La rencontre entre
Ihsahn et Samoth remonte en 1990 à Notodden dans le comté de Telemark, nos deux bonhommes étant respectivement âgés de 15 et 16 ans. Ils forment d’emblée un groupe qui deviendra
Thou Shalt Suffer, formation de deathmetal sombre qui entrera deux fois en studios, en avril et octobre '91. Mais, comme nombre de leurs homologues norvégiens de l’époque, ces derniers cèdent à l’appel du blackmetal, en plein essor sous l’influence de
Mayhem, en fondant un nouveau groupe baptisé
Emperor.
Sous forme de trio articulé autour d’
Ihsahn, Samoth et
Mortiis,
Emperor enregistre en mai '92, sur une petite console 4 pistes, sa première demo-tape
Wrath of the Tyrant, aux réminiscences deathmetal encore présentes. Bien que brute de décoffrage, cette cassette particulièrement anthracite fait rapidement le tour de l’Europe. Mis en relation avec le groupe et avec
Enslaved suite aux recommandations d’Euronymous, Lee Barrett propose à chacun le financement d’un EP. Le bassiste anglais d’ENT et
Disgust monte ainsi son label Candlelight, qui enchainera les signatures avec les doomdeathsters de
Decomposed ou encore avec
Havohej, le nouveau groupe de Paul Ledney suite à la débandade de
Profanatica.
Sous forme de quatuor,
Faust ayant intégré entre-temps la formation en tant que batteur,
Emperor se dirige ainsi en décembre '92 au Studio S, un studio communautaire situé à Strommen, pour la mise en boite de quatre morceaux destinés à son EP éponyme, nanti d’une superbe illustration de Gustave Doré (Death on A
Pale Horse - 1865), tandis qu’
Enslaved en fait de même durant le mois d’octobre au Lydloftet Studio dans la localité d’Olen. Les deux EP sortiront dans le courant de l’année suivante, séparément en vinyle et sous forme de split-album en version CD.
En cette année '92,
Emperor traverse une année noire et tumultueuse, qui se ressent directement dans sa musique. Le groupe arbore des corpse-paints, mêle blackmetal à un mode de vie intense et sans compromis, tandis que Samoth et
Faust passent d’une parole radicale et anticléricale à des actes irréparables, aux côtés d’autres membres du Blackmetal Inner
Circle, à l’image de l’incendie des églises de Fantfot, Holmenkollen & Vindafjord entre juin et septembre, ou le meurtre d’un homosexuel commis par
Faust au mois d’août, des faits pour lesquels ils seront reconnus coupables et condamnés deux années plus tard.
Sur son EP,
Emperor reprend deux titres de sa demo-tape, le titre éponyme et Graveless Soul, qui trouvent ici leur pleine expression. Ces morceaux conservent aujourd’hui toute leur essence, leur intérêt et leur noirceur, restant inédits sans avoir été repris sur album. Le quatuor y ajoute deux récentes compositions plus abouties, l’immense Black
Wizards et le tout aussi envoutant Cosmic Keys (bâti sur les cendres de
Lord of the Storms), qu’il intégrera également sur son premier album, initialement prévu chez DSP, le label d’Euronymous. Si les claviers sont un des éléments fondamentaux de la majesté des compositions du quatuor, ses nappes sont encore discrètes et laissent la part belle aux guitares d’
Ihsahn et Samoth, tout en se mariant idéalement avec elles, notamment sur le passage central mémorable de Black
Wizards. L’ensemble instrumental est ici en communion parfaite, supportant la voix aiguë d’
Ihsahn, qui semble surgir des ténèbres.
En ces années 91-93, sur les traces de
Bathory et de son incontournable Under the
Sign, la Norvège se hisse au premier plan du réveil du blackmetal scandinave, grâce à des formations comme
Arcturus,
Burzum,
Darkthrone,
Emperor,
Enslaved,
Immortal,
Mayhem ou
Satyricon, ayant chacune une approche et une identité différentes, mais toutes reliées par cette même noirceur et ayant apporté tant de lettres de noblesse au style. A cette époque, le blackmetal norvègien fascine, au-delà même d’une musicalité exceptionnelle, et se vit avant tout intérieurement. A ce titre, le ténébreux EP éponyme d’
Emperor (tout comme celui d'
Enslaved conjoint sur le split-CD) fait indéniablement partie de ces œuvres fondatrices et atemporelles du mouvement.
++ FABIEN.
Merci pour ce retour dans le temps! Cela semble si loin et si proche a la fois, car cette œuvre intemporelle et d autres de cette époque sont bien les seules à avoir trouvé le secret de la jeunesse éternelle et de l immortalité...
Toujours un plaisir de lire tes chroniques Fabien. Un bond de 30 ans en arrière, qui permet de se replonger dans un petit bout d'une histoire que je n'ai pas vécue mais qui revêt une importance particulière pour tout amateur de cet art noir.
"Fantoft" (36.15 JAILOEIL haha), à noter que ce serait bien l'autre pompe de Vikerness qui serait derrière son incendie, bien que la justice norvégienne n'ait pas pu parvenir à le démontrer formellement.
Mais ça doit être l'incendie le plus marquant de la série, de par le caractère historique de la construction. Et quand même drôlement ironique, quand on sait que les gars voulaient prétendument défendre une sorte de traditionalisme norvégien (en gros les vikings vs. la chrétienté, délire pagan tout ça), ils s'en sont juste pris à un petit bâtiment médiéval donc très historique, et justement construit dans une méthode typiquement norvégienne (les fameuses "églises en bois debout").
Pour ceux que ça intéresse :
https://stainedglassattitudes.wordpress.com/2018/01/13/black-metal-church-burnings-a-historical-view/
Et pour l'anecdote, "Vikerness", en norvégien ça fortement penser à "Kirkenes" qui veut dire... églises.
Bref, merci pour le papier.
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