Quand à l’aube du nouveau millénaire,
Gojira se lance dans la création de son premier CD, le combo français sait parfaitement où il souhaite aller. Bien loin d’être freinés par la nécessité de s’autoproduire, les Landais mettent toute leur énergie pour faire de leur premier opus la brillante démonstration de leur talent.
Le résultat ne souffre aucune contestation:
Gojira mérite bien une place de choix sur la scène death metal française. Il est vrai qu’à cette époque, le vide laissé par les
Massacra,
Loudblast et consorts après leur (trop courtes) années de gloire est béant.
Que nous propose donc
Gojira de si particulier ? La pochette du CD dénote déjà une rupture avec l’imagerie traditionnelle du metal extrême.
C’est pourtant sur deux minutes de death brutal que n’aurait pas renié certains ancêtres que débute l’album. Beats ravageurs, riffs élémentaires, tortueux et redoutables, cette entrée en matière de Clone serait presque à percevoir comme une présentation sans ambiguité:
Gojira est un groupe de death metal, point.
Cette mise au point étant faite, la suite du titre prend délibérement l’auditeur à contre-pied: on enchaîne le morceau dans une ambiance tout à fait particulière, aérienne et onirique: chant clair, rythmique lente, le tout entrecoupé d’un intermède musclé et massif complètement déshumanisé pour finir quelques secondes sur une touche plus classique, lente et angoissante. Sur un seul titre,
Gojira a déjà fait preuve d’une capacité indiscutable à jouer avec les ambiances et les émotions.
Lizard
Skin révèle la nature profonde de
Terra Incognita, et définitivement de la musique des Landais: un death metal glacial, très dépouillé, frôlant l’industriel, qui laisse l’illusion d’être totalement déshumanisé; et pourtant riche d’émotions... Ce paradoxe est une marque de fabrique qui fera d’ailleurs le succès de
Gojira par la suite, mais ce coup de patte est déjà bien marqué.
On franchit allègrement les frontières de l’expérimental avec
Satan Is A Lawyer, empreint de bonnes idées mais trop déconcertant pour mon oreille qui souffre du manque de cohérence.
Après un intermède instrumental, les affaires reprennent avec apreté et rigueur sur Blow Me Away. Là encore, les accents industriels mis en exergue par une batterie particulièrement puissante et opiniâtre sont relayés par une seconde partie plus complexe s’articulant autour d’un riff minimaliste qui s’étouffe finalement dans une dissonante abyssale ponctuée des hurlements de Joe Duplantier.
L’intensité monte encore d’un cran sur
Deliverance, toujours bâti sur le même modèle: 2 minutes de death massif, où les influences de
Morbid Angel se font plus présentes. Puis enchaînement sur des passages plus nuancés, moins étouffants et plus aériens. Construction que l’on retrouve finalement sur la plupart des morceaux (en plus de ceux déjà cités il faut ajouter le très (trop) contrasté
Fire Is Everything).
Space Time pousse plus loin cette recherche onirique qui au fur et à mesure des titres confère à la musique de
Gojira une personnalité tout à fait unique. Celle-ci s’amuse à se dissimuler derrière un death metal technique de grande qualité par ailleurs. Il est d’ailleurs assez singulier de trouver autant d’intermèdes instrumentaux ou du moins expérimentaux sur un disque de death metal (04, 5988 Trillions de Tonnes, On The B.O.T.A, 1990 Quatrillions De Tonnes), d’autant plus que
Gojira ne perd jamais l’occasion de saluer ses maîtres en la matière que sont les Floridiens de
Morbid Angel: un morceau comme Rise en est la brillante démonstration. Où comment afficher son respect à la tradition tout en jouant la carte de l’innovation et de l’originalité.
Cette débauche de bonnes idées et d’innovations provoque parfois une forme de saturation, sans doute dû au degré d’exigence nécessaire pour vraiment rentrer dans la démarche artistique de
Gojira. A ce titre, le dernier morceau du disque, In The
Forest, est particulièrement significatif: près de 5 minutes d’un metal expérimental marchant quasiment sur les plates-bandes de
Meshuggah, puis un prolongement instrumental presque New Age...
A vouloir trop en faire (le disque dure plus d’une heure), les Landais perdent parfois le fil et s’enferment dans une démarche trop expérimentale et trop décousue. Sans doute l’envie de trop trop bien faire à travers ce premier disque.
Ces bémols sont cependant bien légers comparés à l’excellence du contenu et les promesses qu’il annonce. Je ne m’étendrais pas sur la qualité de la production, qui est finalement suffisament correcte pour assurer un minimum de puissance à une musique qui en a bien besoin.
La maîtrise technique des musiciens (l’ensemble basse/batterie est une machine de guerre...), leur créativité débordante et la qualité du death metal qui sert de support à la richesse musicale globale de
Gojira respire à chaque note de
Terra Incognita. L’homogénéité et la cohérence artistique, parfois manquantes sur ce disque, s’afficheront progressivement dans la suite de leur discographie, pour transformer ce premier coup d’essai en coup de maître.
Et pour garder le meilleur pour la fin, comme pour annoncer que le meilleur est à venir, il faut absolument mettre en avant le titre Love, celui que je trouve le plus abouti de l’album: un modèle de maîtrise pour un morceau de death metal d’antologie où le style
Gojira prend toute son ampleur. La grande classe.
Je le redécouvre en ce moment, et lui trouve les qualités que tu relèves dans ta chronique. Un très grande rigueur dans les compos, et une volonté manifeste de se démarquer, ce qui se traduit par une certaine richesse dans les morceaux. Pas grand chose à ajouter à ton propos donc.
Seulement quelques mots sur les textes, qui sont l'objet de beaucoup de controverses, et ce pour l'ensemble des Gojira, certains les trouvant trop édulcorés, gentils, sans intérêts, et d'autres les élevant injustement au summum de la parole intelligente dans le metal.
Les textes de Joe Duplantier ne donnent pas dans la rébellion bobo juvénile d'un Green Day. A mon sens, il s'agit davantage de textes introspectifs. Il ne s'agit pas de délivrer un message écologique à des adolescents en manque de révolte politique, mais plutôt de livrer ses propres interrogations, sa perception du monde. Au final, ce gars n'écrit que pour lui.
Joe Duplantier est très épris de ce rapport de l'homme à la nature, l'homme en tant qu'élément d'un cycle naturel. Thème qu'on retrouve beaucoup dans The Link, et qui se fait présent sur tous les albums ( All the tears par ex. pour TWOAF ). C'est sous ce prisme que j'envisage les textes à dimension écolo de Gojira, qui n'ont pas de portée politique, mais qui traduisent plutôt les doutes de l'auteur. A cet égard les derniers vers de A sight to behold.
Des textes de qualité à portée philosophique plus que politique ( Clone et Love pour deux exemples parlants ).
Il ne s'agit pas de dire que Gojira a le monopole de la parole intelligente, ce que beaucoup de fans ont tendance à s'imaginer, simplement qu'il s'agit d'autres choses que des messages politiques et écologiques qui invitent à renverser le système et à prendre soin des arbres.
Merci pour la chro en tout cas, qui dit tout ce qu'il y a dire sur cet album.
L'Homme en tant que partie d'un cycle naturel, c'est tout-à-fait ce que je pense en plus...
Et merci pour cette chronique !
Pour un premier album c'était brillant et pour une auto-production ce son botte les fesses c'était sans contexte leur opus le plus death metal fortement influencé par morbid angel car dès le suivant the link on sent que le groupe évoluera vers des sentiers moins extrême cela se confirmera dans les opus suivants.
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