Une âme tourmentée. Un socle fragile. Un destin hanté qui vit le sort s’acharner constamment contre lui. Une incapacité chronique à gérer les rapports humains convenablement pour construire un avenir solide pour l’entité créatrice qu’était, que fut et qui, probablement, ne sera plus, Trail of Tears.
Créatrice venue du froid, divinité norvégienne apparue en même temps que les grands maitres Theatre of
Tragedy ou
Tristania, Trail of Tears avait, semble-t-il, un parcours déjà tracé, qui suivrait les sillons d’un gothic metal alors au firmament et très apprécié en Scandinavie. Les premières pièces musicales donnèrent raisons à ce que l’on imaginait, et cela devint encore plus évident lorsque, après une tournée triomphale en ouverture de
Therion et
Tristania (en 2004) sillonnant toute l’Europe puis une autre en Amérique du Sud, sorti le démentiel et acclamé "
Free Fall into Fear".
Plus black, plus sombre et démoniaque, se séparant par la même occasion de sa chanteuse Cathrine Paulsen pour ne plus intégrer que des vocaux masculins (et quelques chœurs), Trail of Tears pris un virage déroutant mais complètement accepté, malgré le fait que les ventes de disques ne furent toujours pas au rendez-vous.
Sans dérouter à sa ligne de conduite, les norvégiens retournent en studio pour enregistrer un successeur tout aussi ambitieux, "
Existentia", qui fut une nouvelle fois au centre de l’actualité pour des affaires extra-musicales. En effet, à peine la promotion du disque entamée, le groupe annonce son split complet, le groupe laissant son leader/compositeur Ronny Thorsen seul au milieu de la tempête, pour finalement revenir sur sa décision et continuer l’aventure ensemble.
La communication n’en devint que plus confuse, faisant presque passer au second plan la sortie de ce cinquième opus, pourtant rétrospectivement le meilleur album de la formation.
Plus que jamais, le groupe de Ronny développe son dark metal de manière inimitable et magistrale, atteignant un degré de qualité et une pureté des mélodies incroyable à l’heure où Theatre of
Tragedy se perdait avec sa nouvelle vocaliste,
Tristania n’était plus que l’ombre de lui-même et
Sirenia se dirigeait vers une orientation bien plus pop.
Il suffit de se pencher sur l’ultime "
Venom Inside my Veins" pour s’en rendre compte, d’un blast initial redoutable de Jonathan Perez derrière sa batterie, de ses claviers gothiques divins et épiques mais surtout de cette dualité vocale entre Ronny et Kjetil Nordhus (
Green Carnation) qui atteint ici des sommets de lyrisme et de créativité. Le chant clair du blond se marie à la perfection avec le timbre extrême du ténébreux brun, pendant que chœurs fantomatiques peignent une toile sonore sombre mais pourtant tellement belle (ce refrain…). Le riff est une merveille de dark, aussi lumineuse que sombre, superbement exposé par une production exceptionnelle de Terje Refnes (Trail of Tears ayant décidé de retourner au Soundsuite après le passage au Dub Studio pour l’album précédent).
Évidemment, ce n’est pas tout puisque "
Existentia" peut se targuer d’être l’opus le plus abouti dans son ensemble, le plus complet et cohérent et surtout de ne jamais baisser d’intensité.
La direction beaucoup plus mélodique prise sur l’album se veut le prisme lumineux de "
Free Fall into Fear". Cela ajoute une dimension plus épique et riche au spectre sonore qui se pare désormais d’un flot constant de chœurs et de claviers, tout autant que de quelques éparses parties féminines interprétées par la française Emmanuelle Zoldan. "Deceptive Mirrors" ouvre ainsi admirablement l’album (quel son de caisse clair dès le premier coup !) sur un riff qui offre d’emblée la coloration générale de l’album, plus accessible et surtout propre à un headbanging frénétique. Éraillé, le chant de Ronny se couvre d’une teinte délicieusement black lorsqu’une chorale (réelle et non synthétique) double ses parties vocales. Les interventions de Kjetil, de plus en plus importantes, apportent une dynamique très importante à la musique et impose une vision quasi parfaite du metal gothique, lui apportant un aspect tragique que le groupe n’avait encore jamais atteinte. Cette vision est encore plus importante sur le tourmenté mais néanmoins angélique "
Decadence Becomes Me", dévoilant des parties de claviers très pures servant de support au chant clair maladif de Kjetil, qui ne fait que rendre les apparitions de Ronny plus agressives et jouissives encore. Le mieux, dans cette alchimie, reste cette facilité déconcertante à digérer les compositions, cette approche si simple dans la musique, si naturelle malgré la richesse des arrangements et les multiples pistes vocales qui se chevauchent sans arrêt.
Le surpuissant "She Weaves Shadows" le prouve aisément, plaçant les mélodies encore plus en avant sans pourtant renier la puissance intrinsèque, nous une certaine agressivité latente toujours présente. "Empty Room" tente même l’exercice toujours délicat de la ballade, exprimant pour ceci des éléments plus électroniques et surtout plaçant au centre la voix délicate et angélique de la belle Emmanuelle. Au contraire, "The Closing Walls" retrouve des airs bien connus de l’opus précédent, tout comme "My Confort" se place en étendard archétypale de la qualité de l’album. De son introduction acoustique jusqu’à la première attaque vocale de Ronny, de ses airs épiques de claviers jusqu’à ce riff typiquement scandinaves ou encore de ses envolées lyriques de Kjetil qui ont toujours ce don inné de vous coller des frissons jusqu’au plus bas de votre colonne vertébrale ; "My Confort" s’impose comme l’exemple de ce qu’était Trail of Tears à la sortie d’"
Existentia" ; sur le toit du monde
Gothic Dark metallique. Un monde dans lequel il n’y avait rien à reprocher artistiquement parlant aux norvégiens, un environnement dans lequel ils étaient incontestablement au firmament. Mais les plus grands seront toujours d’accord pour dire que le talent ne fait pas tout, et que c’est surtout une somme de détails qui apportent gloire et célébrité, avant tout une notion bien abstraite que l’on nomme la chance, voir le destin. Malheureusement, il semblerait que ces concepts ne furent jamais dans le camp de Trail of Tears…
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