Après un premier cri passionné en 2000 ("
Prison of Desire"),
After Forever revient à peine un an plus tard avec ce qui restera pour beaucoup son chef-d’œuvre incontesté : "
Decipher". Si le premier album avait impressionné par sa fougue et sa fraîcheur, ce second opus brille par sa maîtrise, sa densité thématique et sa profondeur émotionnelle. L’ambition est toujours là, mais canalisée, magnifiée, portée par une production plus nette et une vision artistique affirmée.
Dès l’ouverture avec "Ex Cathedra", courte intro chorale et mystique, le ton est donné : ce disque ne sera pas seulement une suite, mais un rite de passage, une tentative de mettre en musique l’indicible, le sacré, le doute. L’enchaînement avec "
Monolith of Doubt" ne laisse place à aucun flottement : riffs tendus, chœurs sacrés, voix impérieuse de
Floor Jansen, et ce texte glaçant sur le poids de nos certitudes imposées.
Tout au long de l’album,
After Forever explore une tension spirituelle permanente : foi et désillusion, quête de sens et perte de repères, liberté intérieure et aliénation idéologique. L’album devient ainsi une œuvre de déchiffrement, au sens fort du terme : "
Decipher", c’est lire entre les lignes de nos convictions, comprendre ce que les dogmes tentent de nous faire taire.
Musicalement, le groupe pousse encore plus loin son hybridation entre metal symphonique, orchestration classique, éléments progressifs et voix extrêmes. Mais rien n’est démonstratif : chaque arrangement, chaque modulation, chaque passage choral sert un propos, une émotion. On est loin de l’exubérance parfois gratuite d’autres groupes du genre à la même époque.
Le diptyque "My Pledge of
Allegiance" (Part I & II) incarne parfaitement cette évolution : une fresque en deux mouvements, à la fois épique et introspective, qui raconte l’engagement, le doute, la chute. Là où le premier album criait son mal-être, "
Decipher" le met en scène, le transcende, presque comme un oratorio moderne.
Mais l’album sait aussi se faire plus intime. "Intrinsic" ou "Imperfect Tenses" montrent une facette plus humaine, plus fragile de
Floor Jansen, loin des envolées lyriques, dans des respirations essentielles au cœur d’un disque souvent chargé en gravité. Et que dire de "
Forlorn Hope", final bouleversant, où l’on entend un chœur liturgique en hébreu, véritable prière désespérée sur fond d’orchestration solennelle… Un moment suspendu.
On pourrait aussi parler de la place plus subtile laissée aux growls de Mark Jansen, moins massifs que sur "
Prison of Desire", mais plus intelligemment intégrés. D’ailleurs, cet album marquera aussi la fin de la collaboration entre les deux Jansen (sans lien de parenté), et la scission artistique qui mènera Mark à fonder
Epica l’année suivante. On comprend mieux, en écoutant "
Decipher", pourquoi ce besoin de divergence artistique se faisait sentir.
En conclusion : "
Decipher" est plus qu’un simple album de metal symphonique. C’est une œuvre liturgique et intellectuelle, un album habité par une tension intérieure qui le rend toujours aussi pertinent deux décennies plus tard.
After Forever y atteint une forme de grâce rare : entre profondeur spirituelle, élégance musicale et puissance émotionnelle, le groupe parvient à conjuguer catharsis et contemplation.
Un disque-clé pour tout amateur du genre, et un témoignage poignant de ce que le metal peut offrir quand il accepte de douter, de chercher, de questionner.
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