L’apprentissage, quoiqu’on en pense, ce mode de formation par alternance, ouvert aux jeunes, associant intelligemment une période théorique en centre des apprentis et une expérience pratique en entreprise, apporte une assurance de réussite professionnelle pour le futur. Comblant parfois les errances de l’éducation nationale ou des erreurs d’aiguillage lors d’orientation manquée, l’apprentissage permet de trouver sa voie ou de remettre le pied à l’étrier à certains laissés pour compte.
Depuis la nuit des temps, nos artistes préférés ont habillement adopté l’apprentissage, en le pratiquant avec assiduité sur scène ou en studio, instruments en main, seuls ou face à la foule, en gardant à l’esprit les influences de leurs ainés qui les auront inspirés. Car l’apprenti ne parviendra au fil des années à parfaire son instruction que sous la bienveillance et l’aide indéfectible de son maître d’apprentissage.
Ce second album d’
Anvil constitue le chainon manquant entre le rock juvénile et imparfait de «
Hard ’n’ Heavy » et la déferlante maitrisée de «
Forged in Fire ». Nous sommes encore loin du chef d’œuvre absolu. Même si l’apprenti apprend vite, il subsiste encore des carences dans la maîtrise de tous les codes alors que le style des Canadiens s’affirme peu à peu. En effet, la quarantaine de minutes de ce second LP dessine déjà un style clairement orienté hard burné et heavy metal pur AOC et sans la moindre fioriture, alliant
Judas Priest et jus d’érable.
C’est au cœur de l’hiver 1982, en janvier et février, que Steve Kudlow et ses boys s’enferment au Phase One Studios de
Toronto, bien au chaud et sous les avis éclairés d’un producteur qui deviendra incontournable comme découvreur de talents, Chris Tsangarides (RIP). Tout ce qui passe entre les oreilles et les doigts de fées de cet homme se transforme assez souvent en objet hurlant bien identifié. De par la production et l’équilibre donné à chacun des instruments, ce «
Metal on Metal » officie dans la catégorie supérieure, comparé à son prédécesseur. Bien entendu, le niveau des compositions progresse globalement et ne négligeons pas non plus l’apport de Chris à la console qui permet à l’enclume de prendre son envol, défiant ainsi toutes les lois de la gravité.
Est-ce lui qui donna naissance à ce mixage si singulier, à savoir la section rythmique, solide et épaisse comme une enclume, alors que la sonorité plus aigüe des guitares s’apparente au doux chant du marteau s’abattant tantôt sur le fer en fusion, tantôt sur la table ou sur la bigorne ? Qui sait ? Comme cette habitude que Lips prendra à nommer ses albums de 3 mots, en faisant attention à ce que la premier et le dernier commence par la même lettre… Lips et Robb, en bons soldats qu’ils ont toujours été, appliqueront souvent les mêmes fonds de sauce dans leurs albums, sorte de grigri porte-bonheur ou de boussole en période de tempête. Constance et consistance ne sont-ils pas au final les ingrédients de la signature sonore que chaque groupe cherche à obtenir, reconnaissable entre mille à la première note jouée ?
Néanmoins, malgré une courbe de progression évidente, le bât blesse encore sur certains passages en manque d’inspiration ou par manque de travail tout simplement. Même si Robb Reiner domine son sujet haut la main et témoigne déjà d’un don inné à fracasser son kit de batterie, dès qu’il lève le pied et ses baguettes, les morceaux perdent en mordant.
Par exemple, « Stop Me », sur lequel le guitariste Dave
Allison se remet derrière le micro, manque cruellement de caractère, même si c’est bien mené avec un Lips attachant sur ses licks et le solo tout en douceur. Sa teinte rock US, propre sur lui, ne suffit pas à le hisser au rang de certains brûlots que cette galette nous offre. Trop mièvre sans doute, on s’ennuierait presque… Là où
Anvil pourrait faire beaucoup mieux, c’est sur l’enchainement « Heat
Sink », « Tag Team » et «
Scenery ». Le premier s’appuie sur une bonne trame rythmique mais l’étincelle ne jaillit pas. Oscillant entre mid-tempo et speed à peine marqué, il finit par passer par-dessus bord à force d’hésitation coupable. « Tag Team », titre heavy-metal assez passe-partout, est tracté par un riff hyper gras. Le sympathique refrain rentre aisément en tête et comble d’ironie, le titre s’achève en fade-out sur la partie la plus réussie. Erreur de jeunesse les amis. Le
Kiss-like «
Scenery » reste lui aussi dans les starting-blocks. Le jeu en lead de Lips avec sa sonorité de cornemuse ne le sauve pas du marigot dans lequel il est allé se fourrer, comme la pâle copie de « Crazy Train » d’Ozzy que certains peuvent entendre… Franchement, comparer le jeu de Dave et Lips à celui de
Randy Rhoads (RIP) n’est pas faire grand honneur à ce dernier.
Et oui, apprendre son métier, c’est aussi faire des erreurs et les assumer, puis rebondir en corrigeant les imperfections. Comme le disait
Nelson Mandela, « soit je réussis, soit j’apprends ».
L’apprenti
Anvil rend aussi, sur cette deuxième expérience en studio, une copie de première qualité avec une volée de titres imparables.
Commençons par le colossal instrumental, « March of the Crabs », qui débute désormais chacun des concerts du groupe avec Lips s’invitant pleine fosse. Robb Reiner sort du bois, enfin, avec un jeu cataclysmique, emmenant dans son sillon l’intégralité des musiciens. La déferlante de décibels déclenche une dose d’adrénaline instantanée. Rarement instrumental n’aura atteint un tel niveau d’intensité, voire de violence. La prise de risque s’avère payante. Joué désormais sur scène dans la foulée mais clôturant cet album, une furie infernale traverse de part en part le monstrueux «
666 », titre speed cadencé par la frappe de boucher et les roulements de double grosse-caisse du batteur.
Son compère bassiste,
Ian Dickson, s’avère bien souvent assis sur son porte-bagage. Basse en main, il propulse « Jackhammer » sur les chemins sinueux et tortueux d’un mid-tempo magnifié par la ligne rythmique. L’apport de ses 4 cordes sur « Mothra » lui donne un souffle de marathonien. Contant l’histoire de ce papillon géant, personnage protecteur du cycle de vie et de mort de la Terre dans le cinéma de monstres japonais rendu célèbre par
Godzilla, la partie de manivelles de Dave et Lips mérite une mention particulière elle aussi. Ce dernier se délecte lorsqu’il le joue en live de son interprétation en ut majeur de la descente de manche avec vibromasseur. Sacré Lips !
La section basse-batterie continue son œuvre sur l’ode à l’amour « Tease me, Please me ».
Ian Dickson surnage aisément au milieu des guitares et lui confère ce rythme sautillant qui fait remuer la croupe. Aux antipodes de ce mid-tempo saccadé trône le phénoménal «
Metal on Metal ». Le plomb sous forme liquide du couple Robb-
Ian abreuve le creuset du riff lourd et simplissime de ce heavy massif aspergé de visite de toms inopinée. On se sent plongé au milieu d’une aciérie des zones industrielles de l’Ontario ou du Québec.
A l’écoute de ce second méfait, on est persuadé qu’un jour sans doute, la phase d’apprentissage prendra fin. L’apprenti finit toujours par s’émanciper de son maître pour voler de ses propres ailes.
Avec «
Metal on Metal », Lips tient son album de référence. C’est celui qui lui laisse le meilleur souvenir et dont il se dit le plus fier. Etonnant, si on le compare au suivant «
Forged in Fire ». En 2010, le title-track figurera sur la bande sonore d’un épisode des Simpsons. En fait, «
Metal on Metal » représente le point de bascule. Celui qui fit passer
Anvil du stade de loups errants sans cervelle à celui d’espoirs du
Metal canadien. Celui aussi qui les fit tourner dès 1982 avec les plus grands dont Motörhead. C’est à cette époque que Lemmy proposa à Lips de venir remplacer « Fast » Eddie Clarke, excusez du peu. La rencontre avec Lemmy, dont il se remémore sur scène les afters dantesques à ses côtés, fut aussi marquante que celle avec Chris Tsangarides, leur Maître d’apprentissage en quelque sorte, qui leur donna quelques ficelles et les rudiments de base pour s’en sortir dans la jungle touffue de la prometteuse génération de jeunes pousses du hard-rock en pleine explosion aux débuts des années 80.
Ils se retrouveront, bien plus tard, en 2006 pour enregistrer «
This Is Thirteen » le treizième album d’une carrière terriblement marquée par le destin. Incapables de vivre de leur musique, seuls Lips et Robb garderont intacte, durant les années de vache maigre, la flamme qui les habitent depuis qu’ils se rencontrèrent sur les bancs de l’école et décidèrent de monter un groupe de rock. Courbant l’échine et gagnant leur croûte grâce à des boulots bien loin de leur prétention initiale, ils vont renaître tel le phénix de leurs cendres encore tièdes en exorcisant leurs tourments dans le documentaire «
Anvil ! The story of
Anvil » de Sacha Gervasi, qu’il produira en hommage à son groupe favori.
A nouveau, Chris Tsangarides était là. Les échanges entre Chris et le groupe, figurant dans le fameux documentaire, montrent à quel point respect et tendre bienveillance les unissent tous. En effet, un Maître d’apprentissage n’abandonne jamais ses protégés.
Jamais.
Didier – décembre 2020
Metal on Metal
Never will die
Parties and concerts
Keep it alive
Merci Didier pour cette chronique attachante qui ne cache pas les défauts de l'album. Découvert sur le tard il y a une dizaine d'années (c'est MattMaiden qui m'avait incité à me le procurer d'urgence) je m'attendais à un chef d'oeuvre et j'avais été un peu refroidi. Je constate que pour les vieux fans comme pour Lips, bien que Forged In Fire soit qualitativement largement au dessus, on garde un gros attachement pour ce Metal On Metal, et tu résumes parfaitement cela dans ton texte. Bravo !
“Mosura ya Mosura, Dongan kasakuyan indo muu…”. Haaa, enfin quelqu’un qui parle bien du “kaiju” Mothra (Mosura en VO japonaise) comme d’un papillon, et non comme d’une vulgaire mite, ce que les pitoyables versions américaines ont longtemps fait croire au public occidental. Mais je m’égare…
Propos très pertinent avec lequel je suis parfaitement d’accord : l’excellent côtoie le sympathique mais pas transcendant sur ce disque de transition, parfaite courroie de transmission entre le Hard Rock des débuts et le classique indémodable du Heavy Metal que va être “Forged in Fire”. Tous les espoirs étaient alors permis pour Anvil, qui aurait pu avoir le destin d’un grand. L’histoire en décida autrement, comme chacun sait… mais c’est aussi grâce à ça qu’on peut encore voir le groupe à Vauréal ou au Trabendo, et non sur un écran géant à Bercy, ce qui est quand même bien agréable : le malheur des uns fait le bonheur des autres.
Merci pour la kro ! :)
Merci les copains. Pas faux ce commentaire à peine égoïste Phiphi. Tu as bien raison, j'ai eu Lips pendant quasi 2h devant moi au Trabendo et au Forum, à portée de main. Quasi irréel mais quel plaisir.
2e album qui confirme les bonnes intentions des canadiens, meme si je préfère le 1er.
J'aime bien le morceau "Tease me, please me" dont le riff me fait fortement pensé au "Stormtroopin" de Ted Nugent.
16/20
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