« Tant que nous n’aurons pas accepté la finalité de la mort et notre existence de mortel, nous ne serons jamais en paix. Accepter ça, c’est trouver une nouvelle quiétude intérieure ».
Joe Duplantier – 2021
Une quiétude intérieure. Une paix de velours dans un gant de rage. Une puissance plus qu’une violence, autant dans son message véhiculé que dans sa musicalité proposée.
Gojira a toujours été à part, autant musicalement, lyriquement que conceptuellement. Déjà "
The Link" dévoilait un groupe différent et expérimentant, avant que "
From Mars to Sirius" n’embrase tout sur son passage par sa puissance absolue mais aussi par son message de paix, d’espoir et de communication là où le metal extrême relate plus souvent une certaine idée de guerre, de brutalité humaine et de déchéance sous ses différentes formes.
Le succès aidant, les tournées s’enchainant, les grands noms se côtoyant au quatuor,
Gojira continua sur cette voie, en s’ouvrant à de nouvelles influences sans jamais trahir ses origines mais en restant fondamentalement différent. La quête de liberté de "l’Enfant Sauvage" ou l’épreuve du deuil évoquée dans "
Magma" en firent des opus à part, notamment ce dernier où l’agressivité laissant la place à une attitude contemplative, plus lente et spirituelle, parfois proche d’un mantra que de simples morceaux de musique (en témoigne le titre "
Magma" ou "Low Lands").
"
Magma" fut donc une scission, un tranchant dans la discographie des landais et il est évident qu’un avant et un après est indéniable. Joe s’ouvrant à une nouvelle palette de possibilités vocales, Mario ralentissant le jeu pour des parties plus directes et moins techniques. Comme souvent dans ce cas,
Gojira embarqua des wagons de nouveaux fans en perdant certains des débuts qui ne se reconnaissaient plus dans cette proposition sonore.
Cinq ans plus tard, notre monstre national revient avec un an de décalage sur le planning établi pour cause d’une pandémie qui n’est plus à présenter. "
Fortitude", dans son concept et sa couleur, représente une certaine dichotomie avec son prédécesseur. Il est la force et l’espoir, l’exhortation d’avancer en ayant pris conscience de l’irrévocabilité de notre fin. Un message loin du deuil et de la tristesse et qui incombe un retour à une force plus primaire, plus agressive et guerrière symbolisée autant dans l’artwork que dans les choix très tranchés de production. Avant même de parler composition, les premières impressions sur le son sont surprenantes et démontrent que le groupe ne souhaitent jamais jouer la carte de la facilité. Joe a une fois de plus tout enregistré à
Los Angeles mais la volonté de mixer l’album par un Andy Wallace (
Sepultura, System of a
Down, Slipknot,
Nirvana, etc...) sorti spécialement de sa retraite pour l’occasion a offert une vision beaucoup moins moderne et standard qu’un Logan Mader pour ne citer que lui. Le chant est souvent en retrait dans le mix, la basse est parfaitement audible, les guitares sont très organiques tout comme la batterie de Mario (la Ride est tellement audible que parfois, on a la sensation de n’entendre qu’elle), conférant souvent l’impression d’un grand jam, comme si le groupe jouait à côté de nous, avec des imperfections mais surtout beaucoup de chaleur et de présence. Pour autant, la quantité d’arrangements n’a surement jamais été aussi grande et les frères Duplantier se sont vraiment lâchés sur le nombre d’instruments présents sur certains morceaux.
"
Born for One Thing" semble créé le lien thématique avec "
Magma", notamment par cette acceptation de notre condition (« We were
Born for One Thing, born to face the greatest fear of all ») mais revient à une musique plus technique, avec notamment une partie rythmique de Mario à couper le souffle. C’est aussi le retour de certains phrasés de guitare très typiques du groupe, ces fameux slides qui avaient disparu sur "
Magma" (et qui avait amené d’expérimenter avec la pédale whammy sur "Stranded"). Le final du titre est lourd et binaire, comme un retour à une source plus agressive et primitive, qui trouvera toute sa logique sur "
Amazonia". Jamais
Gojira n’avait sonné aussi ethnique que sur ce titre, entre son intro à la guimbarde, l’incorporation de flutes et de didgeridoo conférant un aspect sud-américain évident au son des français (au cas où parler de
Sepultura ne serait pas une évidence). Ce break au vocodeur évoquant des chants traditionnels, comme une prière faite à cette Amazonie enflammée, n'est pas une effluve technique comme du temps de "
The Way of All Flesh" mais touche par sa sincérité et prend aux tripes.
Gojira a eu l’ambition évidente de voyager avec ce disque, de sortir de son giron et d’en explorer de nouveaux. J’en veux pour preuve ce fabuleux "New Found", débutant d’un riff sec et d’une ligne vocale massive qui aurait pu sortir sur "
From Mars to Sirius". On reconnait le groupe durant ce premier couplet écrasant puis survient ce refrain magistral et magique, comme une lumière dans le ciel (« New Found, Splendor in the Sky ») où durant quelques instants, la voix de Joe se multiplie mélodiquement et des percussions accompagnent la rythmique pour un aspect tribal absolument sublime. Pourtant, à aucun moment le titre ne se veut facile d’accès et le break revient à ce côté typiquement « Gojirien » et écrasant entre une basse pachydermique et des frappes de toms assommante. Lorsque le titre aurait pu trouver sa révérence après quatre minutes, une cassure rythmique rappelant sensiblement la structure de "Vacuity" vient nous cueillir et laisse imaginer du caractère implacable de ce final pour les live à venir. "Hold On" se construit sur une base inversée, c'est-à-dire débutant par des chœurs et un caractère très planant avec de se durcir sur un refrain où Joe appelle à se mobiliser, à y croire et exulte son combat contre la fin (ces «
Fight ! » qui n’attendent que nous pour résonner). Le solo au tapping avec ce chant clair par-dessus rappelle inévitablement à un "Global Warming", preuve que le
Gojira d’hier et d’aujourd’hui n’ont jamais été aussi proche.
Par son intelligence et sa construction, "
Fortitude" est une synthèse entre le groupe des débuts et celui qu’il est devenu, sans pour autant s’arrêter de regarder devant. Qui aurait pu s’attendre que ne déboule un "
Sphinx" radical et sauvage qui n’a rien à renier à un certain "The Heaviest Matter of the
Universe" ? Surtout après "
The Chant" qui trouve toute sa plénitude accompagné de son introduction et bien plus logique que lorsqu’il avait été dévoilé amputé du titre éponyme. Ainsi, les chants tibétains et les nombreuses percussions prennent le temps d’instaurer un climat, durant deux minutes proche de la méditation. Ainsi, ce riff presque stoner rappelant clairement "The
Shooting Star" semble plus ancré dans le titre plutôt que lorsqu’il déboule après tout juste 30 secondes. Certes,
Gojira n’a jamais été aussi chantant et mélodique, calme et proche d’un groupe de rock atmosphérique à la Queen of the
Stone Age mais on dénombre encore un nombre d’arrangements impressionnants (les bâtons de pluie sur le second couplet) et surtout une ambiance proche de la transe shamanique. Même ce solo, improbable chez le groupe, confère à la fois un côté cool et catchy et un aspect prog rock à la
Mastodon récent.
Et si "
The Chant" semble la figure de proue des déçus et de l’évolution mainstream, cet aspect chantant reste également fort sur des parties hurlées ou le simple phrasé n’est plus qu’une rage déclamée. Il y a ce "
Another World" déjà connu de tous mais au refrain taillé pour le show ou encore ce génial "Into the Storm" à la rythmique imprenable mais à la ligne vocale pouvant tout à faire convenir à un chant clair, malgré le fait qu’il ne le soit pas. Cet appel à la désobéissance civile (« Rise ! You’re awake now, Put your fist in the Air ») surmonté d’un riff implacable et monolithique est une nouvelle fois la parfaite image du
Gojira d’aujourd’hui, loin d’être si différente de ce qu’on voudrait bien le croire.
Et quoi de mieux que de terminer avec ce "Grind" radical rappelant sans contexte "FMTS" ? Un début agressif, brutal et technique comme nous ne pensions plus jamais l’entendre chez eux. Une intensité de trois minutes pour ensuite laisser place à un final atmosphérique et plein d’harmonies, comme une synthèse de l’album, de l’existence du groupe, de nos propres vies. Entre violence et quiétude, brutalité et solution pacifique.
"
Fortitude" est l’album que peu de gens pouvaient réellement espérer. Il est une totale réussite, union absolue des différentes époques du groupe sans jamais sonner approximatif, calculé ou opportuniste. L’âme des musiciens ressort à chaque coin de ces onze compositions sans défauts majeures. Certes, difficile d’imaginer "
Fortitude" devenir les albums cultes que sont désormais "
From Mars to Sirius" et "
The Way of All Flesh" mais il est probablement une porte d’entrée pour un nouveau public et ce, sans avoir rogné sur la qualité, l’intransigeance et la richesse des morceaux. Ce qui est en soi, une sacrée réussite.
Alors fan du groupe je ne peux pas forcément critiquer le travail réalisé cependant à part" the grind"
Le reste deviens trop mélodique, on est pour ma part à la limite du métal... Ce qui comme tu l'as très bien noté "il est probablement une porte d'entrée pour un nouveau public"... Mais c'est ça le problème où est le groupe que l'on a aimé ? Malheureusement malgrés le travail admirable et qui a biensur sa place dans la collection du groupe, bah le groupe suit la décadence de ce siècle, il devient fragile, sensible, tafiolisé... et sa manque de violence.. . Certe un nouveau public... Mais les anciens se tireront...
Sinon très belle chronicle mon ami.
Félicitations pour cette chronique, détaillée, construite, avec une conclusion qui se rapproche de ma pensée sur ce groupe et cet album....
Je vais juste rajouter un commentaire basique, peut-être superflu....Cet album est excellent...
Exactement. Bien dit!
Le rock progressif de cette décénie ? Personnellement, je n en doute pas..
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