L'air se fait pesant … La lumière absente … De brumeuses volutes précédées d'un paralysant souffle glacial emplissent l'espace d'infinie noirceur … si hostile … tournoyant, s'épaississant, tandis que parviennent à nos sens engourdis de lointaines notes de piano salies par le temps, résidus d'harmonies désaccordées, désarticulées, cristallisant le ressenti d'une indiscernable présence malveillante … Une effroyable menace se matérialisant soudainement en un jaillissant riff d'une guitare à l'âpre son décharné, accompagné de percussions claquant comme le subreptice contact de ses arides phalanges, tournoyant en une perpétuelle mouvance, tout d'abord lancinante puis déchaînée, toujours plus frénétique, resserrant inéluctablement et vicieusement l'étreinte de ses infrabasses à la consistance nauséeuse, jusqu'au douloureux paroxysme d'un insoutenable arrachement … L'arrachement à l'existence de mortel, l'extirpation de la conscience éthérée de l'enveloppe corporelle … La métamorphose en une essence dénuée de tout sens humain …
… Telles sont les impressions procurées par "No Longer
Human Senses", ouverture du premier album réalisé par les énigmatiques esprits Hth et kl.K solidarisés en l'entité
Spektr. Une première œuvre mort-née publiée en 2004 sous la bannière de Appease Me (propriété du non moins énigmatique Vindsval, tête pensante de
Blut Aus Nord), immisçant en notre cortex la vision de l'autre côté du rideau de notre réalité de simples mortels au travers d'un black metal cru et primitif, exécuté en des textures sonores sèches et abrasives, manifestes du spectre de
Haemoth (formation dont est issu Hth) se dessinant en filigrane au travers du voile inquiétant d'un dark ambiant / indus instaurant un malaise des plus pesants…
… Comme si un
Darkthrone de la vieille époque et un "filosofemien"
Burzum avaient ignominieusement copulé avec le plus oppressant des Lustmord et le plus craspec des
Brighter Death Now pour enfanter la plus effroyable des créatures, ne lâchant son étreinte qu'aux tout derniers samples d'une bande se déroulant indéfiniment sur la clôture de "
Confusion / The Persistence (Ending Contakt)".
La terreur surgit des manifestations les plus impétueuses, déversant leur inextinguible flot de tourments ("No Longer
Human Senses", "Reveal the Four Seals", "… With Only One Eye").
L'horreur afflue des riffs mourants de "Wizened
Hand", déformés tels le visage du défunt se profilant dans les parasites brouillés d'un tube cathodique.
La désolation s'écoule de déchirants pleurs lointains, ou ce qui semble être tel, à peine audibles dans la partie centrale de "No Longer
Human Senses".
L'angoisse sourd des compositions essentiellement ambiantes construites sur la base de pulsations sourdes ("
Confusion / The Persistence (Ending Contakt)", la seconde partie de "A
Return of the
Flesh"), de grinçants assemblages industriels ("
Nothing's Been
Worth Saving (The
Procession)") et du continuel roulement de boucles électroniques ("Post Fatalism")…
… Et ces résidus de voix qui n'ont de cesse de revenir, cruels, torturés comme les cris aphones de l'essence spectrale arrachée à sa protection charnelle, la respiration mécanique achevant "Post Fatalism" figurant la réminiscence des derniers instants de sa vie humaine.
Au détour de tous ces éléments dissonants et perturbants, hantant les créations du
Spektr, comme toutes ces choses furtives que l'on croit distinguer du coin de l'œil, laissant en leur sillage un tenace sentiment d'épouvante, le duo français constitue une entité aussi redoutable dans son impact meurtrier qu'abstraite et insaisissable dans sa substance … Abstraite comme le design de son œuvre gravée sur support physique … Insaisissable comme sa véritable dénomination : "No Longer
Human Senses" ou "Et Fugit Interea Fugit Irreparabile Tempus" ? …
Spektr sème le trouble avec ce premier album, y maintient un constant niveau de tension réservant son lot d'affolements du palpitant, et s'impose d'entrée comme une référence du black ambiant aux côtés des
Leviathan,
Vrolok et autres
Abruptum, tout en se singularisant par son approche propre à titiller notre corde sensible, à aviver les insondables interrogations comme les peurs primales profondément enfouies en notre psyché. Car l'être humain est ainsi fait que ses pires suées d'angoisse naissent des menaces qu'il ne peut toucher, ne peut comprendre.
Bien plus qu'un simple disque : une expérience … à tenter au moins une fois dans sa vie …
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