Il y a des choses qu'on ne peut faire qu'à plusieurs, et je ne parle pas de part..., Enfin vous m'avez compris. La création ne sort pas du néant d'un esprit omniscient comme par l'opération du saint esprit, elle nait du partage d'idées, du mélange des sensibilités, de la transformation des influences régurgitées. Cet album collaboratif entre
Lament Cityscape, groupe américain de métal industriel, et Theologian, projet électro adepte de phobies post-traumatiques, l'illustre bien.
Les leaders des deux groupes précités ont vite eu envie de travailler ensemble et de partager leurs talents, Mike Mc Clatchey avait déjà mixé l'album "Reconcile" de Theologian, et participé aux sessions, alors que Lee Bartow avait chanté quelques lignes sur un album de
Lament Cityscape. Il est à noter que cetravail en commun s'est faît à distance et que les membres de Theologian et
Lament Cityscape ne se sont rencontrés dans la vraie vie qu'après avoir fini "
Soft Tissue", en novembre 2016. Cet album de sept titres plus un ghost track, était la fusion parfaite de leurs deux univers torturés , la concrétisation d'une envie qui a donné un résultat impressionnant, surtout en ces temps de disette industrielle.
Au point que les principaux protagonistes du projet ont décidé de le ressortir en cette année 2020 avec un petit lifting à la clé. Mike Mc Clatchey, profitant du passage de
Lament Cityscape en mode longue distance, en raison de l'éloignement de ses compères David Small et Seanan Mc Culloch, a saisi l'occasion pour travailler avec Lee sur un nouveau mixage pour l'album. En sus de la reprise de
Godflesh, nos vieux amis ont concocté une cover de PIL. La collaboration s'est étendue à d'autres groupes pour les remixes. Nous avons comme complices les groupes Venetian
Veil (avec
Jim Willig, Synthés, noises chez
Lament Cityscape), Cutworm (avec Dave et Sean, respectivement bassiste et batteur de LC) , Snowbeasts, Neurospora, COMPACTOR, The Over Hold.
Ce "
Soft Tissue : Excised Edition" est sorti le 22 mai 2020 chez Annihilvs
Power Elektronix, à un mois de distance du dernier EP de
Lament Cityscape, "
The Pulsing Wet". Il nous permet de redécouvrir cet album augmenté pour ceux qui ont la chance de le connaitre, mais il permettra aux nombreux fans d'indus qui sont passés à coté de réparer l'erreur.
Mais le cadeau ne sera pas une partie de plaisir, car "
Soft Tissue" est éprouvant, et difficile d'accès. On est lentement immergé dans une ambiance de peur sourde, sur "Last Train to
Nowhere" qui fait figure de longue intro supplice à l'album. Les plaintes éthérées de Mike Mc Clatchey essaient de vous anesthésier, avant de se terminer avec la lourdeur d'un riff plombé et des cris de rage saturée. D'autres titres fonctionnent sur une dualité, comme "Inevitability", commençant avec un riff lancinant haché par une rythmique répétitive, avant que des essaims de voix vous donnent l'impression d'être au fond de la caboche du Professeur Xavier. "
Soft Tissue is The First Thing to Go" vous piétine avec la lourdeur d'un
Godflesh et les remords désespérés d'un
Neurosis, puis relâche son étreinte dans une ambiance étrange pendant de longues minutes.
C'est un voyage initiatique vers le désespoir où la seule chose à apprendre est la mort, perdu dans un environnement hostile et déshumanisé ("Oh
Master"; cryptique avec ses gros lâchers de guitare). "We are All Barbaric
Scum" joue à fond sur les ambiances angoissantes, lui aussi, avec son travail dark les synthés et les samples.
Quelques titres sont plus accessibles, "
Old Flyeater" est transcendé par la voix plaintive et possédée de Mike, "Flechette" avec son son de guitare rock est étonnament mélancolique, et m'a rappelé, dans un tout autre style, ce que fait la ténébreuse anglaise Nadine
Shah sur ses morceaux les plus dissonants.
La batterie est une araignée bardée de patterns et de samples, la guitare est un peu lointaine, comme un démon prêt à bondir. Selon les moments, la basse s'accoquine avec la batterie, les synthés ou la gratte. Il y a un équilibre entre la froideur des nappes de claviers et des samples qu'on imagine de Theologian, et la vie ténue apportée par la batterie et les guitares, le tout étant fondu dans un magma de bruits, d'over saturation dans la production qui sont chers à
Lament Cityscape. Cependant, difficile de dire qui des deux entités a fait quoi, la fusion des deux a donné bien plus que la somme des parties.
Les remixes, qui sont le gros cadeau de cette reissue, n'ont pas été fais par-dessus la jambe. Ce sont de véritables nouvelles versions des morceaux, différentes, mais parfaitement intégrées dans cet album. Certains sont très ambient et/ou bruitistes et dépouillés (les deux remixes de "We Are All Barbaric
Scum", par Cutworm et Neurospora). D'autres plus électro ("Oh
Master" [Snowbeasts]), et drone ("Last Train To
Nowhere" [Compactor]). On retiendra le superbe pimpage New Wave de "Flechette (All These Holes)" par The Overhold, qui ferait baver de jalousie Matthew Bellamy, ou "Inevitability", plus construit et mélodique que l'original.
Quand aux reprises, elles sont dûment métallisées. Le"
Merciless" de
Godflesh était le ghost track sur la version originale de "
Soft Tissue", et devient titre à part entière ici ; il est un hommage fidèle. La Cover de PIL, "
The Order of Death", prend le contre-pied de l'orchestration du groupe phare du post punk de Johnny
Rotten (ex porte voix des
Sex Pistols).
On peste parfois contre les reissue qui ne servent à rien, ou les remasters massacrés, il n'en est rien ici. Tout ce qui a été ajouté rend cet album encore meilleur et délectable, une fois qu'on a réussi à s'habituer à l'atmosphère d'acide qui ronge les peaux mortes. Les gars de
Lament Cityscape et Theologian, habiles trafiquants en bruits tristes, refourguent leur came de bad trip avec de sales additifs, et ça fait encore plus mal.
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