Eye to Eye… Surnommé parfois « Aïe aïe aïe »… Un album détesté par les fans, honni par la critique et renié par le groupe lui-même… Qu’en est-il ? Pourquoi ce déferlement de haine ? Je vais dans les lignes qui suivent, allant à contre-courant de l’opinion générale, tenter de réhabiliter cet album et de vous convaincre qu’il est finalement loin d’être si détestable.
L’album sort en 1999, enregistré sous la houlette du producteur autrichien Peter
Wolf, qui a l’ambition de moderniser considérablement le son du groupe pour le ramener sur le devant de la scène. N’y allons pas par quatre chemins : d’un point de vue « hard rock traditionnel », dont
Scorpions fut le fer de lance dans les années 80, cet album est un échec total. Mais au prix d’une certaine ouverture d’esprit, on lui trouve de nombreuses qualités. Difficile toutefois de ranger cet album dans un style particulier : on y trouve du heavy, des ballades, de l’électro, de la pop… et surtout un certain nombre d’expérimentations, plus ou moins réussies.
Commençons par un exercice d’esprit : oublions que cet album est sorti sous le nom «
Scorpions ». Imaginons l’espace d’un instant que c’est un groupe anonyme et inconnu qui en est l’auteur. Abordons-le sans préjugés. Evidemment, dans la vraie vie c’est impossible, mais pensez-y un moment : le principal tort de cet album ne serait pas d’avoir été publié sous le nom «
Scorpions » ?
Ce qui frappe, en effet, dès le début, c’est le son des guitares électriques, à des années-lumière du son scorpionnesque habituel, mais pas mauvais pour autant. C’est Klaus Meine qui domine ce disque du début à la fin, offrant une performance vocale éclectique, variée et grandiose, s’adaptant parfaitement à l’ambiance des différents titres. Il met en avant un style de chant très « smooth », doux et chaloupé, presque feutré sur pas mal de chansons, pour un rendu très pertinent.
L’album s’ouvre sur "Mysterious", une composition sortie originellement des cartons du bassiste Ralph Rieckermann (ce sera l’unique fois où il sera crédité sur un disque de
Scorpions). Un riff efficace et un pré-refrain lumineux sont les seuls éléments qui renvoient au son habituel de
Scorpions, le reste étant nettement plus inhabituel. Une basse très groovy mène les couplets et des chœurs inquiétants soulignent le refrain. Jabs s’adapte très bien au morceau et offre une prestation novatrice et originale, modernisant considérablement son jeu. Ce sera une constante tout au long du disque. Suit "To Be No.1", une chanson totalement électro-pop, qui se moque de l’affaire Monica Lewinsky, composée par Jabs et le producteur Peter
Wolf. Ce dernier interviendra dans la composition d’un grand nombre de titres du disque. Le morceau est plutôt réussi, l’ambiance humoristique du titre transparaissant clairement, bien mise en avant par un clip loufoque à souhait. Jabs ressort sa talk-box pour un solo très pertinent.
L’ambiance est posée : l’auditeur se rend compte que ce disque ne contiendra pas de "
Blackout" ou de "
Rock You Like a Hurricane". Les plus fermés d’esprit retirent déjà le CD du lecteur. Les plus curieux attendent impatiemment la suite. Elle sera, il faut bien l’avouer, composée majoritairement de ballades.
Obsession, un peu naïve, qui peut rapidement lasser, bien qu’elle possède certaines qualités, surtout dans le chant et les mélodies de Klaus. "10 Light Away", composée par Schenker avec l’aide de Mick Jones (
Foreigner) et du compositeur Marti Friederiksen, voit le six-cordiste allemand sortir un sitar sur l’intro. Le morceau est très beau, innovant par rapport aux autres ballades du groupe. Du côté des autres ballades, la chanson éponyme est un superbe hommage aux pères de Klaus et Rudolf, décédés. Une chanson vraiment belle, nourrie d’ambiances électro inédites. "What U Give You Get Back", en revanche, est clairement dispensable, ennuyeuse malgré le travail sur les harmonies vocales. Le disque se conclut sur la magnifique "A Moment in a
Million Years", chanson en piano-voix, avec un Klaus Meine touchant et à fleur de peau. Ce dernier titre est à ranger parmi les meilleures ballades du groupe, bien que dépourvue de toute guitare dans sa version album. C’est également la seule chanson de l’album que le groupe interprétera de temps en temps après la tournée Eye To Eye, le piano se voyant alors remplacé par des guitares acoustiques.
Les chansons plus orientées hard rock de l’album ne sont pas en reste question innovation.
Outre le son des guitares, les couplets sont souvent porteurs d’une ambiance sombre et feutrée, soulignés par des guitares acoustiques, avant l’explosion lors du refrain. C’est notamment le cas de "Mind Like a
Tree", au riff monstrueux mais au refrain un peu lourdaud. Les mêmes chœurs surprenants et inquiétants que sur le titre introductif parsèment la chanson. Dans le même style, Aleyah se veut une nouvelle fois très originale, surtout pour son refrain qui jouit d’un travail considérable sur les chœurs.
"Du Bist So Schmutzig" : une chanson en allemand sur le disque ! C’est une première sous le nom
Scorpions. Composée par Jabs et Schenker, elle possède un break rappé chanté en anglais par le batteur James Kottak. Tentative surprenante de mettre en avant la langue de Goethe ; la chanson est entraînante mais pas vraiment mémorable (si elle était écrite en anglais, personne n’en parlerait). Deux autres titres un peu patauds et dispensables complètent la liste des chansons les plus violentes du disque, à savoir : "Freshly Squeezed" et "Priscilla".
Reste à parler de deux chansons qui sont le point culminant du disque, à mon avis, atteignant des sommets dans le style « Eye to Eye ». Tout d’abord, la sublime "Skywriter". Un Klaus Meine habité joue sur tous les registres qu’il maîtrise pour donner à cette chanson une dimension mystique magnifique, illuminant le refrain de sa classe. Une chanson incroyablement réussie. Elle est suivie directement par "Yellow Butterfly", qui possède un riff grandiose et un refrain inhabituel mais ultra pertinent, servant avec brio la chanson et souligné par des chœurs très travaillés. Si tous les titres étaient du niveau de ses deux-là, on aurait affaire à un authentique chef-d’œuvre.
Vous l’aurez compris, les fans de hard rock classique peuvent passer leur chemin. La plupart des autres diront que
Scorpions s’est vendu en trahissant son style pour tenter de faire de l’audimat. Toutefois, si l’on ne peut nier que le disque comporte un certain nombre de titres dispensables, la prise de risque est à saluer, ainsi que les innovations apportées. Certaines chansons comme "Skywriter", "Yellow Butterfly" ou le morceau-titre sont excellentes et témoignent de la créativité intacte de Schenker et Meine. C’est finalement ce dernier qui tire le mieux son épingle du jeu, démontrant toute l’étendue de son talent de chanteur.
La tournée qui suivra la publication de cet album sera hélas en demi-teinte : des salles à moitié vides et peu réceptives aux nouvelles chansons deviennent le quotidien du groupe. La situation est critique et
Scorpions doit impérativement rebondir afin de ne pas disparaître définitivement des affiches…
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