici brillamment la mue amorcée sur
Apex Terror, évoluant désormais dans un dark metal apocalyptique lorgnant largement du côté d’un death aux riffs simples, saccadés et hypnotiques qui vous perd dans les boucles noires et glaciales de son univers de désolation.
Le titre se termine sur ce riff hypnotique et traînant vibrant de désespoir, qui s’accroche salement dans un coin de votre esprit perverti, les blasts faisant place à une double pédale infatigable et les grognements de
Dagoth se cristallisant en une agression black criarde qui mue l’attaque frontale en un harcèlement plus pernicieux mais toujours aussi intense.
The Ruinous
Power vient aussitôt confirmer douloureusement que, même dans ce metal mid tempo rampant et sournois,
Otargos excelle, balançant des riffs toujours aussi poisseux que lourds semblant émaner d’un bâtard abject entre black déshumanisé et indus nihiliste et contaminé, nous condamnant à balancer furieusement la tête de bas en haut comme des zombies décérébrés jusqu’à ce qu’elle se détache de la poulie rouillée de notre cou.
Chariots ov the Godz, titre incroyable à l’intensité phénoménale, servi par un blast impitoyable, un riff black entêtant qui déchire les tympans, le cœur et l’âme ainsi que des vocaux black hurlés et effrayants, enchaîne sur
Dark Mechanicus, plus longue plage de l’album avec ses 6,48 minutes à la gravité oppressante et sélénite, vous enfonçant six pieds sous terre à coups de riffs extrêmement pesants et mécaniques et d’une batterie à l’écho jupitérien; a fin du morceau est tout bonnement magnifique, transcendée par cette boucle électronique algide et désespérée, rappelant le meilleur d’
Hypocrisy. Le morceau s’achève sur un bourdonnement diffus et la voix de plus en plus déchirée d’un
Dagoth qui hurle sa détresse, et l’enchaînement des deux morceaux, l’un extrêmement rapide et direct, l’autre lent, grondant, sourd et menaçant, est parfaitement représentatif du nouveau visage d’
Otargos, sorte d’être hybride aux deux faces aussi repoussantes qu’attirantes.
Car effectivement,
Otargos ne relâche jamais la pression, parvenant à rester toujours aussi intense tant dans les mid tempos que dans les parties de blasts tonitruantes qui dévastent tout sur leur passage, rappelant le meilleur de
Behemoth. Certaines parties de guitares semblent le fruit pourri d’un
Ministry ou d’un
Fear Factory déglingué et dépressif qui se mettrait au dark metal, quant aux mélodies insidieuses, myriades de notes de guitares hurlantes et aigres qui nous rongent les os comme une pluie d’acide, elles sont vicieusement calculées pour se loger dans notre boîte crânienne et ne plus en sortir, prenant possession de notre esprit vide sans même que l’on s’en rende compte.
Le clavier, agissant par touches parcimonieuses et glaciales, vient ajouter une ambiance de fin du monde extrêmement prenante, diffusant des nappes ambiantes inquiétantes et quelques petites touches électroniques anxiogènes qui portent le potentiel nihiliste de ce Xeno Chaos à son paroxysme.
Malgré une technique indéniable, le tout semble extrêmement simple grâce à une fluidité saisissante, agissant avec une efficacité directe, mécanique, froide et irrésistible, restant très facile d’ accès malgré une violence parfois cataclysmique : l’approche très moderne, mise en avant par ces riffs saccadés et ces bidouilles technoïdes, ainsi que le son, titanesque, qui nous enveloppe dans son épaisseur suffocante, nous immergent littéralement, et nous assaillent d’images macabres, nous propulsant dans la vacuité d’un vaisseau jonché de cadavres extraterrestres, perdu dans la noirceur glaciale du cosmos, désert, hostile et infini, là où personne ne peut vous entendre crier. Et effectivement, tout l’album est centré sur l’univers violent et apocalyptique de
Warhammer 40000, décrivant des guerres intergalactiques sans merci.
Les Bordelais achèvent de nous pulvériser sur un
Human Terminate à la violence débridée et parfaitement maîtrisée qui porte plutôt bien son nom, terriblement rapide, écrasant et incisif, petite bombe de death black moderne qui, en moins de trois minutes, clôt un album magistral et ne fait aucun survivant.
Si la musique d’
Otargos n‘est pas d’une originalité à toutes épreuves, son homogénéité et son efficacité sont redoutables.
Seul petit bémol de Xeno Chaos, sa très courte durée : les quelques privilégiés qui auront la chance de posséder l’édition limitée pourront profiter d’un
Infernal Legions Strike A.E. de plus de 13 minutes, tandis que les autres devront se contenter de 34 petites minutes seulement, ce qui est bien peu au vu de la qualité de la galette.
Néanmoins, quoi qu’il en soit et quoi qu’on en dise, cette galette est une bombe : glauque, noire, mécanique, poisseuse, lourde, violente, oppressante, moderne, hypnotique et terrifiante, la musique d’
Otargos ne pourra pas vous laisser indifférent.
Si pour beaucoup, l’album de l’année dernière en matière de metal extrême lourd et sombre était The
Satanist, 2015 voit l’avènement incontestable de Xeno Chaos, qui à mon sens supplante largement l’oeuvre des Polonais en matière de compacité et d’intensité. Il n’y a pas grand-chose à ajouter mais si vous n’avez pas encore compris, soyons encore plus diects : Xeno Chaos est tout simplement un must de cette fin d’année, une œuvre racée et destructrice totalement incontournable pour tous les amateurs de black death moderne et sombre, et qui redonne à
Otargos une légitimité indiscutable sur la scène extrême française. Courez l‘acheter, ou craignez a fureur de la Bête !
Pour moi, la description parfaite de cet album serait black death moderne aux relents d'indus, mais ça fait un peu long comme étiquette, et finalement, on s'en fout, l'essentiel reste bien la musique!
Concernant l'influence cyber ou la ressemblance avec Nine Inch Nails, je ne crois pas en avoir fait mention dans ma chronique, je parle surtout de Fear Factory par rapport au riffing, très moderne et saccadé, et je parle d'indus par rapport à l'ambiance, à la fois mécanique, futuriste et malsaine qui se dégage assez largement de l'album.
Les bidouilles électro, incarnées par quelques boucles et des claviers ambiant, sont discrètes, je te l'accorde, mais tout de même présentes, elles contribuant d'ailleurs à créer cette ambiance de fin du monde, et c'est justement ce qui distingue à mon sens Otargos d'un groupe de black death lambda.
Enfin, je n'ai jamais dit que la musique des Bordelais était originale (je crois même avoir écrit le contraire!), mais la qualité, l'intensité et l'homogénéité de la galette m'ont poussé à lui mettre cette excellente note.
Quoi qu'il en soit, ton commentaire montre bien que tu as lu attentivement ma chronique, et je t'en remercie. Et mea culpa pour le nom de l'album, là-dessus, je n'ai aucune excuse!
Le truc que je voulais dire c'est pas que tu les qualifies explicitement de super-originaux, c'est que ta chronique donne l'impression de quelque chose de bien plus unique et spécial que ça ne l'est vraiment. Certes y'a des passages qui sonnent un peu futuristes sur les bords, surtout si on est plutôt habitué à du Black/Death lambda, mais si on sort de Blacklodge et ID:Vision c'est de la petite bière niveau futurisme. Donc idéalement il aurait fallu trouver un point d'équilibre entre ces deux perspectives pour faire justice à la galette. Mais forcément, quand on réécoute et qu'on dissèque un disque pour en saisir la personnalité afin de bien la faire ressortir sous forme de chronique, c'est pas toujours facile de garder à l'esprit tout ce qui a déjà été fait dans le même genre.
Jolie chronique !
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