Jamais un groupe n’aura autant rendu hommage au personnage d’Elric des dragons, issu des œuvres de Michael Moorcock, hormis peut-être le groupe italien «
Domine » bien des années plus tard. Le groupe ici dévoilé a pourtant un nom tiré de l’œuvre de Tolkien, plus précisément du Seigneur des Anneaux. Effectivement, on retient le nom de «
Cirith Ungol » comme étant le seul point de passage entre
Ithilien et
Mordor, là où Frodon et Sam affrontent une araignée géante dans le volume « Les Deux Tours ». Avant de s’appeler «
Cirith Ungol », le combo formé par de simples collégiens en 1969 (Robert Garven, Greg Lindstrom et Jerry Fogle) avait pour nom «
Titanic ». Leur addiction commune pour les romans de Heroic Fantasy les mène ensuite à rebaptiser leur bande en 1972. La formation prendra véritablement son envol par le recrutement de Tim Baker, dont on remarque déjà la voix si particulière, et qui fait suite au départ du chanteur Neal Beattie. Ils se lancent dans l’enregistrement de deux démos, puis d’un premier album, entièrement autoproduits et entièrement à leurs frais. On dit même qu’ils ont dû faire du porte à porte et proposer de laver des voitures pour récolter de l’argent à cette fin.
«
Frost and Fire » parait ainsi, au nom du label Liquid
Flame Records, qui n’est autre qu’un label créé par le groupe pour l’occasion. La pochette a été piochée dans les illustrations d’ouvrages de heroic Fantasy. Celle réalisée par Michael Whelan pour le personnage d’Elrik semble avoir été préférée, alors qu’il avait été décidé au départ de prendre le berserker de Frank Frazetta, toutefois déjà utilisé par «
Molly Hatchet » pour son « Beatin' the Odds ». Toutes les radios de
Los Angeles contactées refuseront alors de diffuser le moindre morceau de l’album. L’opus en question obtiendra même l’incroyable note de 0 sur le magazine Kerrang !. Le chroniqueur avait alors poussé le bouchon jusqu’à cataloguer «
Cirith Ungol » comme le plus mauvais groupe de heavy metal de tous les temps. Ce qui, de manière paradoxale, fera connaître la formation à un large public et écoulera très rapidement le stock d’albums en vente (soit 3000 exemplaires au départ). Je n’imagine pas l’heureuse surprise de l’auditeur qui pensait fermement devoir écouter un étron. Elric, lui-même avait été considéré au tout début de son cycle comme un empereur impuissant, fragile. Il finira par tout détruire et ne rien laisser debout ou vivant derrière lui.
Beaucoup de groupes de heavy metal, y compris de très bonne facture sont encore loin de rivaliser avec le fourmillement produit par les guitares de Jerry Fogle et de Greg Lindstrom, ni même des compositions signées par ce dernier membre. L’éponyme «
Frost and Fire » l’atteste dès le commencement du volume. C’est un morceau de choix, dans un style heavy/hard très typé années 70 pour son côté psychédélique, essentiellement. Le chant aiguë, assez répulsif au premier abord, bâti toute l’originalité des chansons de l’ouvrage, et s’associe idéalement à l’extravagance des mélodies. « Edge of a
Knife » est un nouvel extrait bien ancré au cœur des 70s par son ton résolument aguicheur, légèrement groovy. On peut plus parler là de hard rock que de heavy metal. Un titre qui était vraisemblablement façonné pour la bande FM. Celui-là pourra d’ailleurs être rapproché à « A Little
Fire », dont le hard rock psychédélique révèle une influence prononcée pour «
Led Zeppelin », formation britannique objet d’un véritable culte hors norme aux Etats-Unis durant l’entière décennie des années 70 et bien au-delà.
S’il fallait retenir de la vénération pour «
Cirith Ungol » et pour ce disque, ce serait très certainement pour « I’m A
Live ». Lent et relaxant sur ses couplets, puis explosif sur son refrain. Illustration de la grande dextérité des guitares sur près d’un tiers de la piste. Les instruments auront le privilège de s’exprimer plus à loisir sur le morceau instrumental « Maybe
That’s
Why », mélancolique, timide dans sa première moitié ; plus engageant, quelque peu détaché dans sa seconde. L’œuvre d’orfèvres et non de minables comme on a voulu nous faire croire. L’auditeur pourra être un peu déboussolé par un « What Does It Take » très rétro, même pour l’époque, se situant musicalement au tout début des années 70 pour ses étranges et amusants airs de synthés comme pour ses riffs de guitares antédiluviens, qui conservent malgré tout beaucoup de charme. Le jeu par à-coups n’est pas exclusif à ce titre, il est également d’office sur un « Better off
Dead » bien charpenté et sexy, à la croisée entre «
Aerosmith » et «
Led Zeppelin », à la fois indiscipliné et insolent de maîtrise. Comment peut-on mettre 0 à une bête pareille ?
«
Cirith Ungol » n’aura rien inventé en
1980 en sortant son fameux «
Frost and Fire ». Ils ont à l’époque fortement puisé sur ce qui existait déjà, au risque de paraître en ce temps un peu vieillot au goût de certains et face à l’énorme vague du NWOBHM qui déferlait alors, même aux Etats-Unis. Ce n’est pas pour autant qu’il faut négliger ce premier ouvrage, absolument insubmersible dans son genre, révélant des musiciens talentueux dont le courage et la ténacité n’ont pas été vains pour autant. La technique est là, bien représentée par d’époustouflants solos de guitare ; les titres, non, les tubes, tous enivrants, y sont également. Il ne manquait plus qu’un gain d’originalité, qui viendra avec l’album suivant. Quoiqu’il en soit, la rapide notoriété du groupe leur ouvrira les portes de l’important label
Enigma, qui rééditera l’opus sur support cassette dès l’année 1981. Bien que n’ayant pas participé à l’élaboration de l’ouvrage, le bassiste Michael Vujejia (Flint) se retrouve crédité dessus par la simple volonté de Greg Lindstrom, faisant gage ainsi de son amitié. Pour la petite histoire, on dit que le nom de l’album aurait inspiré celui des suisses «
Celtic Frost ». Coïncidence ou pas, «
Frost and Fire » reste un album de légende aux yeux de beaucoup. A l’aube des années 80, «
Cirith Ungol » a pris possession de
Stormbringer, l’épée dévoreuse d’âmes.
17/20
Excellent premier album, évoluant quelque part entre Hard Rock et Heavy Metal. Le caractère très épuré des compos mêlé à la chaleur de cette production typique de l'époque donnent un rendu qui, d'ores et déjà, incite l'auditeur à se plonger dans l'album. CIRITH UNGOL transforme l'essai en la jouant simple et efficace. Le chant particulier de Tim Baker peut être un obstacle lors des premières écoutes, mais une fois habitué, "Frost And Fire" se dévore plus vite que des cacahuètes salées un soir d'apéro (rolala, ces metaleux avec leurs métaphores de beauf).
Dommage que l'instrumental ponctuant l'album ne monte pas en puissance. Il y avait moyen de finir en beauté avec ce genre de compo, mais je ne boude pas mon plaisir. Il n'y a que des morceaux de qualité sur ce disque. J'ai d'ailleurs un faible pour "What Does It Take" et son ambiance singulière.
18/20
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