Que l’on aime ou que l’on n’aime pas
Forgotten Tomb, force est de reconnaître que le quatuor italien est – ou du moins a été ! - un acteur incontournable de la scène DSBM. Considérée par certains comme de véritables génies et par d’autres comme des usurpateurs opportunistes (il faut être sourd pour ne pas entendre que le groupe doit énormément à des groupes comme
Dolorian et
Shining), la troupe d’
Herr Morbid n’a jamais fait l’unanimité, tirant sa reconnaissance autant de sa musique que d'une imagerie sulfureuse et une provocation parfois douteuse, à l’instar d’un groupe suédois bien connu (même la pochette me fait penser à Halmstad !). Quoi qu’il en soit, la trilogie
Songs to Leave,
Springtime Depression et Love’s
Burial Ground compte pour beaucoup comme des pièces maîtresses d’un genre qui commençait juste à poser ses codes musicaux à l’époque.
Pourtant, malgré son succès, en 2007, le groupe prend un virage plus rock n’ roll avec
Negative Megalomania, délaissant toujours plus son aspect black dépressif au profit de quelque chose de plus lourd et rythmé. Après deux albums montrant une facette plus accessible et lumineuse, c’est donc avec une certaine appréhension que les fans de la première heure attendaient ce septième full length intitulé
Hurt Yourself and the Ones You Love.
D’emblée ces guitares grêles et aigues, très froides, viennent nous harceler, bourdonnant comme un essaim de mouches autour d’une plaie, avant que le premier riff ne gronde, menaçant, monstrueux de puissance, imposant d’emblée un son titanesque, et que le premier hurlement implacable de
Herr Morbid ne vienne se répercuter, hargneux et rageur. La rythmique est lourde, montant lentement en puissance, puis le premier blast éclate et le titre décolle réellement, rapide, pesant et très puissant, bien loin des pleurnicheries habituelles du DSBM. Néanmoins, ces dissonances de guitares malsaines nous accompagneront tout le long de ces 7,16 minutes, nous cisaillant les chairs dans l‘ombre comme mille lames de rasoirs, presque larvées par ce mur du son massif. La fin du morceau est tout bonnement excellente, suintante de mélancolie avec ce riff entêtant à la fois groovy et dépressif et -oh surprise ! - cet excellent solo de gratte plein de feeling et cette basse incandescente.
Ce
Hurt Yourself and the Ones You Love nous montre un
Forgotten Tomb mature et sûr de lui, n’ayant pas peur de composer de longs morceaux aux ambiances assez variées (cinq morceaux sur sept font plus de sept minutes), s’imposant comme une sorte de synthèse de la carrière du groupe. Gros riffs, groove parfois rock n roll par moments (les riffs gras et cradingues de Bad Dreams Come
True qui sonnent presque sludge, Misleads the Snakes, à la basse très en avant et au rythme bien marqué, et qui ferait presque headbanger), arpèges misanthropiques et désespérés (le début de Dread the
Sundown,
Hurt Yourself and the One You Love), harmoniques envoûtantes et dépressives, le tout dirigé par la voix haineuse et écorchée de
Herr Morbid, il y en a pour tous les goûts, et les Italiens déclinent les différentes facettes de leur art black metal avec un savoir-faire indéniable.
Un titre comme Dread the
Sundown, plus long morceau de l’opus avec ces 9,46 minutes, est bien représentatif de l’album : démarrant sur un jeu de cordes maladif à la Love
Burial’s
Ground, il impose ensuite un riff littéralement pachydermique et inquiétant à souhait (putain, on dirait presque du
Neurosis !), mêlant guitares tranchantes et lancinantes typiques du black à ce mur du son impitoyable, alternant les rythmiques écrasantes, les blasts et autres breaks plus atmosphériques. La fin du morceau se fait hypnotique, avec ce refrain halluciné scandé avec fureur, avant que ce fameux riff ne revienne tourner à vide pendant plus de deux minutes.
De fait, cette nouvelle galette s’écoute bien, proposant quelques passages excellents et vraiment intenses (la fin de
Soulless Upheaval , ces blasts salvateurs qui viennent rompre la lourdeur un peu indigeste de Bad Dreams Come
True : la fin du morceau est très bonne, avec ce chorus de guitare mélodique sur fond de batterie déchaînée), mais les Italiens semblent se perdre dans de trop nombreuses influences et ne pas vraiment savoir sur quel pied danser : ainsi, on sera surpris de l’ambiance qui se dégage de cet opus, presque indus, tant dans les riffs, les notes de guitare bruitistes omniprésentes ainsi que la lourdeur de l’ensemble. L’ombre de
Shining plane également à plusieurs reprises sur ces neuf compos, notamment sur les passages les plus rock n’ roll et lourds (Bad Dreams Come
True, le début de Mislead the Snakes, ponctués de ce fameux oooough qu’on croirait droit émanés du gosier torturé de Kvarforth), et on peut aussi penser aux Allemands de Faulnis dans ce mélange entre groove, noirceur et mélancolie, notamment sur des titres comme
Soulless Upheaval et Dread the
Sundown.
En tout état de cause,
Hurt Yourself and the Ones You Love reste un bon album musicalement parlant, certes plsu lourd que l'album précédent, mais un peu trop sage et scolaire, manquant d'intensité, et s’éloignant toujours plus d’un style d’origine qui se doit de lorgner vers la démence, la misère mentale et la destruction.
Forgotten Tomb joue, et il joue bien, mais il perd en spontanéité ce qu’il gagne en maîtrise et en haine ce qu’il gagne en puissance, perdant ainsi une grande partie de l’aura qui faisait de lui un groupe si atypique autant adulé qu’haï. Cela se ressent jusqu’au chant d'
Herr Morbid, articulé, puissant et propre (ceci dit, que les puristes se rassurent, il n'y a pas l'ombre d'un chant clair sur cet album!), à des années lumières des performances des premiers albums où le pauvre bougre dégueulait ses souffrances, sa misanthropie et ses névroses en un râle criard et écorché qui glaçait le sang. Non,
Forgotten Tomb n’a plus grand-chose de morbide et de suicidaire, et à y écouter à deux fois,
Forgotten Tomb n’ a d’ailleurs plus grand-chose de black metal. Un album finalement plus proche d’un
Glorior Belli que d’un
Dolorian, qui fera à n’en pas douter le bonheur des uns et le malheur des autres.
Ainsi, si j'aime ...And Don't Deliver Us From Evil, quel(s) autre(s) album(s) pourrait me convenir ?
Est-ce que Hurt Yourself and The Ones You Love est dans la même veine ou très différent ?
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