L’enfant sauvage. Cette légende contant l’épopée de cet être né dans les bas-fonds de la nature, élevé et éduqué par ses propres moyens et complètement en dehors des codes et des conventions de la société moderne et bourgeoise. Cette histoire racontant comment l’humain élitiste et rationnellement supérieur tenta de modifier le comportement de cet enfant, de le rendre comme eux le désirait puis de l’exhiber comme une créature informe et mystérieuse car l’enfant ne souhaitant pas se soumettre à cette vision réductrice de la vie et de l’éducation.
Une leçon de vie, d’humanité filtrant à travers un récit dur dans lequel l’intolérance n’avait d’égal que l’obstination de l’homme à vouloir constamment calquer ses propres faits et gestes sur les autres, sans chercher à comprendre ce que l’autre pourrait lui apporter.
Après Truffaut, un autre monument français, musical celui-ci, s’attaque à cette histoire dans un angle cette fois-ci considérablement plus spirituel et ritualiste que le film social du réalisateur de la nouvelle vague.
Gojira, car c’est bien de lui qu’il s’agit, s’approprie ce récit social non pas dans une veine radicale ou révoltée mais dans l’exemple que pourrait être cet Enfant Sauvage, tout en faisant un vibrant hommage à la langue française, lui préférant cette force linguistique plutôt qu’un banal (selon les mots de Joe Duplantier) "The
Wild Child", qui ne saurait véhiculer l’entière force de ces deux mots.
Évoluant sans cesse, le
Gojira actuel semble déjà avoir évacué les expériences enrichissantes et grandioses ayant découlé des standards que sont devenu "
From Mars to Sirius" et "
The Way of All Flesh", pour se focaliser complètement sur ce nouvel album différents à bien des égards. Si le terme « Spirituel » revient très souvent dans la musique et la démarche artistique du groupe landais, il deviendra probablement l’adjectif le plus à même de décrire ce cinquième essai, probablement celui qui terminera de diviser les fans qui avaient commencé à abandonner
Gojira à la sortie de "
The Way of All Flesh". Laissant loin derrière les considérations d’étiquettes, de barrières stylistiques et de technique ronflante et ostentatoire, "L’Enfant Sauvage" représente
Gojira dans sa forme la plus pure et intime, celle d’un artiste complètement à nu et en symbiose avec le cœur même de sa musique. Évidemment, cette opération comporte autant de points positifs que négatifs, et les premières écoutes peuvent s’avérer rude tant le constat pourra s’avérer être celui d’un opus somme toute très traditionnel sans prise de risques.
Fondamentalement,
Gojira a épuré sa musique au maximum pour n’en retirer que l’essence la plus pure, s’est éloigné complètement du death metal hybride et technique des débuts pour former son noyau dure dans tout ce qui fit la particularité du groupe depuis plus de dix ans : le chant unique de Joe, les rythme tribaux de Mario et les riffs en tapping que l’on voit surgir désormais de partout, comme des lucioles colorées, tels des esprits écoutant le chant rageur et plus vécu que jamais du charismatique chanteur, se surpassant littéralement sur ce disque.
Le titre éponyme reflète assez fidèlement l’état d’esprit de l’album. Cette mélodie fine, presque précieuse, met en exergue cet aspect spirituel et naturel émanant de la musique. En apposition, l’on retrouve un riff écrasant et incroyablement massif (putain quelle production encore une fois) qui a déjà fait ses preuves en live. Mais surtout, il y a Joe…hurlant comme un damné, vivant son texte, sa vie et son émotion…criant sa rage, ses espoirs et ses craintes. L’émotion y est décuplée puisque l’ensemble sonne justement très live et spontané, loin de l’aspect plus robotique qui pouvait découler de l’album précédent. Mario, fidèle à lui-même, est une véritable machine de guerre derrière sa batterie, et les riffs distillés par Joe et Christian sont autant de marteau-pilon qui, s’ils ne puisent plus leur inspiration dans le death, n’en reste pas moins écrasants et agressifs.
Tout au long de "L’Enfant Sauvage", on reconnait un groupe qui, plus que jamais, suit la voie qu’il a lui-même tracé au prix de plusieurs années de sacrifice et de labeur, aujourd’hui récompensées par le succès et la popularité, sans pour autant jamais sacrifier la musicalité ou le talent intrinsèque de leur musique. A l’écoute de "The
Axe" ou "Planned Obsolescence", il est certain que
Gojira reste un combo de metal extrême mais ces compositions ne forment plus l’épine dorsale de l’album.
Plus mélancolique et atmosphérique, l’opus témoigne également d’un ralentissement général du tempo, Mario ayant lui-même annoncé que cette absence de double pédale sur la majorité des nouvelles compositions, et un jeu majoritairement plus progressif, l’avait rebuté dans son ego de batteur extrême et technique. Pourtant, quelle richesse il développe sur "Mouth of Kala", hypnotique à l’envie et s’ouvrant sur un coup de caisse claire retentissant. C’est lui qui dicte le morceau, suivi de près une fois de plus par le chant sans équivoque au timbre unique de Joe, plus cru que jamais, mais curieusement libéré, semblant atteindre des sphères proche du rituel, du cérémonial et ainsi acquérir une dimension inédite. Le visage autoritaire et dogmatique, toujours présent, s’accompagne d’une aura mystique qui sied parfaitement à l’aspect spirituel de
Gojira. "The
Gift of Guilt" atteint un sommet dans cette veine, s’ouvrant sur une mélodie au tapping mais bien plus lente et moins virulente qu’habituellement (molle et déjà entendue pense-t-on de prime abord). Mais preuve est d’admettre qu’il s’en dégage énormément d'intensité, et que lorsque le refrain incroyable de Joe se superpose dessus, la composition prend une dimension d’une grandeur insoupçonné ("The Time is Come…The
Gift of Guilt" !). Rageur et impérial, le vocaliste réalise une de ses plus grandes performances vocales sur ce morceau.
Il est certain que le manque d’impact global, d’agressivité ou de technique pure rebutera certains, et les premières écoutes sont difficiles pour cela, mais l’album dévoile une âme peu commune sur la longueur.
Gojira affirme sa personnalité et laisse de côté les éléments superflus pour ne livrer que des compositions tournant autour des cinq minutes. "
Pain is a
Master" pourrait évoquer "World to Come" ou "From Mars" pour son intro atmosphérique et acoustique, mais la suite est si intense que l’on pense immédiatement (notamment dans les « sonars » de guitare et la façon de blaster) à "Yama’s
Messenger". "
Explosia" ouvre le disque comme un rappel de tous les éléments connus du groupe tandis que l’épilogue "The
Fall" marque clairement une nouvelle (et prochaine ?) étape. Très sombre, proche de l’industriel (dans son aspect le plus sombre et donc relativement éloigné de l’utilisation cybernétique de "A Sight to Behold"), une nouvelle fois lent et solennel, le titre délivre une haine, une brutalité sourde et contenue qui ne demande qu’à exploser littéralement à la gorge de l’auditeur (ce chant…).
Difficile de décrire autrement un album que beaucoup rejetteront avec force et vigueur, tandis que d’autres vivront le voyage initiatique et intérieur. Fortement axé sur les ambiances et l’interprétation, "L’Enfant Sauvage" apporte musicalement moins que ses prédécesseurs, mais contribue à former une discographie solide et cohérente à un groupe n’ayant encore jamais renié ses origines ni effectué de changement stylistiques faciles que tant de groupes auraient fait pour se noyer dans une popularité plus grand public.
Gojira reste fidèle à sa musique et son âme, et lui offre avec ce cinquième album une grande preuve d’amour. L’amour d’un art et d’une passion pour la création.
Vu en live ce dimanche à Lyon,méa culpa pour avoir lancé de tels conneries ahah.
Je sais pas ce qui m'a pris de dire que c’était mou.
Album bon,mais pas le meilleur de la discographie.
Je suis en train de l'écouter pour la première fois, mais il s'annonce bien, très bien même, avec un thème qui m'est très cher.
C'est un des albums qui va me redonner de l'inspiration dans mon écriture, je pense. Merci encore !
Non ?
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