Après les singles de « Sechnsucht », qui attireront l'attention des médias pour leurs bouffonneries controversées, c'est finalement en 2001 que
Rammstein créera l'album le plus important de leur carrière. Non seulement parce que celui-ci leur ouvrira dorénavant les portes vers une exposition de masse, mais aussi pour la simple raison que cela fera d'eux le premier groupe de l'histoire à percer en utilisant leur langue maternelle.
En effet, à l'époque, des groupes comme
Scorpions, Europe et
Kreator avaient tenu pour acquis que chanter et écrire en anglais était gage d’espoir et de succès en dehors de leur propre pays, et force est de constater que
Rammstein est la rare exception qui confirme la règle.
Or donc, ce troisième opus nommé «
Mutter » (Mère en français) fut écrit à l’aube du troisième millénaire et enregistré l’été suivant. Les succès précédents en Allemagne avaient fait naître de grands espoirs pour l’album, débloquant de facto un budget de production plus important pour le combo teuton, ce qui leur a permis entre autres de travailler au Studio Miraval dans le sud de la France.
La différence majeure entre le deuxième et ce troisième album réside dans le fait que le second était fortement dépendant des instruments électroniques, des ordinateurs, des échantillonneurs et des claviers, alors que sur «
Mutter » les synthés sont beaucoup moins utilisés qu'auparavant, le groupe optant alors pour des sons plus orchestraux et mettant donc davantage l'accent sur le travail de la guitare. Cela a finalement abouti à quelque chose d'incroyablement épique car l’épine dorsale du disque fut construite avec des rythmes plus sinistres et plus majestueux qu’auparavant créant, dès lors, une base plus solide sur laquelle des fioritures plus grandioses furent ajoutées.
Résultat, le son de l'album marque donc un pas en avant titanesque, notamment grâce à la production de Jacob Hellner et au mixage de Stefan Glaumann qui sont absolument énormes. En effet, les guitares sont grosses, épaisses et la batterie s'écrase avec une force que les albums précédents ne pouvaient égaler. En bref, il s'agit de l'enregistrement qui a défini ce que sera
Rammstein dans le futur.
Un autre point à souligner est la progression sur le plan lyrique, nous éloignant un peu des concepts de base comme le sexe, la drogue et la mort pour nous emmener vers des domaines plus per
Sonnels comme les cauchemars de l'enfance, l'amour perdu et la célébrité.
Qui plus est, il y eut une énorme campagne de promotion avec six singles sortis de l'album, ce qui en fait un record dans l’histoire du groupe, et qui témoigne de l'endurance des morceaux "
Mein Herz Brennt", "Links 2 3 4", "
Sonne", "
Ich Will", "Feur Frei !" et "
Mutter" dont ce n’est que la première moitié du disque et par lequel chacune de ces chansons est maintenant devenue un incontournable du groupe à presque tous les concerts.
Nos Teutons ont, en outre, trouvé le bon équilibre entre les chansons lourdes et douces, ce qui rend l'album imprévisible, mais dans le bon sens.
A titre d’illustration, le lourd assaut massif se fait entendre dès l’ouverture du disque avec le cauchemardesque "
Mein Herz Brennt" qui présente toutes les nouvelles idées que le groupe a mises en œuvre sur l'album ; à savoir des nuances orchestrales, des guitares charnues, et un gros son de batterie par opposition aux pops industrielles des œuvres précédentes. Dans ce numéro rempli de violon et de piano, le chanteur Till
Lindemann raconte l’histoire des fameuses sorcières cachées sous le lit des enfants ainsi que le pouvoir des cauchemars. Par ailleurs, il convient de préciser que l’un des aspects clef de la musique de
Rammstein a toujours été la volonté de
Lindemann d’aller puiser dans les contes de fées et le folklore allemands pour l'inspiration lyrique. Ses couplets doucement prononcés et son chœur explosif rendent, de ce fait, ce numéro effrayant.
Dans cette catégorie, "Links 2 3 4" y trouve également sa place vu qu’il poursuit cet assaut en apportant avec lui un style plus militaire. Sur ce titre, des riffs volumineux retentissent au rythme des tambours qui
Sonnent comme une armée marchant en formation. Il faut dire que dès leurs débuts, les membres de
Rammstein furent accusés d'avoir des sympathies fascistes ; et bien qu’il n'y ait jamais eu de preuve ni même d'indications claires de la part d'un de ses membre pour soutenir cela, le fait que le groupe soit allemand et ait une esthétique ultra masculine signifie que les rumeurs ont continué à marteler le groupe des années durant et même encore de nos jours. En conséquence de quoi, "Links 2 3 4" fut la réponse du groupe à ces accusations puériles et sans fondements.
N’omettons pas non plus l'hymne populaire "
Ich Will", traitant apparemment du désir humain, de la gloire ou encore de l'immortalité, qui débute par un clavier au son planant soutenant la voix menaçante de Till, avant que des riffs plus intenses ne se fassent entendre. La piste bascule entre ces styles tout au long de sa durée, créant un superbe paysage sonore qui aide à la construction d’un refrain anthémique, tout comme "
Feuer Frei !" avec son clavier plus calme qui poursuit la bataille avant que les guitares ne frappent tel un camion en fuite, se fondant dans le son de sirènes. Elle est peut-être l'une des chansons les plus lourdes de
Rammstein, ayant une vitesse presque Thrash
Metal, où un parallèle peut être fait avec "Zwitter" qui suit le même schéma, étant brutal, rapide et dont les riffs de guitares frénétiques et le son lourd des cymbales le portent avec vigueur du début à la fin.
Toute cette lourdeur s’observe également sur "
Rein Raus", pourvue de sons tordus et déformés associés à une ambiance effrayante qui ne font qu'ajouter un sentiment troublant aux insinuations évidentes et grossières qui composent cette piste, piste qui reste néanmoins très solide si vous pouvez dépasser le sens ironique des paroles.
Et enfin, bouclons la partie dure de ce disque avec ce qui est peut-être la chanson la plus connue de
Rammstein parmi les fans occasionnels, "
Sonne" ; conjonction étonnante de
Metal Industriel et de travail orchestral qui s'additionne à une absolue perfection. Ici, les voix féminines échantillonnées sont belles, obsédantes, et complètent les éléments classiques qui contrastent agréablement avec la lourdeur de tout le reste du morceau.
Après ces manèges à sensations fortes, vient le temps des attractions plus calmes. En embarquant sur "Speiluhr", dont la musique s’avère échantillonner une boîte à musique sonnant extrêmement étrange, l’on y observe
Lindemann y réciter une sorte de poème. La façon dont les éléments se mélangent dans ce morceau est incroyable, et c'est probablement le titre le plus sous-estimé de «
Mutter ». Cette chanson est peut-être plus orientée vers le
Hard rock standard mais elle s'élève néanmoins au-dessus de la moyenne grâce à son refrain intéressant.
Pour les plus curieux, ce titre raconte l'histoire d'un garçon enterré vivant avec une boîte à musique et Till avait déclaré qu’à l'origine, le petit devait rester enfermé et mourir dans le cercueil. Toujours est-il qu'après réflexion, ils ont plutôt convenu au sein du groupe que l'histoire devait mieux se terminer, sauvant ainsi l’enfant voué à une mort des plus traumatisantes, à l’inverse de la chanson éponyme tragique de l'album où au sens lyrique, profond et obsédant, vient s’ajouter une mélodie lugubre. Bref, une atmosphère parfaite pour décrire cette chanson parlant d'un bébé éprouvette qui vit, certes, mais qui n'a cependant jamais connu sa mère et qui se sent seul au monde.
Je glisse une petite parenthèse pour réaffirmer que c’est dans ces moments que
Rammstein démontre qu'il est l’un des groupes les plus audacieux, nous obligeant à nous poser sans cesse des questions et nous mettant très souvent dans une situation paradoxale ! Si l’on prend "Speiluhr", notre bon sens voudrait que le garçonnet soit sauf et puisse vivre, alors que sur "
Mutter", on se rend compte que cette vie est parfois plus cruelle que la mort elle-même ! (En synthétisant, bien évidemment). Pour faire simple, les Allemands aiment nous torturer l’esprit mais cela se fait toujours de manière subtile.
Enfin, vers la fin du disque nous avons un mix des deux styles avec "Adios" et "
Nebel" . Dans la première, nous avons droit à l’évocation de la mort par une surdose d'héroïne ; pourvue d’un rythme plus vif et plus puissant notamment grâce à la batterie qui joue de façon très intéressante, variant d'un rythme de caisse claire dans les couplets à une contrebasse régulière accompagnée d’une guitare simple et entraînante, cette plage est à l’inverse de la seconde qui est de nouveau une ballade tragique, commençant par une sensation effrayante où
Lindemann déploie ses ailes mélodiques avec sa voix de baryton si caractéristique. C'est une chanson puissamment sentimentale et une façon ambitieuse de clore l'album.
Avant de conclure, il ne faudrait pas omettre de s’épancher sur l’une des pistes supplémentaires ayant pour nom "Hallelujah", et figurant sur « l'Expanded Edition », qui mérite qu’on s’y attarde, notamment pour sa particularité d’attaquer directement la religion.
Brutalement honnête et certaine d'offenser tous les catholiques, cette chanson parle d'un enfant de chœur qui est agressé par un prêtre. Elle n’a rien de particulier musicalement puisque les mêmes notes de guitare se répètent tout au long du morceau, mais vous ne pouvez pas vous empêcher de sourire avec une ironie malsaine lorsque l'enfant de chœur chante : "Hallelujah" dans le refrain, preuve une nouvelle fois du talent de
Rammstein d’écrire sur ce genre de sujet tabou, privilégiant la réflexion au détriment de la condamnation.
Résultat des courses : «
Mutter » est tenu en haute estime parmi les fans car la capacité du groupe à écrire des chansons solides, accrocheuses et lourdes a considérablement évolué depuis leurs débuts. L'équilibre et la variation des pistes lourdes et douces sont également très bien pensés, avec tant de moments remarquables convenant parfaitement aux anciens et aux nouveaux fans de
Rammstein.
Il est donc définitivement acquis qu’au niveau des paroles, c'est l'un des efforts les plus importants des Allemands, partant de la démystification de la rumeur du nazisme dans le but d'acquérir une notoriété mondiale ; tandis que musicalement, c'est l'album dans lequel le groupe a trouvé un son qu'il réitérera lors des sorties suivantes.
En fin de compte, «
Mutter » est l'incarnation d'un album cohérent, car même si les paroles ne sont pas liées par un concept évident, elles créent tout de même une sombre image de modernité en combinant une atmosphère sombre, mélancolique, puissante et sans pareil ; percutant, accrocheur, lourd, vibrant, musclé et jouissant d’une grande jouabilité. c'est dire qu'aujourd’hui encore, ce disque est considéré comme l'un des meilleurs albums de
Rammstein.
Bref, le qualificatif qui lui sied le mieux pour le décrire serait de dire que c’est l’album qui a permis au groupe de déployer ses ailes pour s’envoler vers le soleil.
Génialissime Album, comme ce groupe . Je ne me lasse jamais de le réécouter.
Merci pour cette chronique qui rnous aide a encore mieux comprendre leur oeuvre.
Très belle chronique Metalsonic99! Tu me donne envie de m'y replonger
Merci à tous pour vos retours très sympathique et positifs
Mon Dieu comme cet album m'avait marqué à une époque. Je ne l'ai plus réecouté depuis bien longtemps, mais les souvenirs sont encore intacts. Voilà enfin une chronique pour lui apporter justice sur ce site, merci.
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