Hate Eternal est un autel dédié à la glorification de la férocité. La discographie de la formation est une succession d'assauts, tous plus implacables les uns que les autres. Un barrage de blasts dévastateurs s'y inscrit, muré par une armada de riffs incessants, découpés d'une façon aussi unique qu'impitoyable. Toute la carrière du groupe est comme sublimée par l'aura d'un souffre corrosif.
Figure incontournable du Death des années 2000, marquée durablement par l'empreinte de
Morbid Angel, dont est issu Rutan.
Mais, au risque de paraître trivial et pour désamorcer cette introduction quelque peu grandiloquente,
Hate Eternal, c'est un peu le calorifère de
Satan mis en musique.
Phoenix Amongst the
Ashes, leur précédent opus, se singularisait par des moments plus lourds, tout en conservant intacte la personnalité de
Hate Eternal, quoique parfois de façon trop manifeste. Un mal sûrement nécessaire après
Fury &
Flame. Disque de la discorde, entre ceux qui n'y voyaient qu'un flingage de la production, désamorçant complètement l'impact et les autres (dont votre serviteur) pour lesquels, au contraire, le groupe venait y repousser les limites de l'étouffant, dissimulant une musique plus subtile et hermétique derrière ces choix de mixage radicaux.
La première chose qui frappe avec ce sobrement intitulé
Infernus, c'est la pochette. Elle rompt avec la filiation qu'entretenaient les trois précédentes sorties: la récurrence de deux figures démoniaques ou tentatrices, soit en opposition, soit en miroir dans leurs attitudes. Ici, la peinture de Eliran Kantor dévoile un univers beaucoup plus riche, loin d'une esthétique binaire et dépouillée. Elle apparait comme plus ancrée dans l'univers classique du Death, de par sa dimension presque spirituelle et fourmillant de détails.
On y voit un ange déchu, déchirant quantités d'ouvrages, désabusé. Mais, il déchire ce dont sont constituées ses ailes: des pages froissées.
Le premier extrait lâché par
Hate Eternal, "The Stygian Deep", est très révélateur des mutations qui interviennent sur cet album. Le titre s'avère moins frontal et plus aéré, presque mélodiquement ambiancé lors de la montée en puissance de l'intro. Mais, ces espaces de respiration ne font finalement que rendre les passages brutaux, encore plus implacables et étouffants. Le matraquage de la double n'intervient qu'à partir de 0:35 sur ce morceau, fait assez nouveau chez
Hate Eternal, qui se passait toujours de ce type d'introduction, pour aller directement au coeur du propos: un torrent d'agression sans relâche.
Cela ne veut pas dire que le déluge de violence a disparu de la musique du groupe, bien au contraire. Si l'on pouvait entretenir quelques appréhensions suite aux deux morceaux lâchés en avant-première ("
Pathogenic Apathy" était lui aussi un cran en-dessous en termes de virulence rythmique), les premières secondes d'ouverture du disque achèvent de nous rassurer: roulements de toms, déchirure guitaristique, beuglement féroce prolongé.
Pas de doute, nous venons bien d'entamer un skeud d'
Hate Eternal.
Plus largement, ces instants de pur matraquage sont plus circonscrits pour être mieux mis en valeur. Ou alors, on préfère leur réserver un morceau entier, ce qui est le cas avec "La Tempestad": plus de trois minutes trente d'une étouffante brutalité, la férocité du groupe à son apogée, aucun temps mort, juste une muraille sonore inexpugnable.
Pas certain d'avoir entendu plus violent cette année, tant ce morceau est d'une intensité peu commune.
Mais ce dernier met en lumière une autre des nouveautés de la bande floridienne: la mise en avant de la basse de J.J. Hrubovcak. Bien que membre du groupe depuis 2009, il n'a pas été particulièrement mis en valeur sur le précédent opus. Ici, il s'avère être une pierre angulaire, tant il apporte à l'armature sonore, avec ce son claquant, métallique, toujours discernable et s'entêtant à rarement suivre les guitares. Si son rôle se cantonnait à celui d'un simple exécutant par le passé, il semble désormais avoir pris ses marques et imprime son travail sur la personnalité du groupe, en en complexifiant la musique.
On constate également la venue d'un nouveau batteur: Chason Westmoreland. Il est intéressant de noter qu'il est issu d'une scène beaucoup plus moderne mais aussi technique (
The Faceless,
Burning the Masses et...
Oceano). Il apporte un jeu aux roulements plus fouillés et dynamique, mais, au-delà, aucun changement radical. Celui-ci semble s'être incorporé sans peine dans la formation, les blasts sonnant absolument à l'identique.
On l'a vu, les pièces sont plus narratives, moins structurées autour d'un unique riff ultra-percutant, marque de fabrique du groupe par le passé (l'archétype étant le fameux
Power that Be, et son riff, centraux tout en taping sur
King of all
King. Rarement album aura été conclu par morceau aussi redoutable).
Le songwriting se fait plus lisible et dramatisé, au sens où les moments forts se ressentent plus immédiatement comme tels. Les titres s'isolent plus aisément les uns des autres. On est moins dans une perspective d'empilage (pilonnage ?) de riffs incessants. Comme à chaque fois, cette approche, si elle traduit l'expression manifeste d'une volonté d'apparaître comme mâture et maîtresse de sa musique, elle ne va pas sans facilités et structures plus interchangeables. Mais que l'auditeur se rassure. Si la maîtrise est au service du propos, elle demeure intacte, les variations sont nombreuses, la musique d'
Hate Eternal flirtant souvent avec le Death Technique, ne serait-ce que ces plans plus immédiats, d'un impact dévastateur.
Instrument de cette dramatisation, un travail nouveau sur les ambiances émaille l'album, tout en se cantonnant aux introductions. Pour la première fois dans l'histoire du groupe, nous avons droit à une voix solennelle et narrative sur l'éponyme et des choeurs discrets sur le titre de clôture. Tous deux se fondent idéalement dans l'instrumentation.
Associée à la frontalité excessive des blasts et à leur longueur, qui ont toujours apporté ce côté légèrement blackisant (flagrant sur "
Thorns of
Acacia", tiré du précédent opus, par exemple), la facilité devenait un écueil réel.
Mais là où le groupe garde toute sa spécificité, c'est grâce à la personnalité de Rutan. Non content d'être le guitariste principal de la formation, il en est, comme chacun sait, le producteur. Ce qui lui assure une maîtrise complète du processus de création, et cela se ressent sur le mixage. Des riffs pas particulièrement incroyables sonneront toujours uniques une fois entre les mains de ce dernier, tant par son style de jeu que par la production. Cette dernière est incontestablement la meilleure qu'ait eue leur musique, apparaissant ultra compacte, surpuissante, saturée mais conservant une grande dynamique. Tout en restant lisible, que ce soit le jeu de cymbale (jouissif) ou la basse, rien n'est occulté. La tornade sonore inexorable, expression de pure férocité Death Metallique qu'est
Hate Eternal, telle qu'elle ne l'a jamais autant été.
D'ailleurs, l'intro nous le rappelait déjà, la structure de l'album n'est pas sans lien avec les disques antérieurs. Il y a d'indéniables changements mais les jalons demeurent. On le constate encore avec le solo nostalgique, introduisant une certaine tristesse sur "O'
Majestic Being hear my Call", qui n'est pas sans similitude avec le "Tombeau (le tombeau de la fureur et des flammes)": il joue le même rôle, au même moment de la galette.
Quelques échos de riffs font jour, mais toujours très ponctuellement, il ne s'agit absolument pas d'un recyclage éhonté, mais bien plus d'une consolidation de personnalité (notamment le break de "Victorious
Reign" que l'on peut retrouver sur "
The Locust Swarm").
Cet album, que ce soit par l'artwork, le label ou le nouveau batteur, apporte de la nouveauté et ouvre sans doute une nouvelle ère dans leur carrière, et ce, tout en restant ancré dans la tradition du groupe. Aussi, la formation ne s'adresse pas un autre public, mais elle compte bien récupérer ceux qui furent désarçonnés par les possibles errements des précédents.
Ainsi,
Hate Eternal, s'il ne signe pas ici son meilleur disque, vient indéniablement de sortir un des albums de Death les plus aboutis, les plus maîtrisés et complets de l'année, surclassant une bonne partie de la concurrence, dont
Nile.
Album qui fait l'unanimité, de manière complètement logique, tant les morceaux relévent d'une intensité et d'une épaisseur à toute épreuve. Aucune faute de goût, et plein de moments jouissifs tout au long de l'album. Et pourtant, avec cette brutalité omniprésente, la finesse se dégage de chaque titre. Un grand album, qui me donne envie de creuser plus avant ce groupe, tant la linéarité est ici absente pour le plus grand bonheur de tout fan de deathmetal. Bluffant !
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