« Nom d’une pipe ! » s’exclama Jacques à la vue de l’engin, salivant par avance d’en goûter les délices.
La bave aux lèvres, il observait le paquet reposant dans la boîte aux lettres, hésitant à le toucher de peur de le faire disparaître, se pinçant à tel point il craignait de rêver. Finalement, Jacques se lança, prenant le paquet à pleine main et l’extirpant de son cocon métallique. La grandeur de son soulagement le disputa à la profondeur de son soupir, dès lors qu’il fut assuré que le sésame ne se transforma point en poussière de songe ni en visqueux poisson. Ouf, dieu merci, ce n’était point un mirage, pas plus qu’une blague du premier avril !
Il n’est aucun mot suffisamment fort pour qualifier l’impatience qui rongeait Jacques et les questionnements qui le taraudaient depuis l’annonce de la sortie du quatrième album de Pensées Nocturnes. Le mastermind Vaerohn allait-il rééditer le coup de "
Ceci Est de la Musique" ? Le spectre de l’album-fantôme allait-il frapper à nouveau ?
C’est peu dire que Jacques avait été déçu, il y a deux ans de cela, lorsqu’il s’était aperçu que "
Ceci Est de la Musique" n’avait bénéficié que d’un tirage aussi limité que le QI d’un tocard. Lui qui avait tant voulu s’en nourrir à s’en faire péter la pensée nocturne, en boire les paroles jusqu’à l’hallali. Lui qui, simple ouaille, avait subi le gigantesque choc de l’ultra-violente révélation selon laquelle il ne faisait point partie des rares élus dignes de caresser le disque-fantôme comme la Vierge Marie (bas les pattes, non mais !).
Cette brusque déprogrammation du spectacle avait laissé Jacques mortifié ; pauvre clampin à la porte d’une salle désertée. « Si j’avais su, j’aurais pas venu » s’était-il dit tristement (Petit Gibus inside).
Mais Jacques n’était point homme à nourrir une atrabilaire rancune, ni même pessimiste esprit à ressasser ses noirs regrets. Portant son précieux colis, fragment d’un être idolâtré, il courut, courut et courut encore, jusqu’à en perdre la laine, tel un mouton enjambant les haies, défonçant la porte d’entrée, montant au palier, et s’enfermant dans sa chambre à double-tour verrouillée. Sa piaule, son prieuré.
Sur l’autel trônait une immense chaîne hifi, entourée de ses deux enceintes telles d’imposants gardes du corps. Plaquée au mur, au-dessus du magnifique bijou de technologie moderne, une photo de l’idole gouvernait, bordée d’une parure dorée aux motifs angéliques, éclairée par un spot diffusant une lumière d’une pureté divine.
« Ce Vaerohn, quel bel homme » pensa alors Jacques (n’avait-on point précisé que son patronyme était Langue ?), en contemplant malicieusement le visage du musicien. Ce visage aux traits harmonieux, aux longs cheveux à la souplesse déliée et à la brillance des blés, gracieusement surmonté de l’auréole (parce qu’il le vaut bien).
Jacques s’agenouilla, adressant une brève prière, puis entama l’ouverture du paquet. Débuta alors un langoureux strip-tease, sensuel effeuillage de couches de carton, de morceaux de papier à bulles et de lambeaux de blister, jusqu’à dévoiler la rondelle à chroniquer (non, ce n’est pas sale). Jacques déplia les trois panneaux du sublime digipack, toute peur d’y tomber dedans s’étant évaporée, puis en extirpa la galette qu’il introduit dans la bouche offerte du lecteur-CD. « Nom d’une pipe ! ». Tant d’attente, Jacques n’en pouvait plus. Les nuages du passé évacués, le lumineux espoir était si proche de renaître. Après la pluie, le bouton. Jacques appuya sur « Play ».
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« Internazionale pubblicazione ! Following the breathtaking “
Grotesque” and the phantom “
Ceci Est de la Musique”, “Nom d’une Pipe” ventures even further: black metal, reggae, tango, musette and many more, everything mixed together! Exclusive limited digipack edition avec booklet 20 pages tout confort et artwork jantes alu. Für die ganze Familie ! Wir leben LADLOS. »
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… (c’était un communiqué de Gérald de chez Les Acteurs De L’Ombre ; désolé chers lecteurs, mais il faut bien qu’on ait de quoi vivre, nous pauvres chroniqueurs sans le sou) …
La musique se diffuse dans la pièce et le spectacle commence par des harmonies arabisantes desquels surgit un speech en l'horreur de notre ancien Président de la République, histoire de diviser les foules dès l'acte premier. "Il a mangé le Soleil", certes, mais son successeur a quant à lui d’ores et déjà avalé la trompette.
Pas un pour rattraper l’autre. Les artistes engagés, qu'ils disent ! Con-nivence ? Suce-picion ? Allez savoir… Ça sent fort l'affaire louche qui se trame là-dessous et qui ne va pas tarder à éclabousser le petit écran autant qu’un obsédé en manque devant un film porno. Ne trouvez-vous pas bizarre que (sauf son respect) un simple artiste de rut comme Vaerohn puisse bénéficier d’une qualité de production aussi phénoménale ? Pour sûr que lui aussi est allé soutirer du pèze à la vieille folle, patronne des studios Druden-os où a été réalisé le mastering de "Nom d’une Pipe !". Là, on se vautre dans le graveleux. L'orchestre électrique se déchaîne avec force cordes dissonantes et rythmiques s'emballant dans un total lâchage à faire sauter les braguettes. En accompagnement, le saxophone balance un solo de karcher. L'instrument se métamorphose par la suite en charmeur sexophone, sur "La Chimère" et "Le Chœur des Valseurs", où il réapparaît en nous régalant d'une chaude danse du ventre. De ses notes gigotantes, le virevoltant instrument y exécute une choré (du nord) explosive.
Tel un journal de 20 heures sous acides, Vaerohn dynamite notre sinistre actualité via le périple dramatico-déconnant d'un mystérieux personnage et de ses rock-ambolesques rencontres, sur le chemin le menant aux sommets (quelle hyperboule sur la condition de rock-star ! ). Et qui autre que nos ridicules et impuissantes autorités peut mieux personnaliser le grand cirque de la vie, où les malheureux protagonistes tournent en rond comme en bourrique et en dérision, condamnés à subir l'éternel supplice de la colline et du rocher, mis en paroles penséesnocturniennes d'une plume in-sisyphe avec multiples sens, niveaux de lecture et jeux de mots tarés-biscotés inclus dans le forfait 50 minutes de communication pour 10 euros seulement.
Encore ? "Le Marionnettiste" se règle sur la cadence d'un ventripotent accordéon, laissant place à un reggae endiablé autant qu'enfumé, traversé de trémolos rappelant les origines black de Pensées Nocturnes (sans équivoque).
Encore ? La fiesta bat son plein et le basson sautille sur "Les Hommes à la Moustache" et "Bonne Bière et Bonne Chère", parade des couillons déglingués.
Encore ? Et ça continue avec "Le Berger" et son pataquès de free-jazz. Nom d'un bâton, il a tout compris l'sauvageon !
Encore ? Choc des cultures sur "L'androgyne" et ses percussions de souk qui se tapent un raï de coke avec notre bonne vieille trompette bouchée, ça en bouche un coin.
Encore ? Les vocaux mi-haine mi-coton de "La Sirène" se la jouent La Belle et le Clochard. Le scénariste mixe sans vergogne les torchons et les serviettes, interpénètre sans complexe le beuglement alcoolisé et la volupté lyrique.
Encore ? Chaque acte possède cette invraisemblable capacité à partir en couille pour ensuite revenir à pied. Et en plus de la poire, notre boute-en-train s’est fendu d’un concept liant les neuf actes du spectacle, en direct-live du fil rouge de Simone Garnier (souvenez-vous, Intervilles !).
Jacques (tiens, on l’avait oublié celui-là) est aux anges et se revoit parcourir les rues d'Avignon en plein mois de juillet, suant à porter son lourd sac de festivalier en bandoulière.
La fibre dépressive originelle de "
Vacuum" s'est complètement délitée au profit d'un cabaret théâtral déjanté et jubilatoire (deux qualificatifs qui cartonnent sur les flyers distribués par les troupes). "
Grotesque" avait planté le clou, "
Nom d'une Pipe !" l'enfonce jusqu'à la garde ; « Le changement, c’est maintenant » serine la face bouffie dans un trait d’humour coincé à l’âge de la bière sur l’échelle de l’évolution.
Bazar-metal ? Bordel-metal ? Tartuffe-metal ?
Metal'nawak ? Choisissez l’étiquette que vous voulez, il y en autant pléthore que dans un supermarché. Allez-y, c’est journée portes ouvertes !
Difficile de trouver un équivalent au lard imaginé par Pensées Nocturnes, si ce n’est peut-être le dernier
Sigh en date "In Somniphobia". Et encore, le parallèle reste-t-il limité à une forme d’entertainment musical à base metal. Car pour le reste, chacun son trip ; les japs dans leur délire nippon et Vaerohn dans son délire bien franchouillard : béret sur le teston, baguette sous l’aisselle, sauciflard dans le cul et camembert étalé dans le slibard. Zéro censure ; là où règne la gêne, succombe le plaisir.
Les invités du temps de "
Grotesque" se nommaient Edvard, Johannes, Guiseppe et Piotr Ilitch. Ils s'appellent aujourd’hui Michel, Georges et Raymond. Vaerohn a troqué l’apparat du chef d’orchestre pour endosser la bonne salopette des familles. Et comme Francis, on peut se poser la question : est-ce que ce disque est sérieux ? … Car j’entends qu’on s’amuse et qu’on chante au bout du couloir. Gégé a touché le verrou et Vaerohn a plongé vers le grand jour, a vu les fanfares, les barrières et les gens autour.
Stupéfiant stupre et lucratif lucre, quelques grammes d’humour dans un monde de brutes, normal comme approche pour un musicien dont le nom de scène rappelle une illustre marque de chocolat (non, ce n’est pas Lindt).
Génie ou guignol ? Habile tricoteur d’harmonies ou débile brasseur de notes ? Potache détonnant ou pot de chambre et tache de merde ? Entité de l'Olympe ou idiot du village ? Modeste étalon ou prétentieux enculeur de mouches ? … Vaerohn est à la musique ce que Gordon Zola est à la littérature : un trublion loin d’être au goût de tous, mais qui ne manque pas une occasion de s’éclater.
Qu’on l’acclame (encore ?) ou qu’on veuille le jeter au fleuve (va au Rhône ! Sal’té d’salopiaud !), au centre de l’arène comme dans l’intimité de la reine, Vaerohn n’en a cure et restera droit comme un « i », quitte à ce qu’on lui mette le poing dessus. Jamais il ne s’avouera vaincu, il aura toujours quarante fesses. Con s’le dise !
Ca me donne envie de découvrir cet album pour le coup!
Certains sont habités ici c'est pas possible!
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