Définir la musique, le style et l’inspiration de certains groupes est un travail au moins aussi épuisant que la découverte de nouvelles créations. Certains artistes prennent effectivement plaisir à perdre leurs adorateurs, à flouer les pistes et rendre opaque leur parcours tant les changements sont nombreux sans pour autant que l’on puisse à un seul instant douter de la paternité de la bête.
Dans le cas des psychopathes d’
Atlanta, que de chemin fut parcouru par
Mastodon depuis "
Remission". "
Blood Mountain" les révéla à la face du monde et, non content d’exploser et de multiplier les tournées mondiales, le quatuor revint à cette période avec un "Crack the Skie" déroutant, dérangeant, infiniment atmosphérique et progressif, à des années lumières d’une musique commerciale ou accessible.
Mastodon se révélait un véritable artiste, peignant une toile dont seuls-eux connaissaient la finalité.
"
The Hunter", paru il y a trois ans, surprit une fois de plus les fans pour, au contraire, son apparente accessibilité et sa fausse facilité d’écoute. Car derrière ses structures simples et ses morceaux courts se cachait un redoutable album technique, volcanique et émotionnelle, possédant certaines des plus belles pépites des américains.
Bien évidemment, "
Once More ‘Round the Sun" ne délogera pas à la règle et il est d’emblée difficile de le saisir, de lui offrir une satanée étiquette propre à poser des mots sur la musique. Simplement compliqué à cerner et à placer dans le cadre de la discographie désormais bien fournie de
Mastodon.
L’artwork, réalisé par l’artiste Skinner spécialisé dans le psychédélique, est une fois de plus complètement différent des pochettes précédentes, et place directement ce nouvel opus dans une direction visiblement hallucinatoire, fantomatique et symptomatique d’une prise de LSD.
Musicalement, en revanche, le groupe d’
Atlanta semble pourtant continuer dans une voie sensiblement similaire à celle de "
The Hunter", en privilégiant des structures plus tranchées et proposant des parties complexes s’imbriquant dans un ensemble simple. Ainsi, la technicité devient, une fois de plus, une arme de plus pour l’expression de
Mastodon sans être un élément obligatoire ou omniprésent de la composition. On sent notamment que, comme d’habitude, le poulpe Brann Dailor est parti de structures simples derrières sa batterie pour poser les bases des morceaux puis a progressivement complexifier son instrumentation afin d’offrir la richesse et la technique indispensable au bien-être du groupe.
Conservant cette approche plus rock/sludge/catchy du précédent opus,
Mastodon s’ouvre ainsi les portes d’une reconnaissance encore plus large, qui décevra peut-être ceux qui attendaient un retour à la folie manifeste des débuts (toujours présente mais bien plus contrôlée) ou à la progressivité exacerbée de "Crack the Skie".
On ressent un énorme travail confectionné sur les vocaux, se multipliant constamment entre les différents chanteurs (chacun chantant désormais plus ou moins). Il suffit d’écouter le superbe "The Motherload" et ce refrain d’une beauté inouïe pour un titre pourtant très rock et tentaculaire. Les chants de Troy et Brents apportent une profondeur et une émotion à la musique, lui conférant presque une immortalité, une intemporalité faisant que cette composition aurait pu sortir il y a trente ans ou dans dix ans que le résultat serait identique. Ce n’est pas old school, ni moderne mais il y a pourtant un feeling qui pourra plaire autant aux cinquantenaires nostalgiques de mélodies aériennes (ce pont suivi d’un solo magnifique…) qu’aux jeunes fans de riffs gras et lourds et c’est en ça que
Mastodon tient du génie, de pouvoir rallier tout le monde autour d’une seule et même musique, sans aucune notion de style, d’époque ou de génération. Un talent permettant un hymne comme "
High Road", mid tempo imparable et rugueux sur les couplets quand le refrain se fait plus sucré et superbement mélodique. Certains diront que la recette est commerciale mais le résultat est tellement savoureux, réussi et majestueux qu’il me serait impossible d’utiliser un tel terme péjoratif ici.
Il ne faut cependant pas croire que l’ancien
Mastodon a complètement disparu. La douce schizophrénie de "Aunt Lisa" (la tante même de Brann, folle d’après lui et morte relativement jeune, à qui il rend ici hommage), aux riffs plus tordus et aux lignes de chants hallucinatoires. Les parties hurlées évoquent clairement "
Blood Mountain" alors qu’on retrouve des univers sonores très étranges à base de claviers et de samples déviants. Et que dire de ces chœurs d’enfants à la fin du titre, mix indéfinissable entre un riff épuisant et une publicité ? Créatif, génial et indéchiffrable pour certains, en roue libre et prétentieux pour d’autres. Ce genre de titre ne laissera clairement personne indifférent.
Au contraire, "Chims at Midnight" renoue avec l’aspect très atmosphérique et éthéré des américains, jouant de leurs accélérations pour changer d’atmosphères en quelques instants et passer d’un instant en lévitation à un plan rageur et sec. Il en va de même pour "Asleep in the Deep", superbe pièce enivrante et planante de six minutes propre à nous faire voyager très loin. Ce n’est d’ailleurs pas la longue "Diamond in the Witch House", avec Scott Kelly en guest (une fois de plus), qui nous fera dire que
Mastodon a radicalement changé. Huit minutes de déviance empreinte de drogues, d’hallucinatoires, de rêves étranges et malsains pour démontrer que le groupe est de toute façon unique et insondable, qu’il fait ce qu’il veut quand il veut et ne renie à aucun moment son passé.
"
Once More ‘Round the Sun" ne changera pas grand-chose à la carrière de
Mastodon. Il n’ouvrira pas plus de portes que "
The Hunter" puisqu’il suit un chemin similaire, ne fera pas adhérer ceux qui n’aiment pas et continuera de fidéliser les autres. Pour autant, ce n’est pas pour ça qu’il n’offre pas de nouvelles idées ou qu’il est dénué d’intérêts, il est simplement, pour la première fois, la continuité de l’opus précédent et révèle en soi un peu moins de surprises. Il est un peu ce type d’albums « best of », ralliant le meilleur de plusieurs époques pour proposer une réponse finale à un style musical, à une identité propre. "
Once More ‘Round the Sun" est un peu tout ça, une réponse à ceux trouvant que le groupe change constamment, un point final donné à quinze ans de création. Un point final jusqu’au prochain changement ? Espérons-le !
J'attribue un gros 14/20.
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