Pionnier du revival blackmetal issu de Norvège aux côtés de
Mayhem,
Arcturus définit très tôt ses propres codes. Envoutant sur son EP
My Angel en 1991, impérial sur son MCD promotionnel
Constellation en
1994, le groupe emmené par le pianiste et compositeur Steinar S. Johnsen impose un black sortant déjà des carcans du style, notamment dans ses thèmes astraux et littéraires, souvent bien plus subtils que les propos anticléricaux & nihilistes avancés par ses homologues de l’époque.
Pour les blackers ayant découvert
Arcturus avec ses toutes premières réalisations, bien que somptueux,
Aspera Hiems Symfonia constituait une semi-déception d’une certaine façon, tant l’avant-garde du groupe et la profondeur de son EP culte
Constellation montraient une formation capable de montrer encore bien plus de grandeur. Il suffit alors moins de deux années au quintette norvégien pour mettre sur pied sa nouvelle offrande et prendre toute la scène à contre-pied, lors de la parution de
La Masquerade Infernale. En effet, depuis la sortie de Written in Waters, HEart of the
Ages, Bergtatt et Min Tid Skal Komme (
Ved Buens Ende, In The Woods,
Ulver,
Fleurety) en 1995, si l'on sentait déjà une frange de la scène blackmetal norvégienne en train de s'emanciper, jamais on aurait imaginer combien
Arcturus allait exploser toutes les frontières en cette année 1997.
Surprenant déjà par sa couverture montrant Garm costumé pour le carnaval de Venise,
La Masquerade Infernale s’ouvre sur un
Master of
Disguise déconcertant, tel un véritable bal où s'imbriquent le couple basse batterie technique & subtil de
Hellhammer et
Skoll (Hugh Mingay), les guitares fines et aérées de
Knut M. Valle, les claviers astraux de Steinar, ou encore son piano tantôt grave ou débordant de majesté. Désormais à mille lieux de ses intonations black passées, Garm ajoute enfin son timbre rauque, chantant parfois merveilleusement faux, et croisant régulièrement la voix si gracieuse de Simon Hestnaes, créant un contraste de chaque instant.
Loin de leur rôle rythmique habituel, les guitares sont éléments de ce décor fantasmagorique, laissant l’articulation et le fil conducteur de chaque morceau aux soins de Steinar, qui livre des lignes de piano trahissant sa formation classique et sa passion pour Jean S. Bach. Cette inspiration est d’autant plus évidente sur le prodigieux
Ad Astra, le titre le plus orchestral de cette mascarade infernale, véritable osmose entre parties de piano, guitares, samplers, flûtes et véritable quatuor à cordes. Doux, parfois grave, le morceau désarme ainsi par sa richesse et sa qualité de mise en place.
Troisième titre et nouvelle surprise, l’incroyable The Chaos
Path, dominé par le chant théatral & tout en majesté de Simen et les lignes de guitares si riches & surprenantes de
Knut. Si bien sûr claviers et violons sont de la partie, apportant une profondeur accrue, le titre n’en finit pas d’étonner, se concluant en tout en intensité sur des rythmes aux samples pourtant impensables.
Laissant pantois sur la première partie de son oeuvre, tant ses structures peuvent paraitre déconcertantes,
Arcturus parvient encore à gagner en dimension sur ses ultimes morceaux. Le somptueux Alone, l’hypnotique The Throne of Tragedy, l’impérial Painting My Horror, le tragique Of
Nails and Sinners, sont autant de moments magiques où les émotions se bousculent, où l’osmose entre musiciens n’a jamais été aussi forte.
Difficile d’accès aux premières écoutes, incohérent pour celui n’ayant pas la volonté de pénétrer son univers,
La Masquerade Infernale emporte définitivement l’auditeur avec le temps. Grand, tragique & envoutant, ce théâtre baroque reste parallèlement toujours aussi indomptable au fil des représentations, afin de préserver avec pérennité toute sa magie et ses mystères. En véritable visionnaire,
Arcturus impose ainsi en cette année 1997 un album d’une avant-garde et d’une richesse exceptionnelles, semblant tout comme
Faust avoir définitivement vendu son âme au diable pour accoucher d’une telle oeuvre, qui présente comme seul défaut son impardonnable faute de français en son titre. Ultime !
Fabien.
Comme toutes tes chroniques que j'ai eu l'occasion de lire, Fabien, celle-là est excellente et a contribué à placer ce disque en bonne place dans la liste de mes futurs achats.
Quand j'ai écouté la première fois ce chef-d'oeuvre, j'ai pensé au mot de Baudelaire: "Le beau est toujours bizarre"...
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