Lorsque les Runaways explosent en 1979 pour causes (entre autres) de divergences musicales, ce sont vers des horizons assez divers que s’éparpillent les jeunes filles à peine adultes qui composaient leurs rangs. Si certaines persévèrent dans le milieu de la musique, parfois avec un franc succès (Joan Jett évidemment, qui connaîtra bientôt la reconnaissance planétaire avec la reprise “I Love Rock’n’Roll” des Arrows, mais aussi Micki Steele, qu’on retrouvera quelques années plus tard au sommet des charts au sein des Bangles), d’autres au contraire adoptent des trajectoires plus alternatives (Cherie Currie et Vickie Blue, qui se laissent un temps tenter par les sirènes du cinéma), voire complètement divergentes (Sandy West et Jacky
Fox notamment).
Lita Ford, la gouleyante guitariste blonde au visage d’adolescente espiègle, appartient pour sa part à la catégorie de celles qui ne comptent pas faire leurs adieux au Rock’n’Roll ; mais contrairement à son ex-camarade Jett, elle ne va pas réussir à rebondir au quart de tour et mettra finalement trois ans à dégotter un contrat avec Mercury Records, et encore une année supplémentaire pour enfin sortir son premier album. Celui-ci, portant le titre inquiétant de “
Out for Blood” (“en quête de sang”), voit donc le jour en mai 1983 au sein d’une scène
Hard US en pleine effervescence, avec la ferme intention de positionner sa championne sur le podium encore vierge du Heavy
Metal féminin.
Assurant non seulement toutes les parties de guitare,
Lita occupe désormais aussi le poste de chanteuse et co-compose la majorité des titres. Elle s’entoure en outre de musiciens expérimentés (
Neil Merryweather à la basse, mais également à la production et au mixage, et Dusty Watson à la batterie) et part enregistrer ce premier album solo aux Cherokee Studios d’Hollywood.
Dès la pochette, le ton est donné : finies les allures de collégienne ou les velléités punks des Runaways,
Lita Ford entend jouer clairement dans la catégorie
Hard Rock/Heavy
Metal sans concession. Affublée d’une tenue de dominatrice SM, les cheveux crêpés comme une lionne, la belle se tient dans une allure de défi au milieu d’une toile d’araignée constituée de chaînes d’acier. Pire, elle brandit une guitare martyrisée ruisselante de sang, ce même sang qu’on retrouve à ses pieds pour former le titre de l’album en lettres écarlates. Point de doute, la sauvageonne joue à fond la carte du “
Shock Rock” popularisé lors de la décennie précédente par
Alice Cooper et se pose en pendant féminin d’un
Blackie
Lawless (
WASP) ou d’un Nikki Sixx (Mötley Crüe) qui, à la même époque, ne faisaient pas non plus vraiment dans la sobriété. Que cette image aussi kitch qu’outrancière ait été le souhait réel de
Lita Ford ou qu’elle lui ait été suggérée par son management (un peu comme
Lee Aaron et ses photos dénudées), la question reste posée ; toujours est-il que ce visuel, jugé trop risqué, sera finalement revu lors des pressages ultérieurs au profit d’une photo certes toujours aussi sexy, mais évacuant les tendances gore de la précédente. Il n’en faudra pas plus pour hanter les rêves humides de toute une génération d’adolescents boutonneux élevés à la mamelle de Métal Hurlant, dont
Lita Ford paraissait alors l’incarnation littérale… Mais je m’égare.
La chanson-titre “
Out for Blood” ouvre les hostilités et lève d’entrée de jeu toute ambiguïté : un riffing purement Heavy
Metal, des paroles véhémentes, une voix à la fois chaleureuse et délicieusement éraillée, un refrain immédiatement mémorisable… Ce premier coup met dans le mille et permet d’espérer une galette des plus saignantes, malgré la maigreur de sa production. C’est d’ailleurs ce morceau qui est retenu en tant que single, lequel sera accompagné, balbutiements de MTV oblige, d’un vidéo-clip tout à fait dans l’esprit de la pochette.
Las, l’enthousiasme de l’auditeur se voit irrémédiablement tempéré par la suite. En effet, après ce démarrage en trombe propre à faire headbanguer même le plus macho des “hardos” (comme on disait en ce temps-là), la suite des morceaux s’avère d’efficacité inégale. Si un “
Die For Me Only (
Black Widow)” parvient également, par son tempo enlevé et ses roulements de double grosse caisse, à convaincre l’amateur de décibels furieux, l’ensemble bascule souvent dans un mid-tempo parfois poussif d’où n’émergent que trop rarement des mélodies réellement inspirées. Oh, rien de vraiment honteux, et même quelques jolies initiatives à retenir dans la plupart des morceaux : la basse sautillante de l’ondulant “Stay With Me Baby” ou du pesant “Ready, Willing
And Able” titillera vos orteils, le rythme et les envolées de guitare de “On The Run” entraîneront sûrement quelques hochements de tête approbateurs et la sensibilité de la ballade “Just A Feeling” fera vibrer votre cœur tendre de gros dur. “I Can’t Stand It”, qui clôture l’album, saura aussi vous convaincre grâce à son riff à la Mötley Crüe vigoureux, permettant de clôturer la galette avec une dose d’énergie bienvenue. En revanche, difficile de crier au génie sur aucun de ces titres, dont nul n’a réellement le potentiel de rester dans les mémoires une fois le disque terminé. Enfin, erreur de jeunesse commune à tellement de premiers albums,
Lita Ford cède à la facilité de deux reprises assez peu inspirées : “Rock’n Roll Made Me What I Am Today” de Peter M. Heimlich (dont la première version fut enregistrée l’année précédente par l’obscur groupe de San Francisco The Lloyds) et “Any Way
That You Want It”, chanson de Chip Taylor initialement interprétée par Tina
Mason en 1966 et déjà reprise par une foultitude d’artistes, parmi lesquels The Troggs, Ronnie Spector ou Walter Jackson, pour n’en nommer que quelques-uns. Notons tout de même que, même sur les chansons les moins brillantes, la blonde tigresse se fend de quelques solos faisant montre d’un beau toucher à la guitare, prouvant par-là qu’elle n’a rien à envier à la majorité de ses homologues testostéronés d’alors. Mais cette honorable maîtrise technique, pour prometteuse qu’elle soit, ne suffit hélas pas à masquer les faiblesses dont le disque se rend coupable par ailleurs.
Handicapé par sa production brouillonne et par des compositions manquant de cohérence et de panache, “
Out for Blood” n’est donc pas le trésor de Rock’n’Roll sulfureux et carnassier que promettait sa pochette : en fait de tigresse déchaînée, la féline qu’on y découvre tient davantage de la chatte échaudée, dont les griffes sont pour l’heure plus de taille à égratigner le canapé qu’à vous trancher la jugulaire. Pour preuve, de l’ensemble des chansons qu’il propose, seule l’éponyme “
Out for Blood” restera durablement dans les futures setlists de la musicienne. Conséquence logique, les ventes du disque s’en ressentiront et l’album échouera à se positionner dans les charts. À défaut d’être un succès commercial, il permettra néanmoins à
Lita Ford de réapparaître sur les radars du
Hard Rock des early 80’s et, surtout, d’entrer de plain-pied dans la compétition de celles qu’on appellera, bien des années plus tard, les
Metal Queens.
Mais la compétition ne fait que commencer…
13/20
Ah oui, je confirme: la pochette est effectivement mémorable, et émoustillé je le fus.
Merci pour la chro Phiphi, j'ai appris plein de trucs.
Comme toi j'entends un disque sympa sans plus. En fait, je trouve que ça sonne parfois comme une version métalisée des Runaways (par exemple sur "Out for blood" ou sur "Rock n roll made me" - j'ignorais que c'était une cover -). Tu en penses quoi?
J'ai un petit faible pour "On the run" et "Just a feeling", enfin une ballade pas trop nunuche.
J'enchaine sur "Lita" tiens.
Merci de vos commentaires les gars :)
@Salomice : pour être honnête, je connais assez peu les Runaways, que j'ai découvertes bien des années après leur blonde guitariste dont il est question ici. Mais oui, du peu que j'en connais, ça en reprend le côté le plus "Hard", tout en conservant un fond indéniablement Rock'n'Roll. C'est surtout à partir de "Lita" que la musique prend un tournant résolument FM/Glam/Hair Metal, qui s'éloigne radicalement de la formule Runaways.
1er album en solo pour la belle blonde Lita Ford, un album, encore un peu dans la lignée des Runaways.
Un hard rock timide, manquant d'audace et de punch, mais les bases sont la.
15/20
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