Depuis une dizaine d‘années, un courant s’est largement développé jusqu’à devenir un sous-genre à part entière dans une scène black de plus en plus ouverte aux expérimentations sonores et aux hybridations musicales de toutes sortes, il s’agit du post rock black metal, décrié par certains et adulé par d’autres, et initié par des groupes comme
Agalloch ou
Alcest au début des années 2000. Le côté lancinant et sombre du black couplé aux structures hypnotiques et lumineuses du post rock a conquis de nombreux metalleux avides d’émotions intenses et de mélancolie musicale, et influencé des groupes reconnus tels que AmeSœurs,
Heretoir, Lantlôs, ou
Svarti Loghin pour n’en citer que quelques uns.
C’est précisément dans ce créneau que les Anglais de
Fen évoluent discrètement depuis 2006, et ils nous livrent aujourd’hui sur leur quatrième album, le bien nommé
Dustwalker, un black onirique et introspectif, une sorte de voyage initiatique béat dans les méandres brumeuses des rêves et de l’intériorité. Ici, pas ou peu de violence, on est plus bercé par des arpèges lancinants et des riffs tanguant renforcés par les lignes hypnotiques de la basse, avec toujours ce tapis de grattes électriques profondes et limpides en toile de fond, le rythme coule paresseusement au fur et à mesure que les guitares déroulent leurs langueurs électriques et claires en une orgie post rock/black. Le tout est clame, reposé, halluciné, et de ce magma bouillonnant s’élèvent des vapeurs psychédéliques et acides aux doux relents de rêves et d’illusions et qui ne sont pas sans rappeler certains groupes des années 70, Pink Floyd en tête (le déroutant mais néanmoins très sympathique
Spectre, entièrement interprété en chant clair).
Les guitares se font tour à tour claires ou plus saturées, souvent superposées en plusieurs couches sonores qui nous portent et élèvent notre âme dans des contrées nébuleuses et lointaines sur lesquelles règnent les voix désolées de The Watcher et Grungyn. Les Anglais aiment jouer sur les contrastes et s’amusent à nous perdre dans un dédale de plans clair obscur, au croisement sonore du rock 70’s entre psyché et prog, du post rock et d’un black calme et intimiste. Ici, il ne faut pas s’attendre à des riffs glacés typiques du black, et à de grosses branlées rythmiques propres au heabang, non.
Dustwalker privilégie les émotions et prend son temps pour intensifier ses ambiances, il nous embarque pour un long voyage introspectif qui a plus pour but de nous faire atteindre la paix intérieure que de nous démonter les cervicales.
La basse est très présente, vraiment rock, et rajoute une profondeur bienvenue aux plaintes aigues et aux mélodies naïves des guitares, la batterie, lointaine, résonne d’un écho étouffé qui semble s’échapper de vapeurs languides et acides ainsi que ces voix claires et fragiles et ces chœurs litaniques qui surnagent dans le chaos d ‘effets des guitares. Shoegaze, black, postrock, psyché, prog, il y a un peu de tout ça chez
Fen.
Appétissante description, n’est-il pas? Mais voyons voir, ça ne vous rappelle pas quelque chose, ou plutôt quelqu’un tout ça? Ce post rock black introspectif et solennel à la voix tantôt écorchée, tantôt naïve, avec cette petite touche folk presque mystique qui confère à la musique du combo une aura quasiment sacrée, ça ne vous dit rien? Aaaaah, si! Inutile de nier le rapprochement évident avec
Agalloch tant les ressemblances avec le combo américain sont flagrantes (le début de
Hands of
Dust, Walking the
Crowpath), on pourra aussi faire la comparaison avec les inévitables
Anathema, rois du dark rock lancinant et atmosphérique, pour ces élans progressifs tout en douceur et cette ambiance tout en contrastes, tantôt sombre, tantôt lumineuse, confinant en de rares élans de génie au sublime.
Rares élans, car malheureusement, n’est pas
Anathema ou
Agalloch qui veut, et les jeunes Anglais, même s’ils ont un potentiel certain et qu’ils maîtrisent plutôt bien leur art musical, n’ont pas encore atteint la maturité de leurs aînés. Si sur certaines pistes, la magie opère (le premier titre Consequence, qui ouvre de manière grandiose l’album, parfaite osmose de tous ces éléments qui font un titre post rock black indispensable, quelque part entre Svarti Login, Lantlos et
Alcest, l‘excellent Walking the
Crowpath qui, du haut de ses 13 minutes, résume parfaitement l‘essence musicale et spirituelle de
Fen),
Dustwalker peine souvent à nous immerger complètement et bien que la musique reste toujours agréable et apaisante, elle ne parvient pas toujours à épouser l’hypnotisme sombre et torturé qui sublime toute œuvre de ce genre, si complexe dans sa simplicité apparente. Le groupe semble parfois se perdre au milieu de toutes ses influences, hésiter entre quelque chose de totalement onirique et calme et une musique plus rock et directe, et à trop se chercher, finit par s’égarer (
Wolf Sun et
The Black Sound, qui peinent à convaincre entièrement).
Le tout manque d’homogénéité, les transitions sont parfois malhabiles, le chant clair n’est pas toujours juste et pas franchement adapté aux parties musicales que, bien souvent, il dessert plutôt qu’il ne les transcende (
The Black Sound et cette voix forcée irritante), et certains passages deviennent longuets par manque d’intensité, même si les compos fourmillent de bonnes trouvailles et s’écoutent bien. Disons simplement que même si
Dustwalker est très bon dans son ensemble, l’approximation dans un style musical aussi épuré ne pardonne pas, et l’auditeur qui achète ce genre de musique qui joue plus sur l’émotion et l’ambiance que sur la technique instrumentale ou l’efficacité rythmique est en droit de s’attendre à palper la magie du bout des doigts.
Que conclure donc de ce troisième album de
Fen? Une bonne réalisation qui devrait plaire sans problème aux amateurs du genre, mais qui ne risque pas de venir supplanter leurs références. Un bon moment en perspective avec quelques passages forts vraiment prenants et intenses, mais un arrière-goût amer de frustration et d’inachevé pour les auditeurs les plus exigeants qui sentent qu‘il ne manquait pas grand-chose aux Anglais pour magnifier leur musique et faire de ce
Dustwalker un incontournable. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec cette galette,
Fen nous met l’eau à la bouche et nous dévoile un énorme potentiel qui ne demande, espérons-le, qu’à être pleinement exploité et exploser à la face du monde sur un quatrième album…
Je suis quasiment sur que celui-ci me plaira aussi!
Fen n'est clairement pas du shoegaze, mais je ne trouve pas choquant d'y voir des influences et des similitudes avec ce courant musical...
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