Tu croyais vivre.
Tu croyais avoir réussi à préserver l’essentiel.
Tu pensais avoir construit autour de ta famille des fondations inébranlables.
C’était ta vision de la vie, de ta vie d’homme adulte. Penser pour plusieurs, penser d’abord aux autres, assurer le quotidien de tous, courber l’échine, suer et rêver.
Rêver de quoi ? As-tu seulement vécu ou profité durant toutes ces années ? Sans égoïsme, où trouvais-tu ton épanouissement personnel ? Ne te cachais-tu pas derrière un bonheur abstrait, collectif et au final peuplé de chimères ? A bâtir un foyer pour tous sans veiller à y préserver un univers de liberté, la faille apparut soudain. Au début fissure, simple lézarde sans importance, elle devint profonde, insidieuse pour enfin ébranler un équilibre que tu croyais être la base même de ton existence. La lumière s’efface d’un coup et l’ombre d’un tunnel t’envahit. Celle de l’échec d’une vie qui n’était plus vraiment la tienne. Ta quête s’oriente désormais vers une nouvelle lumière, une étincelle et un refuge.
Attiré par cette aura bleue mystérieuse, la maison dont
Deep Purple ouvre les portes en ce premier jour de 1987 pourrait bien être celle de ta renaissance.
Après une brève introduction dans le style marche nuptiale, dont l’écho te rappelle celui d’une époque révolue, «
Bad Attitude » déboule comme un aveu plaintif en mid-tempo aux sonorités modernes et aux fondations de plomb assurées par un
Ian Paice rugueux et la basse que Glover, producteur de la galette, sait admirablement placer en avant. Le son classieux déjà présent sur «
Perfect Strangers » et l’élégance naturelle de Ritchie Blackmore ne parviendront pas à te faire oublier combien le thème de «
Hard Lovin’ Woman » te transperce d’un souvenir amer et violent. Le travail du divin guitariste éclabousse pourtant de technicité ce titre nerveux et rythmé. Sans succès. Comme si la règle non écrite de « The unwritten Law » prenait toute sa vérité au travers des paroles de cette chanson rock au riff et à la trame typiques de
Deep Purple.
Ton oreille accroche d’ailleurs avec gourmandise un solo ciselé du maître et le refrain chantant porté par Gillan revenu au sommet de sa forme.
Ressaisis-toi.
Tout n’est pas aussi « Black and White » comme le suggère ce titre plus primaire et au son bien roots, qui permet à Blackmore de s’amuser comme un petit diable et à Gillan de sortir l’harmonica. La frappe de mule de Paice te redonnerait presque le sourire.
Intrigué, tu restes sur le pas de cette porte entr’ouverte. Ce halo de lumière bleue te laisse autant interdit que curieux.
Est-ce le chien fou, presque enragé, enfoui au fond de tes tripes qui va te décider à sauter le pas sur le riffing d’une incroyable souplesse et la section rythmique de feu du détonnant «
Mad Dog » ? Vas-tu te laisser convaincre par le somptueux chant, à nouveau, de
Ian Gillan et le solo cosmique du ténébreux six-cordiste ? La montée d’adrénaline du rapide «
Dead or Alive » n’a de but que de provoquer ta mise en mouvement. L’énergie décuplée, notamment par Jon
Lord en transe, t’est transmise dans un condensé sonore aussi brutal qu’un salvateur coup de pied au cul !
Le seuil est franchi dans un sursaut d’instinct.
A peine ébloui, tu es attiré par un «
Call of the Wild » au swing inimitable, transpercé par la frappe sèche et lourde de Paice. La guitare de Blackmore s’efface efficacement derrière les claviers vivifiants de
Lord et le chant envoutant du vocaliste au timbre aigre-doux. Le chemin devient peuplé d’étapes plus magiques les unes que les autres. Le sublime « The Spanish
Archer » flirte avec les rivages mystiques des barbus de
ZZ Top et la complainte déchirante, contée avec une émotion palpable par Gillan. Survolée par les licks et les interventions inspirées de Ritchie, la terrifiante compagnie basse-batterie t’accompagne à nouveau dans ta découverte d’un nouveau monde.
Lord est à nouveau à la proue de «
Strangeways » aux sonorités andalouses et arabisantes, pavant ton chemin sous un tonnerre de guitare psychédélique et la ferveur d’un chant agenouillé devant l’écrasante suprématie de la paire Paice-Glover. Evacuant enfin les affres du passé, tu t’
Abandonnes dans un lâcher prise inattendu.
Plus rien ne s’oppose à de nouvelles rencontres ainsi que le bluesy « Mitzi Dupree » te le laisse entrevoir derrière l’inimitable toucher de Blackmore.
Tu croyais mourir.
Tu croyais avoir tout gâché.
Tu pensais qu’aucun avenir ne pouvait se construire à nouveau sans craindre de retomber dans une douloureuse situation d’échec.
Tu as enfin compris qu’un rêve éveillé cachait ton désir de vivre en être épanoui. Repenser seul, sans oublier les autres, l’Autre. Agir seul, en adulte indépendant mais soucieux du bonheur de tous.
Les voici ces fondations nouvelles sur lesquelles tu vas enfin assouvir tes passions d’être unique et indivisible. Dans un éclair, tu vois apparaitre un espace de vie à meubler de ta personnalité, de tes goûts et de tes fantasmes. L’exorcisme parait violent et laisse des traces. Il lève pourtant le voile sur ton futur, enfin apaisé et débarrassé de contraintes aussi futiles qu’envahissantes.
Il t’aura fallu oser penser qu’une maison à la lumière bleue t’attendait. Quelque part.
Didier – mars 2015
A tous ceux qui se reconnaîtront
Operator, this is the
Call of the Wild
Un album méconnu et sous estimé, la seconde partie est nettement meilleure avec des morceaux comme comme Spanish Archer, Strangeways, Dead or Alive vraiment fabuleux. Les claviers sont nouveaux et ils apportent une fraîcheur pour ne pas dire une nouvelle inspiration. À redécouvrir pour les circonspects
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