Tels les signes d’une présence Spektrale, les dernières réalisations d’
Haemoth ont invariablement agi en révélateur d’une manifestation prochaine du
Spektr (à condition de s'armer d'un minimum de patience). Ainsi, l'album "
In Nomine Odium" (fin 2011) fut en quelque sorte une annonce déguisée pour "
Cypher" (début 2013), tandis que l'EP "Condemned" (mi-2014) y alla de son petit indice quant au "The Art to Disappear" qui nous intéresse aujourd'hui.
Haemoth /
Spektr : deux formations franciliennes aussi intimement liées (l'esprit commun Hth, les sonorités crues et glaciales) qu'elles évoluent dans des dimensions différentes ; le black metal somme toute traditionnel d'
Haemoth se trouvant, à travers le prisme Spektral, remodelé en une forme plus déstructurée, aux contours nébuleux et ne reculant devant aucune expérimentation (dark ambient, noise, jazz…) pour triturer nos neurones et en extirper nos peurs irrationnelles.
Autre trait caractéristique durant ces 16 années où le
Spektr a daigné se montrer avec plus ou moins de régularité : sa propension à traduire musicalement des concepts alambiqués mêlant expériences paranormales et psychotropes à des thématiques situées à la frontière entre tangible et immatériel.
Des penchants que le
Spektr a néanmoins atténué sur ce 5ème opus, comme si l'entité avait subitement décidé d'apparaître sous une forme plus concrète et aux intentions sans détour.
… Impression que laisse le contact visuel de l'album, entre les intitulés des 9 chapitres, curieusement moins sibyllins et plus percutants que par le passé, et la disparition du logo originel au profit d’une typographie élémentaire, inscrite sur une pochette à forte dominante claire tranchant net avec les ténèbres d’antan.
… Impression que confirme le premier contact auditif, l'alpha de l'album, celui qui donne le ton.
La boucle de l'éphémère intro "
Again", semblant tourner comme une bande magnétique à vide, n'a même pas le temps d'imposer son effet hypnotique qu'elle s'efface sous les coups de boutoir du redoutable "
Through the
Darkness of Future
Past". Des riffs plus remuants que de coutume pour le
Spektr, aux consonances black/death dans l'exécution, s'associent à des linéaires aussi simples que tranchants pour un impact résolument frontal. Même la batterie, et malgré le fait qu'elle conserve sa marque Spektrale (dans le jeu de cymbales notamment), s'anime de manière étonnamment épurée et accrocheuse.
Plutôt que de cerner patiemment sa proie, le
Spektr y fond littéralement dessus.
Plutôt que de faire courir ses phalanges glacées le long de la colonne vertébrale, le
Spektr l'arrache d'un coup sec et la broie d'une poigne implacable.
… Impression que confirme également le dernier contact auditif, l'omega de l'album, celui dont l'écho demeure une fois le disque arrêté.
Bien qu'il traîne derrière lui des effluves jazzy, sur fond de basse narcotique et de percussions neuroleptiques, le morceau-titre placé en clôture se retient essentiellement comme un enchaînement de riffs brise-nuques et de cassures rythmiques tombant comme des couperets.
Vous l'aurez compris : la notion de riff, dans le sens le plus catchy du terme, n'a jamais été autant mise en avant chez le
Spektr.
Entre cet alpha et cet omega, l'esprit se déchaîne selon une dynamique structurelle comparable à "Mescalyne", dont "The Art to Disappear" retrouve la dissociation particulièrement marquée entre décharges black metal (adoptant l'approche directe typique de ce nouvel opus) et crises expérimentales (jouant le rôle de perturbateur cérébral).
Dans cette optique, la mécanique industrielle de "From the Terrifying to the Fascinating", hantée par des cris de terreur et des lacérations noisy, fonctionne de manière aussi impitoyable que les électrochocs survenant sur le létal "Your
Flesh Is a Relic".
Autant d'attaques en règle qui feraient presque oublier la facette plus subtile que reste capable de développer le
Spektr, en particulier sur la dérive ésotérique "Soror
Mystica" et la perspective de l'Autre-Côté dépeinte par "The Only One Here". Deux interludes sensés offrir une respiration, de par leur positionnement, mais imposant un climat hautement anxiogène.
Le genre de sensation paradoxale dont se nourrit le central "The Day
Will Definitely Come", tiraillé entre un tempo binaire résonnant comme un hymne à la destruction et des nappes contemplatives empreintes d'une beauté malsaine ; entre chaos et magnificence, une atmosphère de fin du monde telle qu'on peut se l'imaginer.
Les traceurs génomiques du
Spektr perdurent sur "The Art to Disappear", à l'image de son aspect désincarné, que l'absence de vocaux (hormis quelques samples disséminés, issus entre autres de Twin Peaks, Taxi
Driver...) traduit pertinemment ; un trait hérité du précédent "
Cypher".
Cependant, la modification de leur codage engendre, outre un
ADN spécifique à cette nouvelle créature par rapport à ses aînées, une nouvelle perception du
Spektr, avec moins de profondeur mais davantage d'efficacité, au risque d'apparaître un peu trop lisible et évidente pour l'initié. Mais l'évolution ne comporte-t-elle pas sa part de risque ?
… Fin du contact textuel.
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