La pierre est encore chaude des rayons du soleil de ces après-midi d’été. A l’affut, étendu sur les marches de la petite église Notre-Dame, nichée dans un écrin de verdure, en plein cœur du Berry sud, aux confins du Bourbonnais. Allongé sur le dos, les yeux plongés dans l’infini de ces nuits délicieuses, je goûtais gamin au plaisir de ce petit vent faible, de ces croissements de grenouilles, de ces quelques chants de cigales égarées dans ce bourg de campagne. Les étoiles vous écrasent de leur silencieuse présence et de leur lumineuse clarté. La lune furète à l’horizon. Un satellite traverse de part en part l’immensité noire, point fixe mais avançant à vive allure. Direction plein sud, un long-courrier, reconnaissable à ses lumières intermittentes, déchire à une altitude plus humaine le théâtre des cieux. Il fait si bon. La vue s’acclimate elle aussi et permet de ne pas redouter l’inconnu de cette infiniment grand. Soudain, le cadeau tant attendu, fruit de longs instants de veille. Trainant un panache scintillant, une étoile filante apparait furtivement, certainement là où on le l’attendait pas, donnant satisfaction à un vœu pieux que l’on espère voir s’exaucer. Un simple signe pour moi. Ils sont partis là-haut. Ils me sourient. Comme ils me manquent.
Cadeau des cieux, «
Perfect Strangers » avec sa pochette spatiale, imposante et sobre à la fois, sort en novembre 1984, quelques mois après la réunion des cinq musiciens de l’époque divine Mark II : huit titres, conçus au cours d’un été passé à Stowe dans le Vermont, Roger Glover se chargeant de la production. Les pièces se recollent sans forcément totalement se ressouder mais les ennemis du passé s’accommodent non sans un certain plaisir de cette résurrection.
Son moderne, notamment pour les claviers de Jon
Lord, inspiration retrouvée et prouesse technique d’artistes au sommet de leur art, ce onzième album de
Deep Purple replace le phénix sur son piédestal.
La vieille garde rugit à nouveau et nous propose un matériau d’excellente facture.
On oubliera bien vite la sirupeuse power-ballade « Wasted Sunsets » sauvée du naufrage par le phrasé et le toucher si caractéristique de Ritchie Blackmore. Le reste du titre ne donne pas en effet une idée claire de la qualité retrouvée du quintette.
Seul temps faible au final d’une galette qui remet au goût du jour les seventies, revisitées avec les moyens modernes. C’est le cas avec « Hungry/Happy Daze » dont l’accroche de lead guitare/clavier replonge l’auditeur quinze années en arrière. Ritchie et
Ian Gillan survolent la mélodie dans leur registre respectif. Solo et break Zeppelinien terminent le travail. Sur un pied plus heavy, les claviers laissent plus d’espace à la six-cordes du maitre sur « Nobody’s
Home ».
Ian Paice y cogne consciencieusement ses fûts pendant que Gillan s’amuse avant qu’un duo de soli Blackmore/
Lord ne vous coupe carrément le sifflet. Le tempo alerte de «
Mean Streak » donne une nouvelle fois l’occasion à Ritchie de démontrer qu’il n’a pas encore perdu la main. Alors que Roger Glover tartine à grand renfort de basse plombée, le chant d’
Ian Gillan se fait discrètement félin.
Astucieusement, la mainmise de Jon
Lord sur les mélodies se fait évidente sur les deux brûlots «
Under the Gun » et « A Gypsy’s
Kiss ». Le premier bénéficie d’une grosse rythmique basse/batterie et d’un lead envoyé sur son Hammond par un
Lord omniprésent. Ce dernier, véritable marathonien du clavier, rend la monnaie à la frappe sèche de son compagnon forgeron et permet au soliste virtuose de faire étalage de sa technicité. Sur le second, la puissance de Paice et la solide cavalcade de Glover basculent ce titre vers des limites speed inattendues. Le « riff » jouissif de
Lord détonne dans cette overdose de décibels mettant en avant le solo en doublette entre
Lord et Blackmore, que ce dernier s’accapare dans la durée.
Deep Purple semble avoir atteint le niveau d’équilibre nécessaire entre chacun des protagonistes à l’ego surdimensionné.
D’ailleurs « Knocking at your Backdoor » annonçait bien la couleur. Claviers, basse, batterie entrent successivement en scène avant une première explosion de guitare dans la nuit. Bien ancré dans les 80s, le riff épuré de tout autre artifice et le chant aux relents de Genesis sur le couplet glissent en douceur sur une mélodie ciselée d’où émerge un premier solo presque trop en force de Sir Blackmore. Il se rattrape sur le second et l’outro clôturant les sept minutes orgiaques que le groupe offre sans avertissement préalable à ses fans.
Comment avoir désormais la moindre crainte de la nuit noire et étoilée à l’écoute du title-track et à la lecture de ses paroles ?
“ Can you remember, remember my name
As I flow through your life
A thousand oceans I have flown
And cold spirits of ice
All my life
I am the echo of your past
I am returning the echo of a point in time
Distant faces shine
A thousand warriors I have known
And laughing as the spirits appear
All your life
Shadows of another day
And if you hear me talking on the wind
You've got to understand
We must remain
Perfect Strangers
I know I must remain inside this silent well of sorrow
A strand of silver hanging through the sky
Touching more than you see
The voice of ages in your mind
Is aching with the dead of the night
Precious life
Your tears are lost in falling rain”
Fasciné par ce titre massif, hypnotisé par la somptueuse atmosphère dégagée par ce morceau stellaire, je goûte au jeu épais de
Ian Paice, à la limpidité des lignes de Blackmore, aux interventions cosmiques de
Lord, au chant plaintif et si pur de Gillan et à la monstrueuse efficacité de Glover derrière sa basse. Marqué au fer rouge par ses paroles sans équivoque.
Habitué à l’excès de luminosité de nos contrées sur-industrialisées, je n’ai plus rencontré de nuits obscures que dans des endroits reculés d’Afrique ou d’Asie. Les années passant, allongé au sol et scrutant toujours cet univers sombre, brillant de ses innombrables lucioles si lointaines, le malaise parvient à m’envahir durant les premiers instants. L’opacité me terrasse de son caractère mystérieux et mystique. Et puis, la quiétude et un sentiment de plénitude s’installent. L’immensément grand apaise et polit cette anxiété qui ronge. Soudain, le cadeau tant attendu, fruit de longs instants de veille. Trainant un panache scintillant, une étoile filante apparait furtivement, certainement là où je ne l’attendais plus, donnant satisfaction à un vœu pieux que j’espère voir enfin s’exaucer. Un nouveau signe pour moi. Ils sont toujours là-haut. Ils me sourient à nouveau. Comme ils me manquent.
Didier – avril 2014
A Thérèse (1894-1978) et Jules (1891-1978)
Superbe album du pourpre renouant avec 1 certaine qualité. Tout est à sa place et bien ancré dans les annees 80's.
Trouvé en vinyle...aucune hésitation....
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire