Oser vouloir changer les mentalités, dévoiler une nouvelle vision d’un art que l’on pensait déjà accompli et surtout, présenter une facette neuve et clairvoyante aux risques de s’éloigner stylistiquement et idéologiquement de ce qui fut les racines de sa propre création.
Septic
Flesh a, depuis ses débuts, tenté de s’éloigner des sentiers battus en brèche par ses compères pour se forger une personnalité propre aux dépends des sirènes d’une gloire certes homérique mais en totale contradiction avec la volonté créatrice des grecs, ambitieux depuis les premières heures de leur propre gestation.
De l’ésotérisme d’un "
A Fallen Temple" à la grandiloquence encore mesurée d’un "
Sumerian Daemons", les grecs avaient été capable de créer une discographie cohérente et ascendante, avant un split inévitable où chacun voulu voir autre chose, convaincu qu’ils ne pourraient aller plus loin dans l’image et l’esprit qu’ils se faisaient de Septic
Flesh.
Cependant, Christos, en bourreau de travail, devenant véritable chef d’orchestre et créateur de
Chaostar, raviva la flamme avec
Seth Siro
Anton et Sotiris pour aller définitivement plus loin et définir un nouveau standard, élaborer un genre à eux-seuls, aboutir à ce qui deviendra dans les années suivantes l’un des genres prisés, grâce à un aspect novateur et jusqu’au-boutiste encore inédit dans la violence, l’extrême, la complexité et la conceptualité.
Ainsi naquirent l’incroyable "
Communion" puis l’immense "
The Great Mass", œuvre exceptionnelle jugée presque indépassable à sa sortie voici trois ans, symbole d’un pouvoir, d’une mainmise et d’une maitrise sans commune mesure sur la scène extrême symphonique qu’ils avaient eux-mêmes fondés précédemment. Jamais personne n’avait encore créé de compositions aussi violentes, écrasantes, puissantes avec l’intégration d’un véritable orchestre philharmonique, de véritables chœurs et surtout, sans utiliser la partie symphonique au simple rang d’arrangement. Non, Septic
Flesh allait dès lors bien plus loin que tous les autres, sortant du giron propre au metal. Christos ne faisait pas que de plaquer une bande-son symphonique sur des compositions déjà metal. Non, les compositions prenaient vie à partir d’une symphonique initiale, puis les guitares, les percussions et enfin le chant s’ajoutaient progressivement, devenant alors eux-mêmes les arrangements d’une musique d’abord symphonique. L’écriture était alors complètement différente, le rendu également…les claviers et l’orchestre ne suivaient pas les guitares mais bien l’inverse, conférant ainsi une connotation avant-gardiste, expérimentale ("Babel’s
Gate", "
Mad Architect" et bien d’autres…) et unique et rejetant très loin derrière les pourtant excellents premiers opus du groupe.
Cependant, il était évident, avec "
The Great Mass", qu’arriverait le moment où aller encore plus loin dans cette direction serait impossible. Il allait falloir trouver une nouvelle quête, une épopée différente, un point d’approche permettant de renouveler le son de Septic
Flesh. "
Titan" fut ce défi,
Titanesque effectivement dans le travail accompli mais aussi dans la difficulté d’accès que cela lui procure, là où "
Communion" et "
The Great Mass" furent tout de même des albums à la richesse ultime mais néanmoins très simple d’accroche.
La production confiée à Logan Mader est un premier point initialement décevant sur lequel il faut travailler pour le comprendre. Aux premiers abords, on se prend à penser à un Septic
Flesh fatigué, lessivé par tant d’intensité et se retrouvant compressé dans un son trop américain et aseptisé pour lui. Ce n’est qu’à force d’écoute et d’attention que l’on comprend que ce choix se motive surtout par des ambiances bien plus sombres et démoniaques, moins grandioses et épiques certes, mais infiniment plus ésotériques et ethniques. Lors de la première écoute de "
War in
Heaven", le constat semble lourd.
Riff étrange, break complètement à contre-temps, un
Seth trivial et grave et des symphonies moins imposantes. Pourtant, ce break devient, à force de temps, une merveille d’interprétation et d’inventivité. Rarement un tel travail sur les percussions n’avait été atteint par le groupe, l’aspect tribal propre à l’Europe de l’Est ressort plus que jamais, une ambiance mortuaire et sacrificielle prend possession de la composition et le ton plus dramatique de la composition prend tout son sens. Ce n’est plus un Dieu qui vous écrase de sa toute-puissance mais un messager qui vous annonce votre mort prochaine.
Le rendu que l’on peut imaginer bordélique et incohérent au début prend tout son sens après une dizaine d’écoute. Le travail de Fotis à la batterie, moins basé sur des blast beat mais bien plus sur des variations de toms, un jeu de cymbales incroyable confère aux compositions le côté tribal évoqué précédemment, plus shamanique même. "
Order of Dracul" par exemple, pourrait laisser penser qu’il se focalise sur un certain retour death metal mais il n’en est finalement rien. Les arrangements diffèrent énormément là aussi, moins cinématographiques et plus proche du folklore, avec une forte utilisation des cithares et de cuivres plus lourds et noirs que jamais, afin d’imposer cette ambiance noire et funèbre encore inédite chez eux. Si la forme peut sembler connue au début, le fond et le rendu sonore est complètement différent. C’est encore plus criant sur le génial "
Dogma", abyssal dans ses arrangements de cuivres, porté par un riff lourd et le chant de cygne d’un
Seth dans sa plus grande théâtralité. Les tonalités utilisés sont aussi bien plus graves, malsaines et provoquent cet aspect de folie et de schizophrénie si particulier, accentué par les interventions ponctuelles de Sotiris en chant clair.
Evidemment, "
Titan" reste, tout du moins dans la forme, dans une certaine continuité des deux précédents opus et, en cela, surprend moins à certains instants. "
Prototype" par exemple est assez proche d’un titre comme "Five Pointed Star" ou "
Pyramid God" du point de vue « méditerranéen » des mélodies, malgré l’ajout inédit et non négligeable d’une chorale d’enfant sur le refrain, chorale qui aurait d’ailleurs (pour le bémol) méritée une meilleure mise en lumière et des passages plus intimistes pour pleinement s’exprimer (surtout lorsque l’on entend le résultat sur Imaginaerum de
Nightwish par exemple). Il en va de même concernant "
Ground Zero" qui rappelle beaucoup "
Anubis" pour bien des aspects. A l’inverse, "
Titan" retrouve une vigueur très metallique, avec un refrain très distinct et surtout un fourmillement symphonique et une chorale plus traditionnelle dans leur utilisation apportant une dynamique et une grandiloquence bienvenue pour headbanger et prendre une véritable décharge de puissance pure (à l’instar d’un "
The Vampire from Nazareth"). Quant à "Prometheus", il s’inscrit dans l’optique d’une véritable soundtrack pendant près de sept minutes, dans une dimension plus contemplative (beaucoup plus de cordes que de cuivres) avec des effusions sporadiques de violence plus instaurés par des guitares très saturés et le chant implacable de
Seth.
Dire que "
Titan" est une déception est une vérité si l’on s’arrête à ce que l’on désire entendre de la part de Septic
Flesh et l’impression qu’il donne lors des premières écoutes. Les grecs demandent ainsi une exigence de la part des auditeurs pour pénétrer les arcanes du disque, chose qui ne peut se faire après quelques écoutes superficielles. "
Titan" est différent, moins cinématographique, moins écrasant et accessible pour instaurer une ambiance plus noire, glauque, voir fantomatique (l’impressionnant "Confessions of a Serial
Killer" et les chants féminins qui le parcourent…) et bien plus ethnique que par le passé. Le pari est risqué mais artistiquement accompli et mérite, une fois de plus, d’être souligné car ils se refusent à stagner et répéter des formules déjà éculées (surtout à l’heure où de nombreux groupes s’inspirent ouvertement des grecs). "
Titan" sera probablement moins marquant car il arrive après deux pièces maitresses, mais il est la réponse à ceux qui pensaient que le groupe tournerait inlassablement en rond en répétant les mêmes formules. Septic
Flesh évolue, mute et grandi. Reste à savoir quelles facettes de cette évolution vous correspondront le plus.
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