« Ce n’est pas dans la jouissance que consiste le bonheur, c’est dans le désir, celui qui brise les liens s’opposant à ce désir ».
Marquis de Sade
« Le premier shoot de sexe ».
L’addiction au sexe. Cette première fois qui provoque une envie irrémédiable de recommencer, encore et encore, pour retrouver ce plaisir premier, cette jouissance initiale, ce bonheur nouveau, ce désir neuf. C’est ainsi que la quête débute, celle visant à retrouver la même émotion, à l’instar d’un drogué recherchant « ce premier de putain flash » dixit Renaud Hantson dans "
Addictions".
Personnage charismatique, envié et que l’on aime autant détester que l’on déteste l’aimer tant son talent ne souffre jamais de contestations possibles, Renaud a choisi d’offrir un tournant conceptuel inattendu à
Satan Jokers qui prit une nouvelle dimension avec la participation de Laurent Karila dans le rôle de parolier et gourou.
"
Addictions" avait permis au vocaliste culte d’assoir une modernité, une agressivité et une rage que l’on ne pensait plus lui trouver et le public avait majoritairement suivi le leader dans une aventure dangereuse, affublée d’un line up de fou furieux (
Pascal Mulot à la basse, Mike Zurita à la guitare et Aurel à la batterie) et surtout d’un fond empli d’un vécu, d’une sincérité et d’une crasse qui ne laissait personne indifférent.
Très rapidement, "
Psychiatric" arriva mais si le niveau technique ne fit que grimper, nombreux regrettèrent un aspect plus médical, moins viscéral et moins cru qui avait tant impressionné sur l’opus précédent. Effectivement, l’album se concentrait sur douze maladies psychologiques et mentales différentes sans rentrer véritablement dans le détail, montrant parfois un portrait un brin superficiel des troubles sans rentrer dans les détails.
Les détails. Autant dire que "
Sex Opera" va en offrir, va pénétrer (c’est le cas de le dire !) le sujet et signer une œuvre bien plus marquante que les précédentes dans l’ampleur du travail réalisé, la force du sujet et surtout l’intelligence textuelle qui, tout en ne faisant aucun compromis, garde une certaine pudeur en ne tombant jamais dans le sexe de bas étage ou la pornographie voyeuriste et facile.
Comme son nom l’indique, "
Sex Opera" n’est plus un simple concept mais fut réellement écrit comme un opera rock, avec des invités, des personnages, des échanges, des duos, une chronologie ; le tout prenant la forme d’une tragédie moderne et funestement actuelle.
Peut-être (et encore) moins directement personnel que "
Addictions" mais bien plus prenant, profond et complet que "
Psychiatric", "
Sex Opera" est une œuvre complète annoncée comme le dernier album de
Satan Jokers, venant mettre fin au triptyque traitant des
Addictions et par la même occasion une carrière bien remplie. Pavé monumental de dix-huit pistes, dont plusieurs intermèdes narratifs où le personnage principal (le Sexaholic, soit Renaud Hantson) et une narratrice omnisciente (Brigitte Lahaie, ancienne icône pornographique) racontent les pérégrinations de cet homme addict au sexe et voguant inlassablement à la recherche d’un absolu chimérique et utopique, et ce par tous les moyens. Il fera des rencontres étranges et dérangeantes avec plusieurs personnages et divers voyeurs, chacun représentés par un artiste différent.
"Préliminaires à l’Infini" ouvre l’album sur une attaque d’Aurel mais pose rapidement un riff rock, une mélodie old school et une plus grande accessibilité que les titres d’ouvertures récents. Le refrain laisse Renaud s’envoler de manière très mélodique, lui qui montre directement que sa voix n’a toujours pas vieillie et qu’il a encore de beaux jours devant lui. "Sexaholic" continu sur cette lancée rock n’roll et dévoile la seconde vie du personnage principal, pensant encore maitrisé ses actes et ses envies. Musicalement, on est surpris de se retrouver si loin de la déferlante technique des travaux actuels de
Satan Jokers mais on va rapidement comprendre que tout est prétexte à une longue montée en puissance tout au long de cette heure musicale.
C’est alors que "
King Sodom" va venir tout aplatir sur son passage avec l’intervention remarquée et surprenante de Stéphane Buriez (
Loudblast) dans le rôle éponyme qui va, de sa voix gutturale, offrir un penchant extrême encore jamais exploité par les français. Un riff destructeur, moderne et syncopé, une basse en slap monstrueuse de technique et propre à
Pascal Mulot et surtout cette voix d’outre-tombe et
Démoniaque de Buriez qui sied à merveille à la vision ténébreuse de ce personnage qui va faire sombrer le Sexaholic. Un solo furieux déchire le break qui s’accélère sur un blast beat comme Aurel l’avait déjà testé sur le précédent album pour assombrir l’album et rassurer ceux qui pouvait avoir peur de ne pas retrouver la lourdeur et l’explosivité des deux précédents disques.
C’est également le premier duo d’une longue liste. Virginie Goncalvez (
Kells), maitresse de cérémonie dans un club échangiste, interprète une Cassandra dominatrice de sa voix très chaude et puissante pour offrir un parfait complément à Renaud sur un "Asphyxie Erotique" au refrain entêtant et fiévreux, surmonté des lead guitares surpuissants de Zurita qui s’éclate toujours autant avec ses pluies de notes salvatrices. Mulot n’est pas en reste puisqu’il impressionne toujours autant sur un "Milfs" intraitable techniquement (bordel, ce niveau…) et lourd à souhait. Le refrain, monstre de lourdeur, est surement l’un des meilleurs du disque, en plus d’être glauque à souhait puisqu’en plus de traiter du sexe virtuel, il traite du cas particulier des Milf (Mother I’d Like to Fuck). Renaud y est impressionnant et dominateur, rageur et presque brutal avant qu’un break groovy et presque jazzy subjugue littéralement pour cette faculté à mélanger les styles avec un talent forçant l’admiration dans le hard français, loin des clichés. "Promis", premier extrait de "
Sex Opera", se veut tout aussi lourd et sombre (comme la grande majorité de la seconde partie du disque, véhiculant la lente descente aux enfers du personnage au contraire d’un début d’album plus accessible). Batterie surpuissante, riff étouffant sur le break puis aéré sur un refrain absolument magnifique (quelle voix !) débitant un texte restant en travers de la gorge tant il rappellera forcément des souvenirs à tous selon notre vécu ou notre expérience personnelle (« Promis demain j’arrête…enfin un jour peut-être »).
Outre ce caractère sombre, pessimiste et d’une noirceur infinie sur la deuxième partie du disque, on y trouve aussi une énorme mélancolie à fleur de peau, une beauté fragile touchante comme sur "Exhibition" où Virginie touche une fois de plus là où il faut, autant par ses mots que sa voix incarnant élégance, désir et plaisir. C’est également le cas de l’impressionnant "Royaume Décadence" voyant plusieurs grands se partager le micro ; à savoir Jo Amore (
Nightmare), l’impressionnant Walther Gallay (Café Bertrand) et évidemment Renaud qui évoquent leurs états d’âme sur une musique intimiste et minimaliste laissant les voix s’exprimer tout autant qu’un solo empli de feeling et de poésie. Il faut préciser à ce niveau que, outre Zurita, des guitaristes comme
Patrick Rondat ou Christophe Godin ont participé au disque pour lui apporter une couleur différente et plus riche. Une richesse amenant le groupe à reprendre le titre "Professionnelle" (initialement sur "SJ2009") en duo avec la terrible Céline Lacroix dont la voix n’est pas sans rappeler la belge Magali Luyten, rauque et dominatrice.
Tout concept demande une fin grandiose et celle de "
Sex Opera" ne déroge pas à la règle. A l’inverse d’"
Addictions" qui offrait une porte de sortie, une vision optimiste en montrant qu’il était possible de s’en sortir, le destin funeste du sexaholic ici est autrement plus dérangeant et avoir su le mettre en chanson d’une façon aussi magnifique force le respect. Final splendide avec un "
VIP HIV" de haute volée,
Satan Jokers livre un titre bluesy incroyable d’émotions révélant le combat perdu de cet homme désormais condamné. Le refrain est simplement merveilleux, entre la voix de Renaud et les chœurs féminins le soutenant en retrait. Il n’est pas surprenant de se sentir envahi par les émotions, presque au bord des larmes, en imaginant une connaissance face à cette épreuve, avec justement cette pudeur, cette détresse et cette fatalité nous rattrapant, comme pour nous dire que chaque excès à son prix, chaque désir ses conséquences. Un solo ultime au tapping arrache ces émotions contradictoires pendant que Stéphane Buriez refait une dernière apparition maléfique pour venir chercher son trophée, tel
Faust rattrapant l’homme après son pacte brisé.
Un travail de titan abattu pour finir en beauté une carrière étrange mais marqué du sceau de la différence et de l’innovation. Ajoutons à cela un documentaire complet de 90 minutes sur la carrière du groupe, un artwork saisissant et une date de sortie fêtant le bicentenaire de la mort du marquis de Sade et vous tenez l’album de cette fin d’année. Si
Satan Jokers devait s’arrêter là, il n’aurait désormais plus rien à prouver et finirait tout en haut, toisant de son aura une scène française qu’il contemple plus que jamais de toute sa hauteur.
Si c'est vraiment le cas, tu n'es aucunement un artiste.
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