Le froid…le cosmos…les ténèbres…s’envoler vers des contrées lointaines et étrangères, perdues, dans un monde dépassant notre imagination…découvrir les infinités d’un univers chaotique…se laisser tenter et finalement plonger dans un ensemble mystérieux…rêver…embarquer…ne plus revenir…
Autant de termes bien obscures et pourtant révélateur d’un groupe unique…
Arcturus…
Portant le nom d’une des étoiles les plus brillantes après
Sirius, située dans le prolongement de la queue de la Grande Ours, ce groupe norvégien si atypique, après une «
Masquerade Infernale » astrale, aliénée et jouissive, et un « Sham Mirrors » terriblement cosmique, remet le couvert trois ans plus tard en sortant leur ultime œuvre, leur ultime conte astral, «
Sideshow Symphonies ».
Signé chez Season of
Mist, le combo perd le chanteur Garm pour récupérer le désormais très célèbre Simen (
Vortex bien sûr dans
Dimmu Borgir ou
Borknagar…), qui avait déjà fait quelques apparitions sur «
La Masquerade Infernale ». Intégré pour de bon au groupe pour ce dernier monument, ce changement de line up leur est décidément très profitable, car, et il faut le dire, le chant de Simen, si particulier et angélique, apporte sans aucun doute beaucoup plus de profondeur et s’imbrique parfaitement aux compositions. Véritable élément distinctif, il est d’autant plus diversifié qu’excellent, le chanteur n’hésitant pas à aller aussi bien dans les aigus que dans les graves, à murmurer, ou à s’adonner à un certain type de chant black, comme on s’en aperçoit à la fin de « Hibernation
Sickness Complete » ou au tout début de « Shipwrecked Frontier Pioneer ».
Ce chant est le premier élément embarquant l’auditeur dans des méandres lumineux et enivrants au sein de cette obscurité et de cette froideur impalpables. Je n’imagine même pas ce «
Sideshow Symphonies » sans Simen. Bien sûr,
Arcturus a déjà pu faire sans lui, «
La Masquerade Infernale » étant bien évidemment l’album de référence, devenu culte dans le domaine du black dit avantgardiste, mais pour le coup, les compos de cet opus ont comme été taillés sur mesure pour coller parfaitement avec un chant clair relativement posé, maîtrisé jusqu’au bout et vraiment, comment dire…
Etrangement je ne trouve pas les mots pour décrire son timbre de voix ainsi que les gammes qu’il peut atteindre aisément. Car il est incroyable de s’apercevoir à quel point il joue avec son organe d’une manière très simple. Tout lui semble si facile…si «
Nocturnal Vision Revisited » ou «
Daemon Painter » semblent être les exemples les plus frappants, « Evacuation Code Deciphered » en est un autre non négligeable. Lors des premières minutes, Simen débite ses paroles en passant d’une octave à une autre. Lors des dernières secondes, a contrario, il termine magistralement en decrescendo…Pour ce qui est des murmures, je vous renvoie vers « Hufsa », totalement chanté en norvégien. Dans cette langue si particulière, en plus de changer de l’ordinaire, ces quelques murmures donnent un tout autre style à ce morceau final, clôturant l’album de manière unique et sereine.
Il est de plus bien agréable de s’apercevoir à quel point les vocaux de «
Daemon Painter » sont aériens mais tout aussi froids. On navigue de notes en notes, ce va et vient continu est totalement enivrant et déroutant, apportant justement le type d’atmosphère qui se dégage en permanence de l’opus…
Simen mise tout particulièrement sur la superposition de sa voix, donnant plus de relief, d’imbrication avec les ambiances froides et planantes, et de profondeur. Sur « Hibernation
Sickness Complete » par exemple, cette superposition annonce un certain changement de partie mais aussi de rythmes à l’intérieur du titre. Dans « Shipwreck Frontier Pioneer », il met l’accent sur un élément important du morceau, une sonorité, un mot, une phrase...Bon certes, ce n’est qu’un effet propre à l’enregistrement studio, mais qu’il est bon d’entendre cet angélisme plutôt rarissime dans le domaine du black…
Toujours au niveau des vocaux, un chant féminin disons « divin » s’incorpore dans deux morceaux. D’abord, « Shipwreck Frontier Pioneer » encore, où cette voix magnifique accompagne un rire mesquin de Simen et, comme un écho, part dans des aigus magnifiques le temps de quelques secondes. Et enfin dans « Evacuation Code Decipher », arrivant dans la deuxième moitié du titre, en total duo et osmose avec notre cher Simen. J’ai rarement entendu un tel duo, aussi magnifique et prenant, irrémédiablement rempli d’émotion.
Comment ne pas rêver avec un tel chant…sortez de vos torpeurs, de vos angoisses…et écoutez…laissez vous bercer…laissez vous imprégner des ambiances et de cette musique si…
Cosmique…
Outre un chant planant, l’autre moyen de faire transparaître cela, c’est bien d’incorporer des claviers…
Ils ont toujours eu de l’importance dans les compositions d’
Arcturus. Depuis l’époque d’ «
Aspera Hiems Symfonia » où l’ensemble se voulait plus symphonique, en passant bien sûr par «
La Masquerade Infernale » pour entamer un passage du côté astral, jusqu’au fameux «
Sideshow Symphonies ». Là aussi, je n’imagine pas écouter cet album sans claviers, c’est décidément impossible, car ce sont bien évidemment les seconds éléments primordiaux de l’album, transportant l’auditeur dans un autre monde, dans une infinie sombre et froide…tout simplement, l’espace…derrière cet instrument essentiel se cache Sverd, principal compositeur et excellent musicien. Sa prestation est impeccable, les effets sont multiples, les fonds d’ambiances magnifiques, les styles variés. Si parfois on se retrouve avec des sonorités d’une nature plus symphonique comme sur l’instrumental «
Reflections », on peut aussi avoir à faire à quelque chose de plus électronique sur «
Nocturnal Vision Revisited », de plus typiquement black sur « Hibernation
Sickness Complete » ou « White Noise Monster », ou dans une veine ambiante comme sur «
Daemon Painter ». De plus, l’apparition du piano sur certains morceaux renforcent ce côté astral et quelque peu gothique par moment. Mais des lignes plus obscures et terribles peuvent aussi apporter un côté inquiétant, comme sur la fin de « White Noise Monster » ou une petite partie de «
Moonshine Delirium ».
Finalement, avec tous ces effets et sonorités, on ne peut qu’être emportés…ça fonctionne bien…c’est magique…terriblement glacial…et ça prend aux tripes…
Je n’ai pas encore parlé des guitares et là je pense que vous devez vous dire qu’après tous ces fameux éléments dit « essentiels », ces fameux instruments à corde ne doivent pas être mis en avant et donc, passent au second rang…
Et bien détrompez vous, parce que pour tout vous dire, tous les instruments de cet album sont relégués au même plan, et donc, aucun ne domine l’autre. Même si chacun a plus ou moins un rôle qui lui est propre, on ne peut en supprimer un sans l’autre. Une suppression d’un instrument dénaturerait totalement les compositions, on y perdrait une importance capitale, l’âme, en quelque sorte de l’album…
…et les guitares font partie de ce tout si homogène et harmonique, solidifiant cet ensemble en béton armé.
Alors même si, oui je dis bien, même si sur certains morceaux ça semble être assez simpliste, méfiez vous des apparences…les riffs ne sont pas choisis au hasard, ils ont au contraire un sens, une bonne raison d’être placés à tel endroit, d’être d’un certain type…primordiaux, ils entraînent l’auditeur vers des atmosphères bien déterminées, telles que je les ai énoncées bien plus tôt. La plupart du temps donc, ces riffs sont sombres et ténébreux, en total contraste avec un chant lumineux, comme je l’ai précédemment dit. Des riffs obscurs et étranges sur certaines pistes, notamment « White Noise Monster », d’autres plus tordus à l’instar de « Hibernation
Sickness Complete », plus continus et intenses à la manière de « Shipwrecked Frontier Pioneer », ou plus tranchants et agressifs sur «
Nocturnal Vision Revisited ». Mais on ne peut toutefois s’empêcher d’apprécier ces guitares si particulières, et de savourer cet étrange solo de fin sur « Hufsa »…au final, rien de tel pour de nouveau refroidir l’atmosphère, mais décidément ! Tout est fait pour … eh oui que voulez vous…un album glacial, planant et sombre se doit de posséder tous les atouts pour le rendre comme tel…
La basse manque à l’appel au niveau des guitares. Je ne vais pas revenir sur le fait qu’elle est aussi très importante et dès l’ouverture de l’album, ça s’entend. Bien mise en avant, ses lignes sont parfaitement audibles, pour le plus grand plaisir de nos oreilles. Elle assombrie et ajoute beaucoup plus de lourdeur aux compositions, d’autant plus qu’elle est assez axée dans les graves (très graves…).
Alors on se retrouve avec un rythme tenu par cette basse et une batterie tonique mais souvent calme, voire lente. Car ici, niveau rythmique, on ne fait pas dans la rapidité, ni dans l’agressivité, à l’exception de quelques morceaux où le rythme s’accélère. Mais globalement, pour respecter cette ambiance cosmique et donc planante, on garde quelque chose d’apaisant et d’atmosphérique.
La musique est donc astrale mais le groupe aborde fièrement des thèmes bien particuliers et tout aussi en rapport avec ce dont il joue.
Outre cette pochette qui ne peut que faire penser au ciel étoilé,
Arcturus s’empreint d’une volonté de découvrir des confins cachés et lointains, et de partir à la découverte de l’univers et ses secrets. Les paroles en sont totalement significatives, ainsi que le nom des titres, plongeant alors l’auditeur dans une dimension intellectuelle mais aussi spirituelle bien atypique. Ainsi « Shipwrecked Frontier Pioneer », la pièce maîtresse de l’album je l’avoue, raconte le « naufrage » d’un vaisseau spatial transportant des voyageurs, mais pas n’importe lesquels : les membres d’
Arcturus. Et là tout devient alors plus clair, surtout avoir pris connaissance du livret, où chaque membre n’est pas désigné par sa fonction dans le groupe (c'est-à-dire guitariste, ou bassiste) mais bien par sa fonction au sein d’un vaisseau (traducteur, médecin, pilote…). Façon original d’appréhender les choses et de nous embarquer (et le terme est tout à fait exact) dans un cosmos inquiétant et peu rassurant. «
Daemon Painter » raconte donc l’errance dans le noir et le froid de ces membres, «
Moonshine Delirium » leur aliénation (d’où les riffs étranges)…
Enfin, pour donner cette impression de rêve et de constance, monter que le temps devient alors dissolu, que tout est immatériel, que notre corps et notre esprit sont transportés dans un ciel opaque et léger dans lequel rien n’existe réellement, les morceaux sont en général longs et loin d’être linéaires. Dans une tendance progressive, les structures varient régulièrement, et les magnifiques mélodies en arrière plan renforcent cette espèce de flux qui nous traverse irrémédiablement. Le seul conseil que je peux vous donner pour vous sentir d’autant plus transporté et bien sûr « embarqué », c’est d’écouter ça dans le noir et si possible, avec un ciel étoilé au dessus de vous et une brise douce et légère…
Un chef d’œuvre. L’ultime album d’
Arcturus avant sa séparation ne nous laissera décidément pas indifférents…ce sublime représentant d’un black nouveau, froid et cosmique ne peut qu’inviter l’auditeur à voyager et rêver, encore et encore, à chaque écoute…un must en matière d’ambiance…
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