Shadow of Intent n’a jamais fait dans la demi-mesure. À leurs débuts, la formation s’est forgée une identité unique en s’emparant de l’univers de
Halo et en transformant la guerre interstellaire en symphonies deathcore monumentales. Mais si leurs premiers riffs faisaient résonner l’acier des armures et les voix des aliens, leur regard s’est récemment tourné vers un autre champ de bataille, un récit bien plus proche de nous, bien plus tangible. Des tranchées saturées de gaz aux ruines fumantes de la Seconde Guerre mondiale, nos artistes transposent leur arsenal sonore dans l’histoire humaine, là où la barbarie n’a pas besoin de fiction pour exister. Ce choix audacieux a fait de leur musique non seulement une fresque de science-fiction mais également une réflexion sur les ravages universels de la guerre, qu’elle soit cosmique ou terrienne.
C’est dans cette continuité thématique que s’inscrit la cinquième œuvre du collectif
Imperium Delirium, publiée via
Blood Blast Distribution et probablement l’une des plus ambitieuses de leur discographie. Produit en interne par Chris Wiseman (guitare, composition) et Ben Duerr (chant), le disque a bénéficié du savoir-faire de Dave Otero, connu entre autres pour son travail avec
Cattle Decapitation,
Allegaeon ou
Archspire, pour le mixage et le mastering afin de garantir un son massif tout en conservant une clarté chirurgicale. Les batteries ont été enregistrées par Greg Thomas et Chris Teti au
Silver Bullet Studios, tandis que Francesco Ferrini (
Fleshgod Apocalypse) a apporté quelques ajouts de claviers pour enrichir les orchestrations.
La réalisation témoigne d’une volonté de pousser toujours plus loin la combinaison entre deathcore, agencements symphoniques et textures industrielles. On note également une production additionnelle de
Blake Mullens (Disembodied
Tyrant) sur
Flying the Black Flag ainsi que la participation vocale prestigieuse de George “Corpsegrinder” Fisher (
Cannibal Corpse) sur
Feeding the Meatgrinder. L’artwork sombre et foisonnant condense à lui seul les thématiques du disque telles que la propagande, la déshumanisation et l’effondrement. On y retrouve une esthétique qui rappelle la science-fiction martiale des débuts du combo mais transposée dans une vision plus terrestre et apocalyptique proche des images de guerre du XXᵉ siècle.
Dès l’ouverture avec Prepare To
Die,
Shadow of Intent impose une atmosphère de chaos total. Les blasts en rafale, les riffs acérés et les harmonies spectrales se combinent pour créer un assaut sonore qui plonge immédiatement l’auditeur dans le tumulte du combat. L’héroïsme cède rapidement sa place à l’écrasement et la violence brute de ce premier titre prépare parfaitement à la grandeur qui se déploie tout au long du disque.
Cette puissance initiale trouve son pendant dans
Feeding the Meatgrinder, où la participation de George “Corpsegrinder” Fisher intensifie la brutalité. Sa voix abyssale donne au morceau une dimension presque inhumaine et incarne littéralement la machine de guerre dénoncée par le texte. Le refrain implacable martèle une vérité crue : dans l’engrenage de l’impérialisme, chacun finit broyé. Ici, la rage et la technicité des musiciens servent pleinement le propos et montre que la création musicale ne se limite pas à des démonstrations instrumentales mais raconte une histoire de pouvoir et de destruction.
Au milieu de ces déflagrations,
Apocalypse Canvas offre une respiration inquiétante et saisissante.
Seul titre instrumental du projet, il fait la part belle aux orchestrations monumentales de Francesco Ferrini et crée une représentation qui s'approche du chef-d'oeuvre. Le morceau suspend le temps et invite l’auditeur à contempler les ruines laissées par le chaos des batailles précédentes. Cette respiration atmosphérique enrichit la narration globale de l’opus et confirme la volonté du groupe de dépasser le cadre strict du deathcore.
L’album atteint son apogée avec le final éponyme
Imperium Delirium. D’une durée de sept minutes, il synthétise toutes les facettes de l’œuvre entre des passages furieux, des interludes atmosphériques et des déflagrations orchestrales qui s’alternent pour créer une expérience immersive quasi cinématographique. Ce morceau incarne toute l’ambition du quatuor qui ne se contente plus de frapper l’auditeur mais cherche à le transporter dans une création totale, à la croisée du film, du jeu vidéo et de l'épopée musicale.
Malgré ses nombreuses qualités, la réalisation présente quelques limites. On note une répétitivité des structures sur certains titres comme
Flying the Black Flag ou They Murdered
Sleep, où les enchaînements de blasts et de breakdowns peuvent sembler prévisibles. Par ailleurs, l’intensité quasi constante sur des compositions telles que Vehement
Draconian Vengeance et Beholding the
Sickness of Civilization laisse peu de respirations et rend l’écoute exigeante voire fatigante sur un recueil qui approche de l’heure.
Heureusement, les performances vocales de Ben Duerr compensent en grande partie ces limites. Sa puissance et sa polyvalence insufflent une énergie constante et maintiennent l’attention même sur les passages les plus redondants. Sur
Feeding the Meatgrinder, le vocaliste alterne avec une aisance enfantine des gutturaux abyssaux et des cris perçants tandis que sur l’éponyme, son grain de voix guide la brillance des élégances symphoniques, révèle une nouvelle fois toute l’étendue de son talent et affirme son rôle central dans l’impact émotionnel de l’album.
Avec
Imperium Delirium,
Shadow of Intent confirme une fois de plus son impeccable régularité où chacune de ses sorties s’impose comme un jalon incontournable de sa discographie et du deathcore contemporain. Ce cinquième opus ne déroge aucunement à la règle et illustre parfaitement la capacité du quatuor à élargir les frontières du deathcore tout en explorant des espaces narratifs et sonores audacieux. Si certains passages peuvent sembler attendus et si l’intensité se révèle parfois exigeante sur la longueur, l’essai séduit par sa composition complexe, ses arrangements grandioses et la maîtrise technique des musiciens. Les interventions de Ben Duerr, le soin apporté à la production et les contributions ponctuelles viennent amplifier l’impact de chaque morceau et immerge l’auditeur dans une expérience à la fois morose et passionnante.
Cet écrit prouve encore une fois que les Américains ne se contentent pas de revisiter leurs influences et transforment leur propos en gravure musicale captivante où l'animosité et la dramaturgie se conjuguent pour provoquer émotion et réflexion.
Ah on retrouve Shadow of intent ! je veux dire par là que l'on a pas ce côté atmosphérique du précédent album.
Très bonne chronique, un très bon album.
J'avais loupé cette sortie, merci d'en parler. Surtout que ton descriptif augure du plutôt bon.
Je trouve cet album incroyablement bon, pour le moment il est mon coup de cœur de l'année.
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