Agalloch est un groupe pour le moins atypique : formé en 1995 à Portland, cette formation inclassable devient rapidement un héraut incontournable de la mélancolie musicale, proposant quatre albums à la magie envoûtante et mélancolique naviguant habilement entre les eaux troubles d’un black mélodique gorgé de post rock, d’un doom à la tristesse solennelle, d’une musique atmosphérique au souffle épique et d’un folk sylvestre et enneigé à vous pétrifier l’âme. The
Serpent and The
Sphere est à présent leur cinquième album, et confirme de la plus belle manière la voie unique qu’a tracée le groupe : un savant mélange des styles pour un résultat sombre et envoûtant, résolument personnel et directement identifiable.
D’emblée, Birth and Death Between The Pillars of
Creation nous accueille par ses arpèges froids, décharnés et mélancoliques, avant que les premiers accords, immédiatement reconnaissables, ne viennent bourdonner à nos tympans, d’une lourdeur plaintive et désolée vibrante de majesté. Le titre évolue lentement, chargé d’une langueur addictive et lénifiante, se colorant de mille nuances infimes sur cet accord de base simple mais touchant qui remplit parfaitement l’espace sonore grâce à une production limpide. A la manière de
Fen, les couches de guitares se superposent subtilement, faisant monter le titre en intensité, les sanglots acoustiques faisant écho à ce mur électrique qui nous chavire. Nous vibrons, bercés par cette longue ballade instrumentale, avant que la voix de John Haugm ne vienne nous tirer de notre rêverie béate, au bout de 4,38 minutes, toujours aussi déchirée et expressive.
Les parties saturées et acoustiques continuent à s’enchevêtrer en cette danse ensorcelante, le tout toujours dominé par cette impression d’immobilisme douloureux et glacial et cette mélancolie à la beauté et à l’intensité saisissante. En 10,28 minutes, les Américains nous offrent un titre solennel et touchant qui cristallise à la perfection leur art, évoquant avec force la majesté calme de la nature du bout de ses arpèges enchanteurs, de sa lenteur hypnotique et de ses vocaux habités, tour à tour déchirés, tour à tour chuchotés, qui se font les chantres de l’âme païenne d’une terre meurtrie.
Néanmoins, ce sublime premier titre est trompeur, car si comme d’habitude, le groupe privilégie l’ambiance, les passages agressifs étant quasiment absents de cette nouvelle galette, le ton général est moins folk, moins sylvain et sauvage que sur les premiers essais du groupe, qui nous propose ici quelque chose de définitivement plus aérien, un ensemble très cosmique, avec un
Dark Matters
God qu’on pourrait croire droit sorti d’un album de
God Is An Astronaut. Le tout, dans ce mélange de lourdeur metallique et de parties plus éthérées, est très influencé post rock, et fait parfois penser à du
Pelican, notamment dans ces longues plages instrumentales et dans les parties de batterie, lourdes et puissantes (Vales
Beyond Dimension).
The
Serpent and the
Sphere est résolument plus calme et introspectif que l’album précédent, et ce ne sont pas les trois intermèdes acoustiques qui nous feront dire le contraire : le premier,
Serpents Caput, est brumeux et mystérieux, tissant une chape spectrale et sibylline à la
Dead Can Dance.
Cor Serpentis (The
Sphere) revient à un côté plus terrestre avec une courte pièce de neo folk tout en sensibilité et en finesse tandis que
Serpents Cauda termine ce long voyage de presque une heure en douceur sur les arpèges solennels et tristes d’une guitare et le grondement sourd du vide intersidéral.
Encore une fois,
Agalloch réussit le pari improbable de mêler lourdeur et lenteur cafardeuse à un sens de la mélodie unique guidé par des sonorités légères et lumineuses qui parviennent à nous transcender comme peu de groupes savent le faire: la basse est profonde et tellurique, vibrant délicieusement sur chacun des titres (écoutez voir le début de Vales
Beyond Dimensions !), les riffs sont graves et solennels, la double est de sortie (
Dark Matters Gods), et
Agalloch sonne paradoxalement plus lourd et groovy que jamais (The
Astral Dialogue) tout en dévoilant sa face la plus céleste, déjà pressentie sur un titre comme Falling Snow, présent sur
Ashes Against the Grain. The Seprent and The
Sphere est un album de contrastes qui scelle le style unique du groupe dans sa splendide quintessence, difficilement descriptible, évoluant dans un style inclassable perdu entre doom et dark rock aux doux relents païens et oniriques, à la fois lourd et planant, alternant parties acoustiques touchantes et saccades électriques, avec un côté black qui s’estompe de plus en plus (on en trouve encore quelques réminiscences, notamment sur le riff à 3minutes 30 de Celestial Effigy, et dans les vocaux de Haughm) au profit d’un post rock halluciné et saisissant. Le tout est à la fois sombre et lumineux, désolé et plein d’espoir, beau et triste, illustrant à merveille l’essence de la Nature et de la Vie.
Le dernier véritable titre de l’album, Plateau of the
Ages, entièrement instrumental du haut de ses 12,26 minutes, nous confirme la nouvelle direction prise par
Agalloch : plus spectral et aérien, plus léger et lumineux, une sorte de post rock épique, spatial et onirique qui nous ballotte tranquillement dans son univers transcendantal, alternant parties puissantes et émotionnelles (ce long passage central hypnotique me rappelle presque la magie de
Lustre) et accalmies plus contemplatives, une musique faussement naïve et simple qui, si elle s’adresse plus à l’âme qu’à l’intellect, n’en est pas moins d’une richesse musicale insoupçonnée grâce à ce canevas de guitares mélodiques et sombres qui se plait à explorer différents horizons.
Agalloch est encore parvenu à créer une œuvre magique et envoûtante, et parvient à se renouveler tout en conservant ses racines musicales.
Pas de grand changement à l’horizon, les amateurs du groupe ne seront pas dépaysés, même si les Américains semblent amorcer un virage plus mélodique et spatial que sur l’album précédent. The
Serpent and the
Sphere allie puissance et douceur et parviendra à combler tous les amateurs de mélancolie musicale, probablement même en dehors des sphères du metal. Un album magnifique qui vient une fois de plus confirmer tout le talent d’un des combos les plus atypiques et doués de la scène metal actuelle.
2022 après un dernier commentaire datant de 2015, juste pour confirmer qu'à 50 piges passées, on peut encore découvrir des pépites, j'adhère à tous les albums de ce groupe que je ne connaissais pas jusqu'à peu.
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