Quitter les principes de facilité, rejeter les évidences, oser se dévêtir d’un confort étouffant.
Lorsque Trail of Tears annonce que leur chanteuse Cathrine Paulsen quitte le périple norvégien, l’horizon semble d’une clarté beaucoup moins fugace. Pendant que Theatre of
Tragedy enregistrait le départ de
Liv Kristine, que
Tristania voyait son propre compositeur principal voguer vers d’autres cieux…Trail of Tears paraissait vivre le même calvaire interne, comme une scène atteinte de putréfaction qui s’écroulait douloureusement à l’orée du metal moderne. Comme si le metal gothique, sombre, froid et mélancolique des années 90 passait peu à peu le pouvoir à une nouvelle scène…
Pourtant, les norvégiens, autour de Ronny Thorsen et Kjetil Nordhus (chant clair), désormais officiellement intégré au line up, ne désiraient pas en rester là et c’est avec une rage terrifiante qu’ils ont livré leur album le plus sombre et violent en cette année 2005. Le propos, intitulé "
Free Fall into Fear", parle de lui-même, intégrant des éléments black metal bien plus significatifs que par le passé et prenant une direction étonnamment plus sombre et possédée.
La production a naturellement suivi la même direction puisque le groupe s’est enfermé dans les tréfonds du Dub Studio norvégien, délaissant le plaisir français du Soundsuite pour un rendu beaucoup plus sombre et épais. "
Joyless Trance of
Winter" donne d’emblée la teneur générale du disque avec une entrée en matière très black symphonique et un Ronny Thorsen délivrant une interprétation en growl agressive et criarde à souhait. Les échanges vocaux avec Kjetil ont été visiblement très travaillés puisque les parties vocales du refrain sont sublimes, bien que le chauve barbu ne soit pas encore complètement à l’aise dans ce registre (chose qui atteindra son paroxysme sur "
Existentia"). Le son met énormément en valeur la basse et les claviers, très atmosphériques, renforçant l’ambiance hantée de ce quatrième album.
"
Cold Hand of
Retribution" s’ouvre même sur un hurlement black armé d’un blast beat mitraillant l’auditeur pendant quelques secondes éprouvantes. Kjetil prend rapidement le relai sur des riffs très incisifs et tranchants de la paire Hansen/Heiseldal, que Ronny intensifie de manière radicale sur ce morceau. Les claviers, malheureusement, ne peuvent masquer encore un certain manque de moyens puisque certaines sonorités restent très kitsch et desserviraient presque l’ambiance maléfique d’un des titres les plus rapides du répertoire de Trail of Tears.
L’aspect très mélodique de "
A New Dimension of Might" est complètement inversé pour proposer le résultat littéralement antinomique. "Carrier of the Scars of
Life" débute ainsi sur un riff très lourd pour rapidement s’accélérer jusqu’au premier hurlement de Ronny amenant une nouvelle fois sur un blast surpuissant qui s’accompagne ensuite des envolées lyriques d’un Kjetil apportant la tonalité dramatique et tragique de la musique. Franck Hagen tisse une mélancolie encore plus profonde via ses lignes de piano emplie de sensibilité et de fluidité, tout en apportant également une dimension presque expérimentale sur un break au violon sur lequel se greffent des éléments cybernétiques. La dynamique de la composition est impressionnante puisqu’elle passe par ces différentes phases en moins de deux minutes sans jamais manquer de cohérence…pour repartir ensuite sur une nouvelle attaque en blast et les hurlements plus hargneux que jamais de Ronny. Ces claviers plus modernes se retrouvent également sur "The
Architect of my Downfall", tout aussi vindicatif dans ses riffs et sa partie de batterie, très black mélodique dans le rendu sonore.
De la pochette au son en passant par l’interprétation et le corps même des compositions, "
Free Fall into Fear" est sans contexte l’album le plus sombre et violent de la discographie des norvégiens. Cela parait plus étrange encore lorsque l’on remarque qu’il est placé entre les deux albums les plus gothiques et mélodiques du groupe ("
A New Dimension of Might" et "
Existentia", le dernier né "
Oscillation" étant globalement plus mélancolique et sensible). Le quasi expérimental "Point
Zero" le prouve aisément, basé autour d’un riff mécanique en béton armé et de multiples arrangements bizarroïdes pour servir d’ouverture au destructeur "
Dry Well of
Life" qui continu encore et toujours de détruire l’auditeur dans cette spirale de violence et de chaos.
Il est cependant un peu dommage que la production manque parfois sensiblement de puissance pour appuyer de manière encore plus intense le propos de l’album. De même, Kjetil ne semble pas toujours complètement à l’aise dans ses vocaux, surtout lorsqu’on le compare à son interprétation dans
Green Carnation. Qu’à cela ne tienne, "
Free Fall into Fear" amena le groupe dans une nouvelle dimension, tâtant le terrain avant le chef d’œuvre à venir qui lui-même précèdera de nouveaux changements très importants de personnels. Mais il s’agit là de propos strictement humains qui ne devraient pas interagir avec le plaisir d’écoute que procure cet album…certes bien plus extrême que ses homologues, mais diablement bien réalisé et construit.
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